Depuis un an, l’actualité internationale est dominée par la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l’Europe notamment, autant dire que la Russie n’ignore rien des principes du droit international.
Et pourtant, les autorités russes n’ont pas hésité à déclencher une violente opération militaire contre un État souverain, l’Ukraine. Baptisée pudiquement « opération spéciale », elle est en fait une véritable guerre d’invasion visant à la conquête de territoires, au remplacement d’autorités légales démocratiquement élues, à la mise au pas du peuple ukrainien et à la mainmise sur l’économie et l’agriculture.
Ce coup de force illégal, nous ne pouvons l’accepter. Ce serait la fin de l’ordre international et le retour à la loi du plus fort.
Dans ce contexte, l’initiative de notre collègue Claude Malhuret est à saluer. Elle adresse un message fort et clair du Sénat. Nous avons d’ailleurs reçu ici même, voilà quelques jours, une importante délégation ukrainienne, conduite par le président de la Rada. Cette visite avait été précédée d’un entretien avec le ministre ukrainien de la défense.
Quelles que soient les causes invoquées par les autorités russes à l’appui de leur politique belliqueuse, il reste que, dans ce conflit, il y a tout de même un agresseur et un agressé, que l’Ukraine est un État souverain dont l’intégrité territoriale doit être respectée et que les règles du droit international ont été volontairement ignorées par la Russie.
Ce conflit brutal décime les civils ukrainiens, détruit des installations vitales, rase des villes et aboutit à l’occupation illégale de territoires. Pire encore, une partie des opérations est sous-traitée à des mercenaires recrutés dans des prisons russes ainsi qu’à des forces tchétchènes dont les méthodes sont destinées à terroriser.
En déplacement en Ukraine, avec le président Larcher et quelques collègues, nous avons vu in situ cette « sale guerre » dans laquelle des exactions sont commises quotidiennement contre des civils, sans compter les missiles qui ciblent des habitations.
Des comptes devront être rendus par les responsables de ces actions criminelles contraires à toutes les lois, y compris celles de la guerre. C’est le sens de cette proposition de résolution.
Le conflit a ravivé la peur sur le continent européen qui, après deux guerres mondiales, se croyait à l’abri dans sa bulle de prospérité économique. L’économie européenne est désormais victime des effets collatéraux de cette guerre, lesquels s’étendent jusqu’à la rive sud de la Méditerranée et même au-delà. L’Europe a aussi dû faire face à un flot historique de réfugiés.
Ainsi, les Européens ont eu tort de considérer les questions stratégiques comme secondaires quand d’autres États renforçaient leurs outils de puissance et diversifiaient leurs modes d’action.
Les inquiétudes les plus fortes s’expriment chez les voisins immédiats de la Russie, où la confiance, vous le savez, n’a jamais véritablement régné. Je pense ainsi à la neutralité contrainte de la Finlande et au rideau de fer, qui amputa l’Europe de son flanc est. Un certain nombre de pays, traumatisés par cette expérience, ont souhaité rejoindre l’Union européenne et l’Otan.
Les vagues successives d’élargissement ont porté l’Union européenne et l’Otan aux frontières russes avec des conséquences géopolitiques mal anticipées, et parfois même niées par certains. Il s’agissait en effet de l’adhésion à un projet politique et économique européen d’un côté, et à une alliance militaire menée par les États-Unis de l’autre. Cette « occidentalisation » rapide de territoires longtemps liés à la Russie et leur passage sous protection américaine ne sont pas des changements anodins. À l’époque, on croyait fermement – peut-être à tort – à la « fin de l’histoire » et à l’affaiblissement durable de la Russie.
De plus, la politique européenne de Partenariat oriental, conçue au départ comme la création d’un « cercle d’amis », est devenue plus ambiguë. Selon les Russes, l’Union européenne travaille dans leur « arrière-cour ». Pour l’Union européenne, au contraire, les pays du Partenariat oriental sont des pays souverains qui comparent librement les offres et dont la liberté de choix doit être respectée.
En définitive, le projet d’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine et les velléités ukrainiennes d’adhérer à l’Otan ont donné lieu à la réactivation de tensions avec la Russie et à un enchaînement de faits tragiques.
Au cours de cette période, je crois que les Occidentaux ont mal appréhendé les ressorts du fonctionnement russe.
D’abord, le puissant et historique complexe obsidional tourne aujourd’hui à l’obsession, voire à la paranoïa, surtout pour des dirigeants formés dans l’appareil sécuritaire soviétique. Tout le narratif russe s’appuie sur ce sentiment d’encerclement et de marginalisation, qui justifie les investissements massifs dans le domaine de la défense et les actions militaires à l’extérieur.
De plus, les Russes ont eu le sentiment, avec les élargissements successifs, d’un abus de faiblesse commis au moment où leur pays était au plus bas.
Aujourd’hui, où allons-nous ? Quels sont nos objectifs ? Aider l’Ukraine à se défendre ? Récupérer la Crimée ? Changer le régime à Moscou ? Ces objectifs sont-ils partagés par tous les soutiens de l’Ukraine ? En mesure-t-on bien toutes les conséquences ?
Toutes ces questions mériteraient une réponse claire des autorités françaises et européennes, car l’émotion, si légitime soit-elle, ne peut en aucun cas être notre boussole.
Beaucoup de choses ont été faites en matière de dénonciation de la Russie, de sanctions et d’aide à l’Ukraine. Un nouveau paquet de sanctions contre Moscou est en préparation, ce qui est une bonne chose. Nous avons aussi fourni des équipements individuels, des munitions, du renseignement et du matériel de guerre, dont des systèmes d’artillerie. Le débat récent porte sur l’envoi de chars – légers ou lourds ? En quelle quantité ?
Cette évolution doctrinale comporte nombre de difficultés d’ordre stratégique, opérationnel et politique alors que, déjà, les autorités ukrainiennes réclament des avions, ce que nous pouvons comprendre.
Par ailleurs, le président Macron annonce que « rien n’est interdit par principe » – on peut l’entendre aussi. Cependant, si une telle montée en puissance se confirmait, il serait de plus en plus délicat de se déclarer extérieurs au conflit et d’être considérés comme tels. Il faut bien le mesurer.
Malgré ces décisions et les dernières annonces, nous ne voyons pas d’inflexion des autorités russes. Au contraire, nous assistons à une radicalisation des discours et à l’émergence sur la scène politique de personnages inquiétants.
Comme il l’a fait durant la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, en Tchétchénie, le pouvoir russe mise sur le temps long dans une guerre de saturation, une guerre d’attrition, grâce aux immenses stocks accumulés et au peu de cas fait de la vie de ses soldats, surtout lorsqu’ils viennent des confins de la Fédération.
Enfin, l’économie russe résiste au FMI, qui prévoit, en 2024, une croissance pour la Russie supérieure à celle de la zone euro. Comprenne qui pourra…