Intervention de Serge Babary

Réunion du 7 février 2023 à 14h30
Automobile : tout électrique en 2035 est-ce réalisable — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Serge BabarySerge Babary :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en juillet 2015, la commission d’enquête sénatoriale présidée par notre collègue Jean-François Husson évaluait le coût économique et financier de la pollution de l’air entre 67 et 98 milliards d’euros par an pour la France.

À ce chiffre s’ajoute le bilan humain. Selon le ministère de l’écologie, notre pays enregistrerait 48 000 décès prématurés par an, soit 9 % de la mortalité.

En octobre dernier, le Conseil d’État a condamné l’État français à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros en raison du dépassement des valeurs maximales fixées par les directives européennes.

Le trafic routier est responsable de 28 % du total des émissions de gaz à effet de serre en France, dont la moitié provient des véhicules des particuliers.

Aussi, la transformation du secteur automobile est certainement un élément clé de la transition climatique. Encore faut-il que la restructuration de la filière soit réfléchie dans son ensemble et que les objectifs assignés soient réalisables.

Depuis les années 2000, la filière automobile française réduit ses capacités de production nationale. Le solde commercial des échanges extérieurs du secteur est passé d’un excédent de 13 milliards d’euros en 2004 à un déficit de 15 milliards d’euros en 2019. Dans le même temps, l’industrie automobile allemande augmentait son excédent commercial de près de 30 milliards d’euros.

La filière automobile a également subi une succession de crises conjoncturelles.

Avant la crise sanitaire, constructeurs, équipementiers et fournisseurs employaient environ 400 000 salariés ; la filière représentait plus de 10 % des exportations de biens, pour les trois quarts d’entre elles à destination de l’Union européenne, et plus de 20 milliards d’euros de valeur ajoutée.

La crise sanitaire a eu un impact significatif sur l’industrie automobile, entraînant une diminution de la production en France et une chute des exportations.

En 2021, la sortie de crise a été perturbée par les difficultés des fournisseurs à s’approvisionner en matières premières et en composants électroniques. Cette année-là, 11 millions de véhicules n’ont pu être produits. En octobre dernier, on a estimé que le nombre de véhicules non produits s’élèverait à 4, 5 millions pour 2022.

Enfin, dernièrement, la filière a souffert des conséquences de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique.

Parallèlement à ces crises conjoncturelles, la filière fait face au défi de la décarbonation, qui l’a conduite à développer son offre électrique depuis 2018.

Le 8 juin 2022 a été franchie une première étape vers la fin des véhicules thermiques au sein de l’Union européenne. Le Parlement européen a en effet voté la révision des normes d’émission de CO2 pour les véhicules particuliers et utilitaires légers neufs dans le cadre du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » pour 2030.

Le texte adopté exprime le soutien des députés à la proposition de la Commission d’atteindre une mobilité routière à émission nulle d’ici à 2035.

Le 28 juin 2022, sous la présidence française, la deuxième étape a été franchie. Les ministres européens de l’environnement ont en effet convenu de relever les objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 à 55 % pour les voitures neuves et à 50 % pour les camionnettes neuves d’ici à 2030.

Ils ont également approuvé l’introduction d’un objectif de réduction des émissions de CO2 de 100 % d’ici à 2035 pour les voitures et camionnettes neuves. Fort heureusement, une clause de revoyure a été ajoutée pour tenir compte des développements technologiques.

Selon Marc Mortureux, délégué général de la plateforme automobile française, les dépenses en matière de recherche et développement de la filière automobile représentent environ 7 milliards d’euros par an en France. Lors de son audition par la commission des affaires économiques, celui-ci a notamment déclaré : « Les choses sont lancées ; il faut réussir, car nous n’avons pas le choix. […] On y est : c’est irréversible ! »

Les inquiétudes sont pourtant nombreuses.

Le premier risque identifié touche à notre souveraineté. En France, 18 % des immatriculations concernaient des véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2021, contre 3 % seulement en 2019.

Actuellement, 640 000 véhicules électriques sont en circulation en France, alors qu’il en faudra un peu plus de 15 millions en 2035.

Comment s’assurer que ces véhicules seront fabriqués en France ou en Europe et qu’ils ne seront pas importés de pays étrangers comme la Chine ? Pourra-t-on produire les batteries et les bornes de recharge en France ?

Par ailleurs, la production de véhicules électriques dépend de l’approvisionnement en métaux rares, tels que le cobalt, le lithium ou le nickel. Or la France et l’Europe ne sont pas productrices de ces métaux.

À l’occasion de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 12 janvier dernier, M. le ministre de l’économie a évoqué son souhait de rouvrir une usine de lithium. Les Français sont-ils prêts à rouvrir des mines et à accueillir ce type d’usines sur leur territoire ? Dispose-t-on des compétences pour le faire ? Serons-nous capables de respecter les délais fixés par l’Europe ? Aura-t-on le temps d’implanter des entreprises de fabrication de bornes de recharge ?

Se pose également la question de l’énergie et du bilan carbone des véhicules électriques. Pour calculer la quantité de CO2 produite par une voiture, il faut tenir compte non seulement du CO2 qu’elle émet lorsqu’elle roule, mais aussi des quantités émises durant sa fabrication puis lors de sa destruction. Or la production et la destruction d’une voiture électrique sont moins respectueuses de l’environnement que celles d’une voiture équipée d’un moteur à combustion. La manière de produire notre électricité est donc cruciale.

Les atermoiements des précédents gouvernements au sujet du nucléaire nous exposent à la menace de coupures d’électricité. Avec le « zéro artificialisation nette », serons-nous en mesure de mettre en œuvre les projets de centrales nucléaires annoncés ?

En 2035, parviendrons-nous à alimenter les 15 millions de véhicules électriques prévus avec de l’énergie bas-carbone ? Serons-nous obligés au contraire d’importer une énergie carbonée produite à l’étranger ?

La France n’émet qu’entre 0, 9 et 1, 5 % des émissions mondiales de CO2, quand la Chine et les États-Unis sont responsables respectivement de 29 % et de 14 % de ces émissions. Cette différence s’explique, pour une large part, par le fait que la France a délocalisé ses émissions de dioxyde de carbone.

Il ne faudrait pas que la brièveté du délai imposé nuise in fine au bilan carbone des véhicules électriques. Sans compter que nous ne savons pas recycler les batteries de ces véhicules. Lorsqu’il y en aura 15 millions en circulation sur le territoire français, qu’en ferons-nous ?

Enfin, tous les citoyens et entrepreneurs pourront-ils bénéficier de cette révolution ? Il faut en effet songer aux obstacles liés aux coûts d’achat et d’usage, au défi du déploiement des bornes de recharge, mais aussi à l’évolution technologique. À l’instar des camions présents sur les marchés, de nombreux véhicules utilitaires et professionnels n’ont aujourd’hui pas d’homologues en électrique. Dès lors, ces véhicules bénéficieront-ils de dérogations s’ils circulent dans des zones à faibles émissions (ZFE) ?

Comme nous l’avons fait dans le domaine énergétique, ne faut-il pas envisager un mix ? Je pense à l’hydrogène, mais aussi aux innovations relatives au moteur thermique. Il existe des études, notamment australiennes, sur la dépollution des moteurs diesel. Faut-il se priver de ces leviers d’innovation ? L’électrique est-il la solution universelle ?

Toutes ces inquiétudes nous invitent à ne pas confondre vitesse et précipitation. La politique de soutien à l’automobile doit avant tout profiter à notre économie et viser l’équilibre de notre société. Il faut la penser avec les entreprises, pour nos concitoyens.

La lutte contre le dérèglement climatique doit constituer une chance pour l’économie française et non l’occasion de valoriser des économies étrangères. Avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous avons conçu ce débat comme un point d’alerte.

Alerte à ne pas reproduire les atermoiements et erreurs commises dans le domaine du nucléaire.

Alerte à ne pas adopter des mesures qui entraveraient notre économie et excluraient toute forme d’innovation.

Alerte, enfin, à veiller à la cohésion de la société, sans marginaliser une partie de nos concitoyens.

Le tout électrique recouvre de nombreux enjeux en matière d’infrastructures, de souveraineté industrielle et de lutte contre les inégalités socio-économiques. Le présent débat doit être l’occasion de réfléchir ensemble à une stratégie de long terme.

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