Intervention de Daniel Salmon

Réunion du 7 février 2023 à 14h30
Commerce extérieur : l'urgence d'une stratégie publique pour nos entreprises — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la délégation sénatoriale aux entreprises

Photo de Daniel SalmonDaniel Salmon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays affiche un déficit record, qui atteint plus de 150 milliards d’euros à la fin de 2022, comme le soulignent justement les auteurs de ce rapport.

Les raisons des contre-performances à répétition du commerce extérieur français sont connues. Celui-ci est déficitaire depuis près de vingt ans ; l’envolée de la facture énergétique, le ralentissement du commerce mondial et la dépréciation de l’euro face au dollar ont accentué son plongeon.

Ce sont évidemment les achats d’énergie, notamment d’hydrocarbures, et les importations d’électricité qui pèsent le plus dans le creusement de ces derniers mois. Permettez-moi donc de centrer mon discours sur cette question énergétique, qui constitue l’une des raisons majeures de notre vulnérabilité actuelle et de notre déficit commercial.

Je le rappelle, près des deux tiers de notre consommation énergétique dépendent encore des énergies fossiles, dont une partie est toujours importée de Russie. Cette situation de dépendance, mortifère pour le climat comme pour la paix et critique pour nos comptes publics, n’épargne pas non plus le pouvoir de vivre de nos concitoyens.

L’objectif de la Commission européenne, au travers du plan REPowerEU, qui vise à nous permettre de nous passer du pétrole, du gaz et du charbon russes d’ici à 2027, est louable, mais ce réveil est tardif.

Les importations d’électricité pèsent également dans l’accentuation du déficit constatée ces derniers mois, en raison, notamment, de l’indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires.

Ces faits me conduisent à rappeler l’impérieuse nécessité du déploiement des énergies renouvelables (EnR), d’abord pour retrouver notre souveraineté énergétique, ensuite pour contribuer à la bonne santé de notre balance commerciale.

Alors que les EnR constituent une source d’électricité bas-carbone et compétitive pouvant être déployée massivement sur le territoire à l’horizon de 2030, nous ne pouvons que déplorer notre faiblesse en la matière, et cela à plusieurs niveaux. Les importations d’électricité s’accompagnent en effet de l’importation des moyens de production et, bien sûr, de la faiblesse de nos exportations.

S’agissant de l’éolien, les Danois et les Allemands sont à l’avant-garde du marché mondial, alors qu’aucun Français ne figure parmi les dix premiers producteurs.

En matière de photovoltaïque, c’est la Chine qui monopolise aujourd’hui toutes les étapes de la chaîne de production, en pratiquant du dumping social et environnemental, sans que la Commission européenne y trouve rien à redire. Le pays a investi plus de 50 milliards de dollars dans le développement du secteur dès 2011, soit dix fois plus que l’Europe, et sa part sur le marché mondial dépasse les 80 %, alors que l’Union européenne importe 84 % de ses équipements.

La Chine domine à présent l’ensemble des chaînes d’approvisionnement de ces technologies essentielles à la transition. Outre le solaire, c’est le cas pour les véhicules électriques et le stockage d’électricité.

Dans le domaine de l’hydroélectricité, notre pays ne tient pas non plus son rang en matière d’exportation de sa technologie.

Alors que la France et l’Europe accumulent un retard préoccupant sur ces questions majeures, le plan anti-inflation adopté en 2022 aux États-Unis, qui vise à combattre le changement climatique, favorise la relocalisation industrielle dans des secteurs stratégiques de la transition.

Cet Inflation Reduction Act met en place un arsenal de mesures incitatives, notamment via des crédits d’impôt, à l’investissement et à la production d’équipements de transition énergétique, pour une enveloppe de 369 milliards d’euros, avec l’objectif de construire une capacité intégrée de 50 gigawatts d’ici à 2030. Ce n’est pas rien !

Face à ces subventions massives en faveur de la relocalisation de la fabrication des moyens de production d’EnR de la part des autres grandes puissances, quelles initiatives la France va-t-elle enfin engager pour relocaliser à son tour toute la chaîne de valeur, monsieur le ministre ? Comment notre pays se donne-t-il les moyens de redevenir constructeur et exportateur dans ces filières qui, hélas, n’ont jamais été soutenues ?

Si la France veut sécuriser son découplage énergétique avec la Russie et rester dans la course menée par la Chine et les États-Unis en matière de transition, elle doit reconstruire une base industrielle sur son territoire, en la tournant résolument vers la transition écologique. Cela passe par la fabrication des équipements au plus près, mais aussi par la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, en privilégiant l’industrie, plutôt que la libre concurrence.

Oui, le combat contre le changement climatique doit favoriser plus que jamais la relocalisation de la production dans ces filières clés. Les industriels actifs dans la transition ont besoin de visibilité pour engager des investissements très coûteux en capital.

Vous annoncez pour cette année un projet de loi visant à favoriser une industrie verte, lequel devrait offrir l’occasion de répondre à ces défis majeurs. Pourtant, à défaut d’amorcer un réel changement de paradigme dans les politiques publiques, d’introduire de la conditionnalité à l’attribution des aides publiques et d’investir massivement dans les EnR, ce vœu restera pieux.

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