Intervention de Valérie Boyer

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Reconnaissance du génocide des assyro-chaldéens de 1915-1918 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Valérie BoyerValérie Boyer :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a près de huit années, je poussais les portes du Sénat ; j’étais alors présente non pas dans cet hémicycle, mais dans les tribunes.

Je veux saluer les représentants de l’association des Assyro-Chaldéens en France, le président Marius Yaramis, François Pupponi, Georges Oclin, les élus Tony Fidan et Jean Samat, le professeur Efrem Yildiz, le président du Seyfo Center, Sabri Atman, et tous ceux qui n’ont pu être à leurs côtés dans nos tribunes, mais qui suivent notre débat.

Permettez-moi de saluer, plus particulièrement, le professeur Joseph Yacoub et son épouse Claire. Vous êtes les enfants, les rescapés d’une entreprise de destruction massive, d’un génocide.

Il y a plus de onze ans, le Sénat marquait l’histoire en votant le texte que j’avais présenté au Parlement sur la pénalisation du négationnisme du génocide de 1915.

Il y a près de vingt-deux ans, malgré les pressions diplomatiques, le Parlement votait la reconnaissance du génocide arménien. Je n’imaginais pas, à cette époque, siéger dans cet hémicycle et devoir de nouveau parler d’un génocide.

Je tiens à remercier le président Larcher d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918.

Je veux aussi remercier, plus particulièrement, Bruno Retailleau, qui s’est toujours mobilisé sur ce sujet, ainsi que le président Hervé Marseille, qui a accepté de s’engager à nos côtés.

Aussi, en ce 8 février 2023, j’espère que nous saurons nous rassembler pour une cause universelle, qui nous transcende, celle de la justice et des droits humains. Même si l’histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel.

Pour la première fois en France, la question du génocide des Assyro-Chaldéens fait l’objet d’un débat public, suivi d’un vote.

Nous ne le disons pas suffisamment, mais oui, le destin de l’Occident et l’avenir de l’Orient sont intimement liés. Le sort des chrétiens d’Orient et des autres minorités, notamment les Yézidis, peut être considéré comme un prélude à notre propre sort. Aujourd’hui encore, les chrétiens d’Orient sont en danger de mort et nous sommes les témoins de ce massacre annoncé, et même revendiqué.

Souvenons-nous du 8 juin 2014 : Daech en Irak et au Levant prenait le contrôle de la ville de Mossoul, l’ancienne Ninive, capitale des empires assyriens, qui comptait autrefois plus de 30 000 chrétiens assyro-chaldéens.

Ces barbares ont provoqué la fuite de près de 10 000 chrétiens de cette ville dans laquelle les maisons appartenant à la communauté assyro-chaldéenne ont été marquées de la lettre n oun, en référence au terme « Nazaréen », qui désigne les chrétiens. Ces derniers ont été sommés de se convertir à l’islam, de payer la jizya ou de quitter la ville sans rien emporter avec eux sous peine d’être mis à mort. Cette cité s’est vidée en quelques jours de toute sa population chrétienne.

Selon l’Évangile de Saint-Luc, « s’ils se taisent, les pierres crieront ». Mais il sera trop tard. Et demain, qui parlera l’araméen ? Qui parlera la langue du Christ ?

Cent huit ans après 1915, l’histoire bégaie. Ce qui fut à l’époque le premier génocide du XXe siècle, perpétré par l’Empire ottoman turc, a fait plus de 2, 5 millions de victimes chrétiennes d’origines arménienne, assyro-chaldéenne, syriaque et grecque pontique. Les motifs étaient prétendument laïcistes, mais il s’agissait d’une épuration ethnique ; ils sont islamistes aujourd’hui, mais la méthode reste exactement la même.

Ce génocide revêtait différentes formes et n’épargnait rien : il était physique, culturel et cultuel. Plus de la moitié de la communauté, estimée à environ 500 000 membres, fut martyrisée. Ce fut une politique d’élimination concertée et planifiée, reposant sur une abondante documentation en plusieurs langues.

C’est pourquoi j’avais décidé de déposer dès 2015, à l’Assemblée nationale, une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens. Je l’ai redéposée en février 2022, avec Bruno Retailleau, et nous nous étions engagés à l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, ce que nous avons fait avec cette proposition de résolution. Et j’apprends aujourd’hui que notre collègue député Raphaël Schellenberger, vice-président du groupe d’études chrétiens d’Orient vient de déposer, aujourd’hui, le même texte à l’Assemblée nationale.

Je veux le redire, nous avons un rôle de protection envers les chrétiens d’Orient, qui est l’héritage d’une longue histoire remontant aux Capitulations signées par François Ier avec le sultan Soliman le Magnifique en 1536.

La mémoire et l’histoire contribuent à l’identité des peuples. L’oubli et la négation portent atteinte au respect de la dignité humaine. Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes, pour ne pas faire rougir l’histoire !

Il y a un siècle, le génocide des Assyro-Chaldéens-Syriaques a été ignoré ; il continue d’être méconnu, tout comme le sort des chrétiens d’Orient aujourd’hui. Malheureusement, au travers de ce texte, nous parlons autant d’histoire que d’actualité.

