Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Cour pénale internationale (CPI) sur l'exécution des peines prononcées par la Cour, signé le 11 octobre 2021.
Si la justice pénale internationale trouve son origine dans les tribunaux militaires institués à l'issue de la Seconde Guerre mondiale à Nuremberg et à Tokyo, la CPI a été créée par le statut de Rome du 17 juillet 1998, entré en vigueur en juillet 2002. La France l'a, pour sa part, signé dès son origine et ratifié en juin 2000. À ce jour, le statut de Rome compte 123 États parties. On peut regretter que 7 membres du G20 - les États-Unis, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, la Russie, l'Arabie saoudite et la Turquie - refusent toujours de reconnaître l'autorité de la Cour pénale internationale.
La compétence de la Cour, juridiction pénale universelle permanente, est limitée aux « crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale », comme les génocides, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre ou, dans certains cas, les crimes d'agression qui sont commis par des ressortissants des États parties ou sur le territoire des États parties. La Cour peut également exercer sa compétence pour les crimes qui lui sont déférés par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette compétence est régie par le principe de complémentarité : elle ne décharge pas les États de leur responsabilité première et n'intervient que lorsque les États n'ont pas été en mesure ou n'ont pas eu la volonté de juger les crimes relevant de leur compétence.
Après vingt ans d'existence et en dépit d'un budget annuel de plus de 150 millions d'euros, le bilan de la CPI peut paraître modeste : elle n'a à ce jour prononcé que 5 condamnations définitives et 4 acquittements. La durée des procédures est due à plusieurs facteurs : outre la complexité intrinsèque des dossiers internationaux et la difficulté d'accéder aux lieux des crimes et aux témoins, la Cour peut être confrontée à une absence de coopération des États et à la diversité linguistique des procédures.
Une autre critique régulièrement émise à l'égard de la Cour est plus politique : certains États africains, pourtant parties au statut de Rome, lui ont reproché le fait de ne poursuivre principalement que des responsables africains. Une stratégie de retrait complet des États africains a été envisagée en 2016, mais, heureusement, elle n'a été suivie que par le Burundi.
Il existe une longue tradition de coopération de la France avec la CPI.
La France a contribué à l'élaboration et à la promotion du statut de Rome. Elle promeut son universalité, la coopération pleine et entière avec la CPI et le soutien aux organisations de la société civile actives dans ce domaine.
Elle est d'ailleurs l'un des États qui coopèrent le plus avec la CPI. En 2021, elle a ainsi donné suite à une trentaine de demandes d'entraide émanent de la CPI. Elle a aussi relayé une dizaine de demandes de coopération émanant du Parquet national antiterroriste à destination de la CPI. La coopération entre la France et la Cour est jugée par tous fluide et opérationnelle.
La France est également le troisième contributeur au budget régulier de la Cour, derrière le Japon et l'Allemagne. Elle verse aussi des contributions volontaires exceptionnelles et met à disposition de la Cour des magistrats français. La langue française est, avec l'anglais, l'une de deux langues de travail de la Cour, même si la tentation est grande de favoriser l'anglais, ce que les autorités françaises combattent.
Enfin, la France est, avec le Sénégal, co-facilitateur du groupe de travail chargé de promouvoir et de faciliter la coopération des États parties avec la CPI. En effet, la coopération entre CPI et les États parties est indispensable, puisqu'elle n'a pas de police propre ni de services qui lui permettent de recueillir elle-même les éléments de preuves. Elle repose sur deux cadres. Le premier, qui s'applique à tous les États parties, découle du statut de Rome et concerne principalement les demandes d'arrestation et de remise de suspects se trouvant sur le territoire d'un État partie ou des demandes d'entraide dans le cadre de poursuites ou d'enquête diligentées par la CPI. Le deuxième cadre de coopération, dans lequel s'inscrit ce projet de loi, consiste en la conclusion d'accords bilatéraux entre la CPI et un État partie. Ils peuvent concerner la réinstallation des témoins, la mise en liberté provisoire, ou, comme ici, l'exécution des peines.
Cet accord est le premier accord bilatéral de coopération volontaire conclu par la France avec la CPI.
Depuis 2012, la France et la CPI travaillent à l'élaboration d'un accord-cadre en matière de relocalisation des témoins, mais des difficultés juridiques et matérielles de différents ordres sont apparues. La priorité a alors été donnée à la négociation du présent accord, qui s'est achevée dans un temps record : à peine neuf mois.
Les dispositions relatives à l'exécution des peines des individus condamnés par la Cour sont définies au chapitre X du statut de Rome. Son article 103 dispose que les peines prononcées peuvent être accomplies sur le territoire d'un État partie désigné par la Cour « sur la liste des États qui lui ont fait savoir qu'ils étaient disposés à recevoir des condamnés ».
L'essentiel des négociations a porté sur la délimitation des prérogatives du Comité international de la Croix-Rouge, les autorités françaises souhaitant mieux encadrer les modalités des inspections afin qu'elles ne puissent concerner que la personne condamnée par la CPI.
À ce jour, on compte 13 accords bilatéraux en vigueur en matière d'exécution des peines. Il s'agit d'accords conclus, par ordre chronologique, avec l'Autriche, la Finlande, le Danemark, la Serbie, le Mali, la Norvège, la Suède, l'Argentine, le Royaume-Uni et l'Irlande du Nord, la Géorgie et la Colombie. Ils sont indispensables à la CPI, car tant qu'un transfert sur la base d'un tel accord n'est pas réalisé le détenu reste à sa charge.
La CPI souhaiterait les étendre, outre à la France, à l'Espagne, mais aussi à la République tchèque et à la Pologne. Finalement, l'objet de ce présent accord est donc circonscrit : il s'agit de rejoindre la liste des États parties susceptibles d'être désignés pour l'exécution d'une peine et de créer un cadre préétabli afin d'éviter la négociation systématique d'un accord spécifique à chaque sollicitation de la Cour, ce qui d'ailleurs n'a jamais eu lieu.
Le cadre préétabli comprend les points suivants : la procédure pour désigner la France comme lieu d'exécution et les modalités pour elle de le refuser ; les modalités de contrôle de l'exécution de la peine et des conditions de détention par la CPI, en prévoyant notamment l'inspection périodique par le Comité international de la Croix-Rouge, mais uniquement des personnes condamnées par la CPI ; la transmission d'informations entre la France et la CPI sur le déroulement de la détention ; la comparution devant la Cour du détenu et les règles en cas d'évasion ; les conditions dans lesquelles des modifications pourraient être apportées à la peine d'emprisonnement, les modalités de fin de l'exécution de la peine, et la répartition des dépenses relatives à l'exécution de la peine.
Sur ce dernier point, l'accord prévoit que les frais liés à la détention du condamné sont à la charge de la France. En tout état de cause, cette incidence financière sera limitée en raison du nombre restreint de personnes susceptibles d'être accueillies ; la Cour n'a, à ce jour prononcé que 5 condamnations. De plus, le « principe de double-consentement » prévoit une procédure en deux temps : dans un premier temps, lorsque la CPI envisage de désigner la France, celle-ci indique si elle est matériellement prête à accueillir la personne condamnée. Ensuite, une fois que la Cour a formellement désigné la France, cette dernière peut refuser en opportunité cette désignation. Notre souveraineté n'est donc nullement remise en cause.
De plus, il est prévu un principe de « répartition équitable », englobant la répartition géographique, des personnes condamnées. Dès lors, cet accord ne comporte pas de risque de pression sur notre système carcéral. Il a, avant tout, une portée symbolique : il vient réaffirmer le soutien de la France à la CPI et à la lutte contre l'impunité des crimes internationaux le plus graves.
Ce rappel est d'autant plus utile dans le cadre de la guerre en Ukraine. La Cour pénale internationale a ouvert, quelques jours à peine après l'entrée des troupes russes en Ukraine, une enquête avec l'aval de 42 États. Sur ce fondement, la Cour a demandé aux États de lui apporter une assistance financière et humaine pour le bon déroulement de son enquête. Les éléments recueillis sont envoyés à Eurojust, l'Agence de l'Union européenne pour la coopération en matière pénale, qui les étudie en attendant que la CPI puisse le faire elle-même.
Toutefois, depuis quelques mois prospère l'idée de créer une juridiction d'exception. Celle-ci présenterait deux avantages : elle pourrait juger pour « crime d'agression » - en l'occurrence, l'invasion de l'Ukraine -, ce que ne peut pas faire la CPI, la Russie n'ayant pas ratifié ses statuts, et elle pourrait juger Vladimir Poutine par défaut, tandis que la CPI exige la présence de l'accusé au procès.
Certains estiment que cette initiative est notamment due à la méfiance des États-Unis envers la Cour, surtout depuis l'ouverture d'une enquête de la CPI en mars 2020 sur d'éventuels crimes de guerre et contre l'humanité commis en Afghanistan par l'armée américaine. Or il est indéniable que la création d'une juridiction spéciale affaiblirait la CPI. Dans ce contexte, la manifestation du soutien de la France à la CPI paraît très utile.
La Cour ayant informé la France que toutes les procédures requises ont été accomplies de son côté, l'entrée en vigueur de l'accord sera effective dès que la France lui aura notifié l'accomplissement de ses procédures internes.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en deuxième. Son examen est prévu en séance publique le jeudi 16 février 2023, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents et votre rapporteur ont souscrit.
Le projet de loi est adopté sans modification.