Intervention de François Bonneau

Réunion du 8 février 2023 à 15h00
Reconnaissance du génocide des assyro-chaldéens de 1915-1918 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de François BonneauFrançois Bonneau :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour commencer, j’adresse une pensée, de la part de notre groupe, à toutes les victimes des terribles tremblements de terre survenus en Turquie et en Syrie. Les drames humains qui se déroulent actuellement au cœur de l’hiver sont terribles.

Dans son ouvrage daté de 1920, Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens massacrés par les Turcs, Joseph Naayem, un ancien aumônier des prisonniers de guerre alliés en Turquie et officier de l’instruction publique, transcrit les témoignages non seulement des victimes des atrocités de l’Empire ottoman, mais également des témoins oculaires.

Alors que le tribunal de la Conférence de la Paix allait se prononcer sur le sort de cet empire déchu, son objectif était de faire connaître aux juges et à l’opinion publique l’asservissement, depuis des siècles, de chrétiens en Arménie, en Asie Mineure et en Syrie. En apportant ces témoignages, Joseph Naayem a souhaité graver dans le marbre la mémoire d’un peuple oublié.

Il dit notamment : « J’ai à cœur d’établir le martyrologe d’un petit peuple, le plus intéressant, mais en même temps le plus abandonné, issu d’un grand empire de la plus ancienne civilisation du monde, dont le pays fut, comme l’Arménie, le théâtre des abominations turques dont les hommes furent tragiquement assassinés, les femmes, les enfants et les vieillards déportés au désert, pillés, martyrisés, soumis aux pires outrages. Ce peuple, c’est le peuple assyro-chaldéen. »

Durant la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman décimait les populations arméniennes et les Assyro-Chaldéens, se rendant coupable de crimes contre l’humanité. Alors que l’un a été reconnu comme un génocide par la loi du 19 janvier 2001, la reconnaissance de l’autre est toujours suspendue, plus de cent ans après les faits.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est pourtant claire à ce sujet : un génocide doit répondre à plusieurs critères, énumérés dans son article 2. Il est reconnu dans le cas d’« actes, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il peut s’agir d’un meurtre, d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, d’une soumission intentionnelle ou encore d’un transfert forcé d’enfants.

Exodes, famines, déportations, viols, enlèvements, acculturation ou encore conversions forcées, voilà ce qu’ont subi les victimes assyro-chaldéennes de 1915 à 1918.

Les massacres se déroulaient dans un périmètre très vaste : en Anatolie orientale, en Perse et dans la province de Mossoul, c’est-à-dire dans des lieux identiques à ceux où périssaient les Arméniens.

Dans les deux cas, les nationalistes turcs souhaitaient éliminer les groupes non turcs et non musulmans de zones géographiques trop sensibles en les exterminant, en les dispersant ou en les déportant, afin d’homogénéiser l’Empire. Nul doute n’est permis : il s’agit bien d’un génocide.

Nous sommes la France, le pays des droits universels, des droits de l’homme et du citoyen. Il y va de notre héritage, il y va de notre honneur de reconnaître ce génocide, en dehors de toute autre considération vis-à-vis du pays qui nie ces faits. Reconnaître publiquement et officiellement est une manière de ne pas occulter ces drames et ces massacres perpétrés à l’encontre de ces grands oubliés dans l’ombre des victimes arméniennes.

Alors que les yeux du monde étaient tournés sur les événements de la Première Guerre mondiale en Europe, l’Empire ottoman a assurément su profiter de la conjoncture pour se débarrasser de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui ne demandaient qu’à vivre sur ce sol, comme leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux.

Sous la Turquie de Mustapha Kemal, les communautés assyro-chaldéennes ont été marginalisées. Ces questions ne pouvaient émerger au niveau collectif ou sur le plan politique en raison du nationalisme ambiant, turc comme arabe. Ce n’est qu’à partir des années 1980 qu’un débat s’est ouvert sur ces massacres, par le biais des enfants et des petits-enfants de la diaspora. Les autorités turques actuelles, issues de l’ancien Empire ottoman, refusent d’admettre leurs responsabilités et leurs actions génocidaires face à des minorités culturelles et religieuses.