Pour les chrétiens d’Orient, l’histoire bégaie : ils font toujours face à une volonté de les éradiquer, de les éliminer, de les effacer. Actuellement, selon la fondation Aide à l’Église en Détresse (AED), un chrétien sur sept est fortement persécuté et discriminé en raison de sa foi, soit 360 millions de personnes.

Aujourd’hui encore, le président Erdogan fait régulièrement allusion, de façon extrêmement méprisante et menaçante, aux « restes de l’épée », ou aux « résidus de l’épée », cette épée qui a massacré les chrétiens d’Orient en 1915 ; il désigne ainsi, de manière abjecte, les survivants des génocides. Ces propos font peser une menace, celle de poursuivre cette extermination.

Hier comme aujourd’hui, nous sommes face à une communauté désarmée, petite en nombre, mais majestueuse par sa culture.

Hier comme aujourd’hui, nous sommes face à un peuple qui devient le bouc émissaire d’une radicalisation instrumentalisée par ceux qui veulent imposer par la force et la violence un régime qui n’a rien à voir ni à faire avec la religion, mais tout à voir avec la conquête du pouvoir et l’assouvissement des pires instincts humains.

Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays et de multiples organisations internationales, et considéré comme l’un des quatre génocides officiellement acceptés par l’Organisation des Nations unies (ONU), le massacre des Assyro-Chaldéens souffre d’un manque de reconnaissance en tant que génocide.

Si, comme le dit le Président de la République, la France veut regarder l’histoire en face, elle ne doit oublier personne.

Ce manque de reconnaissance est sans doute dû au fait que la nation assyrienne est souvent méconnue. D’ailleurs, l’Europe n’a jamais placé le sort des chrétiens d’Orient au premier rang de ses priorités – et c’est regrettable – parce que ceux-ci sont minoritaires, parce que nous dépendons de certains pays pour notre approvisionnement énergétique, parce que l’Europe a mauvaise conscience en raison de sa lourde responsabilité dans les conflits qui ravagent le Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais nous avons appris de nos erreurs, nous avons payé le prix de nos fautes. Et parce que nous sommes à la fois les protecteurs historiques des chrétiens d’Orient, mais aussi le pays des droits de l’homme, ces génocides du XXe siècle comme du XXIe siècle ne doivent pas rencontrer la passivité de la communauté internationale, laquelle empêcherait de protéger ces populations.

La lutte contre la barbarie doit mobiliser l’ensemble des pays du monde et nous devons reconnaître le génocide des chrétiens d’Orient. Les actes commis par les forces ottomanes il y a plus d’un siècle, comme ceux qui sont commis aujourd’hui par Daech, doivent être considérés comme un génocide et comme un crime contre l’humanité.

Hélas, nous ne pouvons que déplorer la passivité de l’ONU en termes de protection de ces minorités, victimes de tortures et de purification ethnique. C’est pourquoi il est impératif que la plainte déposée auprès de la Cour pénale internationale (CPI) par la Coordination des chrétiens d’Orient en danger aboutisse.

Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, affirmait le 20 juillet 2015 que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l’humanité. Mais il s’agit aussi d’un véritable génocide, comme je l’avais dénoncé à l’Assemblée nationale.

Ces génocides sont aussi la matrice de notre civilisation et nous obligent à agir au nom de l’histoire et des engagements de la France.

Comme l’explique Joseph Yacoub, « ce génocide physique et cette spoliation des terres et des biens étaient accompagnés d’atteintes graves à l’héritage culturel ». Malheureusement, ces exactions se poursuivent. Comme aujourd’hui les Arméniens de l’Artsakh, les Assyro-Chaldéens se sont vus déposséder d’une grande partie de leurs lieux de vie, de culture et de mémoire. En tout, plus de 400 églises et monastères ont été ruinés. Plus de 250 000 Assyro-Chaldéens-Syriaques, soit plus de la moitié de cette population, ont péri des mains des Turcs et des irréguliers kurdes utilisés à ces fins.

Aussi, notre texte a plusieurs objectifs.

Nous demandons notamment au Gouvernement de reconnaître officiellement que l’extermination de masse, la déportation et la suppression de l’héritage culturel de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens par les autorités ottomanes entre 1915 et 1918 constituent un génocide.

Nous l’invitons aussi à condamner publiquement ce génocide et à faire du 24 avril la date de commémoration annuelle du génocide arménien et du génocide assyro-chaldéen. Et à ceux qui parlent de « concurrence des victimes », je réponds « universalité des victimes » et « universalité de la cause ». Rappelons-nous cette phrase d’Élie Wiesel : « En niant l’existence d’un génocide, en l’oubliant, on assassine les victimes une seconde fois. »

Avec cette proposition de résolution, nous donnons l’occasion à la France d’inspirer ses voisins européens et, plus largement, les démocraties occidentales. Nous demandons à celles-ci de rester éveillées, afin que ces exactions cessent de se perpétuer dans l’indifférence générale.

En votant cette proposition de résolution, à laquelle je vous remercie de vous associer, mes chers collègues, vous marqueriez de nouveau l’histoire en considérant les Assyro-Chaldéens comme un peuple non plus classé en marge, mais inséré dans l’histoire.

Je conclurai en citant ces mots prononcés par Patrick Devedjian lors de la reconnaissance du génocide de 1915 par l’Assemblée nationale : « Nous leur devons ce linceul de mémoire, nous leur devons cette dignité. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion