Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 février 2023 à 10h30
Proposition de résolution européenne visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en iran — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, rapporteur :

La répression par les autorités iraniennes du mouvement de contestation de l'automne 2022, à la suite de la mort de Mahsa Amini, a été d'autant plus brutale et révoltante qu'elle s'est abattue sur une population qui s'est soulevée contre les violences policières et pour la défense des droits des femmes. Je rappelle que cette étudiante de 22 ans a été arrêtée par la police des moeurs iranienne au seul motif d'avoir mal mis son voile.

De la fin septembre à la mi-décembre 2022, le mouvement de contestation populaire s'est étendu à tout le territoire iranien. Alors que les slogans et protestations étaient initialement centrés sur la défense des droits des femmes, ceux-ci se sont élargis à une remise en cause du port du voile, des méthodes policières, du clergé chiite et du Guide, l'ayatollah Khamenei, lui-même.

La réaction des autorités a été brutale. Le bilan de cette répression est, selon les organisations non gouvernementales (ONG) de 527 morts, avec près de 20 000 personnes arrêtées. Plus de vingt personnes ont été condamnées à mort et cinq d'entre elles ont été exécutées en décembre 2022 et janvier 2023. Il convient de dénoncer ici une stratégie policière de la terreur faite de tabassages au hasard dans les rues, de rafles aléatoires de groupes d'étudiants, de contrôle des réseaux sociaux et d'arrestations arbitraires. Elle se double d'une stratégie judiciaire de dissuasion qui fonctionne par l'incertitude de l'issue des procédures judiciaires, une simple arrestation pouvant conduire à des peines de prison disproportionnées, voire à la peine de mort.

En raison de ce climat de terreur, on peut comprendre que les manifestations aient presque totalement cessé en Iran. Nous n'en mesurons que mieux le courage de ces manifestantes qui ont ôté leur voile. On nous rapporte que la fracture est profonde entre les Iraniens et les autorités et que la contestation perdure dans la désobéissance civile, sur fond de crise économique, de coupures de gaz massives en plein hiver et de pénurie de produits de première nécessité.

En janvier dernier, notre commission a dénoncé, par un communiqué de presse, cette violence d'État et appelé à cesser les exécutions de condamnés à mort. Nous avons, ici même, entendu notre ambassadeur de France à Téhéran, Nicolas Roche, nous décrire le niveau de tension rarement atteint depuis la fondation de la République islamique en 1979. La lecture des considérants de la PPRE est édifiante quant au panel des violences perpétrées - tirs à balles réelles, détentions arbitraires, etc. - ou des menaces proférées - le ministre de l'éducation avait annoncé de possibles internements en centres de rééducation.

Compte tenu de cette situation, il est bien dans notre rôle de dénoncer les violations des droits de l'Homme en Iran et de soutenir le peuple iranien dans ses aspirations légitimes. Et au-delà des condamnations de principe, il est aussi légitime que nous nous interrogions sur les actes et les mesures à prendre pour conduire les autorités iraniennes à cesser ces violences sur sa propre population.

Cette PPRE visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran a pour objet d'appeler le Gouvernement et l'Union européenne à renforcer les sanctions contre l'Iran au titre des violations des droits de l'Homme. Elle relève donc du champ de compétence des affaires étrangères ; c'est donc à ce titre que notre commission s'en saisit.

Je commencerai par un bref point de procédure. C'est notre collègue Nathalie Goulet qui a été à l'initiative de cette proposition de résolution européenne déposée le 4 janvier dernier. J'en ai été nommé le rapporteur par la commission des affaires européennes qui l'a adoptée le 2 février dernier, à l'unanimité, au bénéfice de modifications et de reformulations que je qualifierais de substantielles, précisément dans le but de réunir le consensus le plus large autour d'un texte qui aurait vocation à porter la voix du Sénat dans la condamnation et l'appel à des sanctions vis-à-vis des autorités iraniennes.

En effet, la PPRE initiale de Mme Goulet franchissait plusieurs lignes rouges, les principales étant la cessation de l'accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPoA), le recensement des étudiants iraniens et leur expulsion en cas de lien familial avec des responsables iraniens frappés de sanctions pour violations des droits de l'Homme, enfin l'inscription du corps des Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes. Je reviendrai plus en détail sur ces points.

Enfin, je n'oublie pas que notre collègue François Patriat et les membres de son groupe ont déposé le 1er décembre 2022 une proposition de résolution (PPR) en soutien au mouvement pour la liberté du peuple iranien. Ce texte relève d'une autre procédure qui ne donne pas lieu à un examen par une commission permanente. Déposée alors que des manifestations avaient encore lieu, et avant que le régime iranien ne procède à l'exécution de condamnés à mort, cette proposition de résolution, similaire à celle qui a été adoptée en novembre 2022 par l'Assemblée nationale, comporte notamment un important volet visant à condamner l'usage brutal et disproportionné de la force, les discriminations à l'encontre des femmes et des groupes minoritaires, l'usage de la torture et des mauvais traitements en détention. En revanche, elle ne prévoit pas d'appel à sanctions.

Même si elles ne relèvent pas des mêmes procédures d'examen, j'ai constaté que la PPRE de Mme Goulet et la PPR de M. Patriat étaient complémentaires, ce qui a forgé la méthode avec laquelle j'ai préparé le texte adopté par la commission des affaires européennes et qui vous est proposé ce matin.