S’il est toujours nié par Ankara, au même titre que le génocide arménien, le massacre des Assyro-Chaldéens est aujourd’hui reconnu par la Suède, par le Parlement néerlandais, par l’Australie, par l’Arménie ainsi que par le Vatican.

En 2023, il n’est plus acceptable que l’État turc refuse de se confronter à cette cruelle réalité historique, celle qui a coûté la vie à plus de 250 000 Assyro-Chaldéens en trois ans et réduit en esclavage des milliers d’autres.

L’heure est venue d’une reconnaissance officielle de ces crimes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire un génocide. Cette reconnaissance est indispensable et pourra permettre de créer une lame de fond, afin qu’un jour le gouvernement turc l’admette à son tour. L’histoire des nations est bâtie de faits glorieux et hideux, il est de la grandeur d’un peuple de l’admettre.

Il est triste de constater que l’histoire est bien souvent cyclique pour les minorités ; elle se répète. L’hostilité à l’égard de ces populations reste prégnante dans ces régions. À titre d’exemple, l’engagement politique et militaire de la Turquie avec l’Azerbaïdjan contre les Arméniens au Haut-Karabakh a mis à nu le passé et a révélé la manière, particulièrement grave, dont sont traitées les minorités chrétiennes.

Comment ne pas rapprocher le massacre des Assyro-Chaldéens du XXe siècle des tueries meurtrières des chrétiens et des yézidis d’Irak et de Syrie par Daech ces dernières années ? Les motivations et le contexte politiques sont certes différents, mais les conséquences sont similaires : des événements laissant des milliers de morts et qui ont ébranlé les fondements mêmes de la vie de l’ensemble de ces communautés.

Dans ces deux cas, des groupes minoritaires religieux ont été ciblés de manière systématique en raison de leur foi et ont été soumis à des violences extrêmes. Ils ont été condamnés sans autre issue que celle de fuir ou de mourir.

La reconnaissance du massacre des Assyro-Chaldéens en tant que génocide et la condamnation des actes de Daech contre les populations chrétiennes et yézidies sont des premiers pas importants pour faire face à ces crimes contre l’humanité et pour prévenir leur répétition à l’avenir.

Oui, cela fait plus d’un siècle, mais ne nous disons pas qu’il est trop tard, car ce serait une erreur, une nouvelle erreur. Il n’est jamais trop tard pour rendre hommage aux victimes. En reconnaissant l’existence du génocide, nous honorons leur mémoire et leur sacrifice, leur permettant ainsi de maintenir leur identité culturelle et religieuse.

Il n’est jamais trop tard pour préserver l’histoire. En reconnaissant le génocide, nous nous assurons que ses leçons ne sont pas effacées et que les drames du passé ne finiront pas dans l’oubli.

Il n’est jamais trop tard pour offrir une justice aux victimes. Reconnaître le génocide, c’est en quelque sorte apporter une forme de réparation pour la souffrance et les sacrifices du peuple assyro-chaldéen.

En somme, il n’est jamais trop tard pour éveiller les consciences. La reconnaissance ne pourra que sensibiliser l’opinion publique aux causes et aux conséquences de ces tragédies et inciter d’autres pays à prendre des mesures en ce sens.

La démarche engagée par Mme la sénatrice Valérie Boyer et M. le président Bruno Retailleau est importante. Il ne s’agit pas de procéder à une réécriture de l’histoire, mais de reconnaître, de mettre les mots sur la vague meurtrière qui s’est abattue sur ce peuple chrétien du Proche-Orient. Le groupe Union Centriste, dans sa très grande majorité, votera pour la proposition de résolution.

Mes chers collègues, je ne peux que vous encourager à soutenir ce texte. Il ne s’agit pas d’un simple vote, mais d’un acte réparateur, d’un acte de justice pour se souvenir de ce génocide trop souvent oublié.

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