Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines — Débat d'actualité

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la secrétaire d’État, face à Washington, qui subventionne massivement l’industrie américaine, Paris et Berlin ont conçu la contre-offensive et transmis leur contribution à la Commission européenne. Mme von der Leyen a ensuite dévoilé, à Davos, ses mesures face à l’IRA.

Cette évolution renvoie à ce que nous, écologistes, prônons : un protectionnisme vert européen. Cela consiste, d’abord, à mettre en cohérence les règles de notre marché intérieur et nos importations. Sur le plus long terme, il s’agit de réindustrialiser l’Europe pour lui permettre d’être plus autonome, plus souveraine, en cessant d’avoir pour boussole le productivisme mondialisé. Nous devons, en somme, passer du libre-échange au « juste échange » et sortir de la logique du tout-marché.

Le mot « protectionnisme » fait peur, mais il ne s’agit ni de mener une guerre commerciale ni de nous calfeutrer. L’idée est plutôt de regarder le monde tel qu’il est. Les multinationales et leurs actionnaires se réjouissent de la faiblesse des régulations. Elles exploitent dès qu’elles le peuvent les failles des normes environnementales et sociales, quand il y en a. Mettre en place un protectionnisme vert, c’est simplement assumer notre place de premier marché au monde et affirmer que l’accès à ce marché impose le respect de critères fondés sur nos valeurs. On ne peut plus polluer impunément avec des biens vendus à des prix qui ne reflètent pas du tout les externalités négatives causées par leur production.

En réponse à l’IRA, la Commission européenne a mis en avant des objectifs de réindustrialisation par le biais d’allégements de cotisations, notamment pour le déploiement de nouvelles technologies. Elle souhaite aussi autoriser davantage d’aides d’État et de crédits d’impôt pour les technologies vertes.

Toutefois, un levier majeur manque : un Buy European Act. Proposé par mes collègues eurodéputés dans une résolution, un tel texte favoriserait les produits fabriqués en Europe en leur facilitant l’accès aux marchés publics, lesquels représentent 14 % du PIB européen. C’est de l’argent qui existe déjà et un levier de transformation déterminant.

Utiliser les marchés publics, c’est offrir une protection aux Européens effrayés par la mondialisation, le chômage et ce qu’implique de mutations la transition écologique. Mais c’est surtout un levier, qui peut être compatible avec les règles de l’OMC, pour créer des emplois durables et décarboner nos économies.

Or, pour le moment, un Buy European Act n’apparaît ni dans les conclusions du Conseil ni dans la réponse de la Commission. Il est temps de rouvrir la directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics. Le candidat Emmanuel Macron l’avait proposé en 2017 dans son programme, mais cet engagement a été abandonné en faveur d’un libéralisme de la compétition de tous contre tous. Seule l’Europe ouvre ainsi à tous les vents ses marchés publics. Les autres savent les protéger.

Nous avons enfin convenu d’une taxe carbone à la frontière : continuons sur cette lancée ! Nous avons décidé de fermer notre marché à des produits issus de la déforestation. Notre impact est mondial, palpable, mais trop lent. Les États-Unis, eux, décident d’abord et discutaillent après. Sur le photovoltaïque, nous avons été timorés. Nous avons mis tellement de temps à négocier pour tenter de parer la menace chinoise que nous avons raté le train. C’est une bataille politique, et non pas technique. Cela signifie non pas qu’il faut renoncer à nos préférences commerciales pour les pays les moins avancés, mais qu’il faut faire les choses en cohérence avec les valeurs que nous portons en matière de droit du travail, de santé, de climat, car ce sont-là des dimensions indissociables.

Nous avons besoin d’une réindustrialisation décarbonée de l’Europe. Soyons pragmatiques : les délocalisations ont fragilisé des territoires et détruit des emplois. Un projet écologique et social crédible, c’est la possibilité de consommer des produits venant de chez nous et de pays qui respectent les normes en vigueur chez nous. C’est pourquoi la France devrait insister lors du Conseil pour obtenir enfin les fameuses clauses miroirs sur l’agriculture qu’elle entendait faire adopter sous sa présidence. On ne les trouve pas dans l’accord avec le Mercosur, qui n’est que mondialisation de la malbouffe et de la souffrance animale et qui signe la disparition de nombre de nos paysans.

La France a malheureusement l’habitude de faire des propositions intéressantes, de les afficher, puis de renoncer lors des négociations. Pour le Buy European Act, elle a appliqué le même mode opératoire : on propose, puis on baisse les bras au premier froncement de sourcils. Il faut prendre son bâton de pèlerin, créer des alliances, trouver une majorité au Conseil. Ce ne sera pas facile, certes, mais en quelques années, nous avons obtenu des avancées qu’on pensait impossibles : taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières… Les écologistes saluent ces avancées. L’Europe se fortifiera en les approfondissant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion