Intervention de Fabien Gay

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines — Débat d'actualité

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ici d’un enjeu capital pour l’avenir de nos industries, pour notre agriculture, pour l’emploi et pour le développement des territoires.

Les États-Unis, qui n’ont jamais été avares de mesures protectionnistes, engagent à présent 370 milliards de dollars dans leur loi de réduction de l’inflation, auxquels il faut ajouter les 52 milliards de dollars de subventions directes issues de leur Chips and Science Act. Leur objectif est de développer leur industrie et leurs technologies vertes, sans concertation avec leurs partenaires, notamment l’Union européenne.

L’affaire est extrêmement grave pour les secteurs stratégiques européens. Le président des États-Unis a confirmé cette nuit cette stratégie offensive dans son discours sur l’état de l’Union.

En effet, en contrepartie d’allégements fiscaux ou de subventions directes, les États-Unis incitent leurs citoyennes et citoyens à acheter des produits – véhicules électriques, batteries ou panneaux solaires – issus de leur territoire. Les dirigeants nord-américains ont donc décidé d’amplifier la guerre économique pour regagner des parts de marché mondiales et stimuler leur croissance.

Cet engagement pour le climat ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir l’industrie et l’agriculture européennes. Les Nord-Américains seraient d’ailleurs plus crédibles si, dans le même temps, ils ne renforçaient pas l’exploitation du gaz de schiste.

La vérité est que cette décision se combine avec l’offensive guerrière de Poutine et que l’environnement est un prétexte pour dominer de nombreux secteurs industriels, le tout sur fond du recul prévisible des pays occidentaux dans la production des richesses mondiales.

Nous avions déjà constaté la prédominance des États-Unis dans les industries pharmaceutique et numérique durant la période de la pandémie. À présent, les États-Unis se renforcent, contre l’Union européenne, dans l’industrie de l’armement, dans les secteurs de l’énergie, des transports maritimes et du transport agroalimentaire.

Ils cherchent à rendre leur pays attractif pour les entreprises d’avenir, celles qui mettront en place les technologies performantes de demain, en captant pour leurs sociétés multinationales des savoir-faire, des brevets, des compétences et des entreprises.

Ils le font, évidemment, en contradiction avec les théories du libre-échange, qu’ils prônent notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce.

Ils le font dans le cadre de la guerre, qui les sert si bien pour affaiblir les industries automobiles allemande et française, mais aussi une multitude d’autres activités, qu’ils réimplantent dans une Europe qu’ils avaient quelque peu délaissée.

Ils le font en utilisant l’arme supplémentaire dont ils disposent : leur monnaie, la référence dans les échanges internationaux. Oui, le dollar est une machine de guerre, qu’ils utilisent comme telle !

Là où des enjeux stratégiques pour leur souveraineté ont émergé, les États-Unis ont toujours orienté leur économie et, surtout, ils l’ont toujours maîtrisée. À cela s’ajoute leur tentative de maîtriser la fourniture d’énergie.

Face à un tel risque de perte de souveraineté économique pour l’Union européenne, nous ne pouvons rester les bras ballants. Nous n’avons aucun intérêt à nous asseoir, encore, dans le fourgon américain.

Déjà, on parle de plus en plus, dans les milieux d’affaires, de délocaliser une part de nos productions aux États-Unis et au Canada pour profiter d’une énergie moins chère. Ce serait une nouvelle catastrophe pour l’emploi.

Nous pouvons pourtant nous défendre en consolidant nos marchés publics, qui représentent de 14 % à 19 % du produit intérieur brut européen.

Il convient donc, dans le cadre d’une planification sociale et écologique, de préparer notre industrie, nos services et notre agriculture aux défis d’avenir que sont les transitions écologique, technologique et numérique en investissant fortement dans les secteurs de la recherche et du développement.

Il existe, dans les textes européens, des dispositifs qui pourraient nous permettre de nous défendre. Ainsi, le traité de Rome nous permet d’utiliser la préférence communautaire comme une arme défensive et de taxer les importations nord-américaines. De même, lorsque des secteurs entiers sont à ce point menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.

Autrement dit, nous n’avons aucun intérêt à adopter une attitude suiviste à l’égard des États-Unis. Il nous faut au contraire faire entendre une voix autonome, pour obtenir un cessez-le-feu et parvenir à la paix en Ukraine.

Chacun comprend bien que l’alignement sur la stratégie militaire américaine empêche l’Union européenne, et surtout la France, de défendre ses intérêts stratégiques.

Or nous devrions avoir l’audace de bâtir des consortiums européens publics dans des secteurs comme le numérique, l’hydrogène vert ou encore l’énergie solaire, en favorisant des coopérations dans l’industrie automobile de demain, le transport maritime ou aérien.

Nous devrions avoir l’audace de réviser le marché unique de l’énergie, qui est un frein au développement.

Enfin, nous devrions avoir l’audace de modifier les règles budgétaires européennes afin de favoriser les investissements du futur. De ce point de vue, un fonds de développement européen offrant des crédits à taux nul serait utile et efficace.

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