Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Reconnaissance du génocide des assyro-chaldéens de 1915-1918 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant écouté l’intervention précédente, je tiens à faire part clairement et nettement de la compassion que le groupe Les Républicains éprouve pour les deux peuples aujourd’hui endeuillés, le peuple turc et le peuple syrien. Et lorsque j’évoquerai l’Empire ottoman, M. Erdogan, le rôle de la Turquie encore aujourd’hui, je parlerai d’un régime et non d’un peuple, car je distingue ce régime et ce peuple.

Chers amis, chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons constitue une démarche historique. Au travers de ce texte, Valérie Boyer et beaucoup d’entre nous avons voulu poser deux actes importants : un acte de reconnaissance et un acte de résistance.

L’acte de reconnaissance est nécessaire et a été explicité par les deux précédents orateurs.

Qui sait encore que, entre 1915 et 1918, plus de la moitié du peuple assyro-chaldéen fut rayée de la carte ? Qui sait que le nombre de ces victimes s’est élevé à cette époque à plus de 250 000 personnes – hommes, femmes, enfants, vieillards –, qui furent massacrées dans des conditions terribles : elles moururent de mort violente, atroce, mais aussi de mort lente, à petit feu, abandonnées sur les routes de l’exode et de la déportation à travers les déserts brûlants de Mésopotamie.

Cette réalité, nous devons la reconnaître aujourd’hui, d’autant plus – je veux le rappeler devant la Haute Assemblée – que ce crime génocidaire est contemporain d’un autre génocide : le génocide arménien, que le Sénat fut la première assemblée à reconnaître, en première lecture, voilà désormais près de vingt-trois ans, sous l’impulsion du président Jacques Chirac.

Ces deux génocides, tout comme ces morts, sont liés. Il est donc logique que la reconnaissance s’étende aussi à ce petit peuple assyro-chaldéen, sans frontières et sans État, mais dont l’histoire est grande.

On peut établir un parallèle entre ces deux histoires puisque la mécanique génocidaire dont furent victimes le peuple arménien et le peuple assyro-chaldéen fut la même : des exécutions ont été méthodiquement mises en œuvre, mais surtout méticuleusement planifiées. Ces peuples furent massacrés non pas en raison de leurs actes, non pas pour ce qu’ils firent, mais pour ce qu’ils étaient : des peuples qui n’étaient pas turcs ottomans, qui n’était pas musulmans, mais simplement chrétiens, comme il s’en trouvait beaucoup dans cette région du monde il y a plusieurs siècles ; car leurs racines plongeaient profondément dans cette géographie et cette histoire particulières.

Comme pour le peuple arménien, il a fallu que les auteurs, notamment ottomans, de ces exactions et leurs supplétifs aillent jusqu’à effacer la culture du peuple assyro-chaldéen. Car la culture est le plus court chemin de l’homme à l’homme. Quand on veut détruire un peuple, on cherche à effacer son empreinte culturelle, à détruire tout ce qui peut ressembler à une architecture – des églises, des monastères –, c’est-à-dire à une culture dans toute sa profondeur.

Le parallèle s’arrête là puisque, si nous avons reconnu solennellement le génocide arménien, il n’en fut pas de même du génocide du peuple assyro-chaldéen, du fait sans doute qu’il n’était pas doté d’un État, sans doute aussi du fait de réticences, que j’entends exprimer de nouveau, à désigner le successeur de l’Empire ottoman, la Turquie.

Ce texte est donc un acte de vérité au regard de l’histoire, mais également un acte de résistance face au négationnisme et au fatalisme.

Un acte de résistance face au négationnisme, d’abord, au moment même où, dans le monde, l’histoire est instrumentalisée. Parlant de négationnisme pour ce qui concerne les génocides arménien et assyro-chaldéen, il convient de prononcer le nom de M. Erdogan. Si M. Erdogan cherche aujourd’hui à réécrire l’histoire, c’est parce qu’il cherche à reconstruire l’Empire ottoman. Tous les régimes autoritaires procèdent de la même façon : réécrire l’histoire et faire la guerre pour tenter d’accomplir des desseins impérialistes.

Un acte de résistance face au fatalisme, ensuite : certains pourraient en effet être tentés de nous demander s’il est bien nécessaire de se préoccuper de ce petit peuple, lointain, sans État et sans frontière. Or, bien sûr, il faut s’en préoccuper !

Ce peuple, aujourd’hui rassemblé dans l’ancienne Babylone, a une histoire multiséculaire.

La première fois que je suis allé en Irak, en août 2014, quelques semaines après la proclamation à Mossoul du califat par M. Al-Baghdadi – j’étais à cette époque le premier parlementaire à me rendre dans ce pays –, j’ai vu les traces vivantes de ce peuple. Ses membres étaient évidemment moins nombreux sur ce territoire qu’ils ne l’avaient été au cours des siècles, voire des millénaires passés, et qu’ils ne le sont dans la diaspora d’aujourd’hui, dispersée au travers de la planète, mais j’ai vu leur courage et leur résistance face à Daech.

J’ai vu aussi les efforts de ce peuple qui n’avait cessé au cours des âges, de génération en génération, de jeter des passerelles culturelles, y compris religieuses, entre toutes les communautés. Et c’était souvent le seul trait d’union entre ces communautés, quelles qu’elles soient.

Je veux, à cet égard, saluer la figure du cardinal Sako, le patriarche de ces églises ; ceux qui connaissent son action savent quelle est l’œuvre de la communauté assyro-chaldéenne, notamment en Irak.

Nous vous proposons d’adopter cette proposition de résolution, non pas au nom du passé, mais au nom de l’avenir d’un peuple, certes dépourvu d’État, mais non de mémoire.

Nous ne pouvons pas, mes chers collègues, laisser les membres de ce peuple seuls avec leur malheur. Il y va aussi de notre avenir, au moment où l’histoire est en proie aux idéologies. Leur avenir nous concerne aussi !

Bien sûr, plus de cent ans après cette tragédie, il est trop tard pour sauver les victimes et punir les coupables et les bourreaux. Mais il n’est jamais trop tard pour nommer les choses et pour rendre justice aux victimes d’hier et aux vivants aujourd’hui.

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