Intervention de Didier Marie

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines — Débat d'actualité

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Après l’urgence de la crise sanitaire, après les épreuves imposées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences sur l’ensemble de l’Europe, la vague protectionniste des grandes puissances est un nouveau défi de taille pour l’Union européenne et son marché unique.

L’adoption de l’IRA par le Congrès américain et le déblocage de quelque 370 milliards de dollars pour prendre le virage écologique va doper l’industrie et la consommation aux États-Unis. Si cette décision de l’administration Biden est à saluer pour ce qu’elle représente en termes de réponses au défi du dérèglement climatique et d’amélioration des conditions de vie des ouvriers, elle porte en germe le risque de délocalisations massives d’entreprises européennes, confrontées à une énergie chère et à un encadrement strict des subventions.

Il convient, dans ce contexte, de ne pas négliger l’autre grande puissance, la Chine, qui a elle aussi pris le virage des technologies vertes à grand renfort de subventions d’État et de travail à bas coût.

Face à ce virage historique et à ce retour du protectionnisme, l’Union européenne et l’ensemble des États membres se doivent de réagir. Ce changement de paradigme doit pousser l’Union européenne à être plus ambitieuse pour engager une réelle transition écologique. Le débat d’actualité de ce jour est donc le bienvenu pour évoquer ensemble les positions à tenir.

L’Union européenne ne part pas de zéro, tant s’en faut, même si les mesures déjà prises pour la compétitivité et la préservation de nos intérêts stratégiques l’ont trop souvent été en réaction aux crises et non par anticipation, ce que l’on peut regretter.

Dans le cadre des mesures de défense commerciale, la réglementation antidumping modernisée en 2018, le filtrage des investissements de pays étrangers ou encore les mesures de sauvegarde, sont déjà actés.

Le règlement relatif aux subventions étrangères, entré en vigueur au début du mois de janvier, le Chips Act et l’instrument du marché unique pour les situations d’urgence, à venir, sont également des outils pertinents pour l’autonomie stratégique, qu’il conviendra d’utiliser sans remords.

La présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a présenté le 1er février les contours d’un plan industriel, dit Pacte vert. C’est une bonne nouvelle, et les instances européennes ne doivent pas hésiter à avoir recours à des dispositifs innovants : nous ne devons avoir aucun tabou.

Ce plan comprend quatre piliers principaux.

Premièrement, il prévoit une modification du cadre réglementaire européen pour rendre celui-ci « prévisible et simplifié ». Trois outils législatifs ont été annoncés ou confirmés : un texte pour une industrie zéro émission, une loi sur les matières premières critiques et la tant attendue réforme du marché européen de l’électricité.

Si ces propositions semblent aller dans le bon sens, nous suivrons avec attention la réforme du marché de l’électricité, afin que celui-ci soit enfin porté par une logique d’intérêt général et adapté à notre mix énergétique et qu’il protège efficacement les entreprises et les citoyens européens.

Deuxièmement, la présidente von der Leyen a annoncé un accès plus rapide à des financements, essentiellement grâce à un assouplissement de l’encadrement du régime des aides d’État, à la réutilisation d’enveloppes financières existantes, comme la Facilité pour la reprise et la résilience, et au plan RePowerEU.

Troisièmement, un fonds de souveraineté européen a été annoncé pour financer la transition écologique de nos entreprises.

Quatrièmement, l’amélioration des compétences des travailleurs et de leurs conditions de travail figure parmi les enjeux majeurs des transitions écologiques et numériques.

Toutefois, après les premières annonces, bienvenues, de la présidente de la Commission lors du forum de Davos, la Commission semble tergiverser, sous la pression des intérêts contradictoires de certains États membres.

Madame la secrétaire d’État, la France doit s’engager avec force et volonté dans les négociations européennes.

Permettez-moi de formuler quelques interrogations. Quelle est à ce stade la définition des « technologies propres » ? Quels secteurs seront précisément concernés par ce plan ? Les filières de l’hydrogène, de l’hydraulique ou du nucléaire, par exemple, le seront-elles ? Quelle est l’articulation avec la directive sur les énergies renouvelables, en cours de négociation ? Partagez-vous l’inquiétude que nous ressentons en constatant que les concepts de sobriété, d’efficacité énergétique et de décarbonation de l’industrie lourde – en particulier dans la production d’acier et pour les industries chimiques – sont pratiquement ignorés dans ce plan ? Face au dérèglement climatique, les nécessités de produire et de consommer autrement ne peuvent pas être laissées de côté. Quid du Buy European Act qui a été évoqué ?

Enfin, la simplification administrative annoncée par la Commission ne doit pas se transformer en une dérégulation à outrance, où la recherche de compétitivité se traduirait par un contournement permanent des normes sociales et environnementales.