Ainsi, les condamnations des pratiques des autorités iraniennes et le soutien au peuple iranien dans son aspiration à la démocratie et au respect de ses droits et libertés fondamentales ont été ajoutés dans le texte de la commission des affaires européennes, reprenant l'esprit de la PPR de M. Patriat. À l'inverse, le volet relatif aux sanctions contenu dans la PPRE de Mme Goulet devait impérativement être révisé à l'aune d'une lecture en phase avec les engagements internationaux de la France, notamment le JCPoA, ce qui suppose de ne pas rompre unilatéralement le dialogue avec l'Iran - ou ce qu'il en reste -, car tel n'est ni l'intérêt ni la volonté de la France. Conserver un canal de discussion s'avère indispensable, ne serait-ce que pour observer et condamner les manquements de l'Iran en matière nucléaire, mais aussi pour maintenir le contact avec nos ressortissants détenus arbitrairement en Iran, que nous désignons dorénavant sous les termes d'« otages d'État » depuis la diffusion par l'Iran en octobre dernier d'aveux forcés.

Au final, la proposition de résolution européenne modifiée et adoptée par la commission des affaires européennes que je vous propose d'adopter répond aux principes de méthode suivants : une convergence entre les deux textes ; la suppression de certaines lignes rouges, comme la sortie du JCPoA, d'une part, et le recensement et l'expulsion d'étudiants iraniens, d'autre part. Je trouvais choquant qu'on applique des sanctions à de jeunes hommes et femmes qui n'auraient a priori rien commis et dont la seule faute serait que les parents aient, eux, commis d'autres fautes. Cela me fait un peu penser au Sippenhaft allemand... Nous ne pouvons proposer, dans un tel texte, des sanctions ou des méthodes qui seraient contraires à nos propres valeurs. C'est pour cette raison que j'ai supprimé ce point.

Sur le nucléaire, laissons les négociations suivre leur cours.

Le texte prévoit de réécrire les appels à sanction selon une approche progressive. Nous prévoyons trois graduations dans l'évolution des sanctions demandées.

Premièrement, il s'agit d'élargir la liste des personnes et des entités qui font l'objet de mesures restrictives au titre du régime des droits de l'Homme. Il existe deux régimes de sanctions : un régime au titre des droits de l'Homme, qui est évoqué ici ; et un autre régime d'ordre plus judiciaire sur lequel nous reviendrons.

Quatre trains de sanctions ont d'ores et déjà été décidés par le Conseil de l'Union européenne les 17 octobre, 14 novembre, 12 décembre et 23 janvier dernier. Un cinquième paquet de sanctions serait en préparation pour la prochaine réunion du Conseil le 20 février prochain.

Deuxièmement, en cas de poursuite des atteintes aux droits fondamentaux et de maintien en détention des otages d'État, il est demandé d'élargir le panel et de renforcer les sanctions à d'autres mesures pouvant inclure des restrictions d'accès aux marchés de capitaux et à l'espace aérien de l'Union. Sur l'espace aérien, notre reformulation tient compte du besoin de maintenir un minimum de flux pour permettre à ceux qui veulent quitter l'Iran de le faire.

Nous nous réjouissons de la libération de Fariba Adelkhah, et exprimons notre soulagement. Pour autant, il faut se souvenir qu'elle a déjà été libérée, puis réincarcérée par le passé. Aussi, la priorité reste avant tout que son statut soit clarifié et qu'elle recouvre l'ensemble de ses libertés, y compris celle de revenir en France et de retourner librement en Iran - nos diplomates y travaillent activement. Par ailleurs, le sort de nos six autres ressortissants n'a pas évolué, raison pour laquelle notre communication doit être maîtrisée sur ce sujet.

Troisièmement, la possibilité d'inscrire des groupes et entités tels que le corps des Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes de l'Union a fait l'objet d'une rédaction - elle-même objet d'un amendement - qui tient compte de la temporalité politique et des conditions juridiques d'une telle mesure, à savoir « le moment venu » - les ministres des affaires étrangères du Conseil de l'Union européenne sont appelés à se réunir le 20 février prochain, et ultérieurement, pour se prononcer sur un nouveau paquet de sanctions - et « sur la base de décisions de justice » - ce n'est pas qu'une formule de style puisque le prononcé par une autorité judiciaire d'une condamnation dans une activité criminelle est une condition en cours d'examen par le service juridique du Conseil. Attendons cette réponse.

Je pourrais rentrer plus dans le détail s'agissant de la dénonciation du soutien militaire apporté par l'Iran à la Russie, le manque de coopération de l'Iran dans la mise en oeuvre du JCPoA ou encore de la fermeture de l'Institut français de recherche en Iran (Ifri).

Telles sont les principales caractéristiques de cette proposition de résolution européenne, et je vous proposerai deux amendements de précision rédactionnelle.

Pour conclure, je voudrais que nous ne perdions pas de vue que notre but premier est de soutenir le peuple iranien en nous gardant de l'instrumentalisation que peuvent en faire les autorités iraniennes. L'exercice des sanctions est toujours difficile à appréhender dans la mesure où ce régime tient l'étranger pour responsable des manifestations de l'automne 2022 et prend explicitement la France pour cible.

Nous ne devons transiger ni sur nos valeurs ni sur le message de fermeté à adresser aux autorités iraniennes, sans leur fournir de prétexte à une rupture ou une réaction irrémédiable. En ce sens, et sous réserve de notre débat, je forme le voeu que nous puissions exprimer des messages forts de soutien aux droits des femmes iraniennes, de condamnation et de sanction à l'encontre des autorités iraniennes, dans l'esprit de responsabilité qui nous anime.

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