L’absence d’un pilier social dans ce plan est également préjudiciable, car le sujet de la construction de l’Europe sociale ne peut pas être relégué au second plan.

Nous avons, madame la secrétaire d’État, suivi et entendu les nombreuses déclarations du Président de la République et du ministre de l’économie qui, une nouvelle fois sur un sujet européen, paraissent plutôt volontaristes, notamment en développant l’idée d’une stratégie made in Europe.

L’important, madame la secrétaire d’État, au-delà des mots et de l’affichage, c’est le résultat. Il serait intéressant à cet égard que vous nous donniez de plus amples informations sur les résultats obtenus par Bruno Le Maire et son homologue allemand, Robert Habeck, lors de leur déplacement hier à Washington, notamment sur les potentiels accords de réciprocité et les actes de coopération, comme nous avons pu en obtenir sur les semi-conducteurs.

Toutefois, je pense qu’il ne faut pas excessivement miser sur l’assouplissement des positions américaines, compte tenu du contexte interne aux États-Unis. Le président Biden n’a obtenu que difficilement l’accord du Congrès et, même s’il le souhaitait, ce qui n’a rien d’évident, il lui serait difficile d’en modifier les termes. Cependant, la Commission européenne pourrait utilement s’inspirer de ses ambitions en faveur de la transition écologique et des intérêts des travailleurs américains.

L’Europe doit réagir, non pas par des mesures de rétorsion – nous n’avons aucun intérêt à une guerre commerciale –, mais en mettant en œuvre un plan ambitieux pour ne pas être marginalisée dans la compétition économique mondiale. Ce plan, esquissé à Davos, doit être précisé et non édulcoré.

Les enjeux de ce plan sont nombreux, tout d’abord en termes de financement.

Alors que les États-Unis ont fait le choix de mettre 370 milliards de dollars sur la table, jusqu’où la Commission et le Conseil sont-ils prêts à aller ? Des divergences sont déjà apparues lors de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper) du 25 janvier dernier sur l’assouplissement des aides d’État. Si l’encadrement de ces aides nous semble utile, il devra être pensé pour ne pas creuser d’écart entre les pays qui disposent de capacités de financement suffisantes et les autres.

Pour cette raison, nous plaidons pour un fonds de souveraineté ambitieux. À cet égard, nous regrettons que le document de la Commission européenne ne consacre à ce fonds qu’un seul paragraphe, tout comme nous déplorons les réserves émises par l’Allemagne.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que la revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, qui doit aussi avoir lieu d’ici à l’été 2023, doit être une opportunité.

Il faut d’abord réaffirmer la nécessité pour l’Union de se doter de nouvelles ressources propres. En complément de la taxation sur les bénéfices des multinationales à hauteur de 15 %, qui entrera en vigueur le 31 décembre 2023, d’autres solutions existent : l’extension du marché carbone européen, la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou encore la création d’une nouvelle taxe sur les transactions financières. Il est impératif de se doter de nouveaux moyens.

Ensuite, le recours à un emprunt européen mutualisé pour abonder un fonds de souveraineté européen sur le modèle du plan de relance post-covid ne doit pas être un tabou. Dans ce cadre, la Banque européenne d’investissement devra jouer pleinement son rôle et devenir le prêteur le plus vert au monde.

Le deuxième enjeu est d’éviter l’entrée en guerre commerciale et l’enlisement dans une spirale protectionniste. L’Union européenne doit se dégager de l’étau de l’affrontement sino-américain et poursuive sa stratégie d’ouverture au reste du monde, en développant les accords commerciaux tout en faisant preuve d’une vigilance et d’une exigence extrêmes s’agissant des clauses environnementales.

Le troisième enjeu porte sur le développement des compétences – objectif européen de l’année 2023 –, indispensable pour qualifier les salariés des secteurs d’avenir et réussir les transitions numérique et écologique.

La reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles évoquée par la Commission est importante pour faciliter les mobilités internes des travailleurs, mais elle devra s’accompagner d’échanges sur la création d’emplois de qualité et sur la dignité au travail.

Pour conclure, la réponse aux mesures protectionnistes des États-Unis, qui ont délibérément contourné les règles de l’Organisation mondiale du commerce, devra être d’ampleur, globale et ambitieuse.

Il nous faut éviter une guerre commerciale avec les États-Unis et négocier tout ce qui peut l’être, mais aussi, simultanément, adopter un plan industriel vert européen, concerté et innovant, en particulier dans ses modalités de financement, afin de réduire nos dépendances stratégiques.

Tels seront les enjeux des conseils européens extraordinaires des 9 et 10 février et des 23 et 24 mars prochains.

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