Intervention de Hans-Dieter Lucas

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 février 2023 à 9h30
Audition de s.e. M. Hans-Dieter Lucas ambassadeur d'allemagne en france

Hans-Dieter Lucas, ambassadeur d'Allemagne en France :

Je vous remercie de votre accueil ; je me réjouis de la possibilité d'échanger avec vous sur les relations franco-allemandes.

Avant d'évoquer l'Ukraine, je veux dire quelques mots du récent conseil des ministres franco-allemand et des célébrations du soixantième anniversaire du traité de l'Élysée. C'était un signal très fort de l'unité franco-allemande, un témoignage de notre ambition partagée de renforcer l'Europe en cette période de crises multiples : guerre en Ukraine, changement climatique, crise énergétique, inflation. Le tandem, ou moteur, franco-allemand joue un rôle essentiel et cette réunion du 22 janvier a démontré notre volonté commune de faire face à ces défis, y compris sur l'Ukraine.

L'invasion russe de l'Ukraine a été un choc pour nous tous, elle a marqué le retour de la guerre sur le sol européen. Le chancelier Scholz a donc parlé, lors de son discours historique devant le Bundestag le 27 février 2022, d'un changement d'époque, d'un Zeitenwende, pour l'ordre de sécurité européen mais aussi pour l'Allemagne. Ce discours a déclenché une vaste réorientation de la politique allemande de sécurité dans des domaines clefs. Tout d'abord, cela s'est traduit par la décision de soutenir l'Ukraine en lui livrant des armes lourdes, afin de l'aider à défendre sa liberté et son indépendance, rompant ainsi avec une politique vieille de plusieurs décennies consistant à ne pas livrer d'armes à des pays belligérants n'étant pas membres de l'Union européenne ni de l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). C'était une décision tout à fait nouvelle et même révolutionnaire pour l'Allemagne.

Un an après le début de l'agression russe, l'Allemagne est, derrière les États-Unis et avec le Royaume-Uni, le principal fournisseur d'armes lourdes à l'Ukraine : chars de combat Leopard 2, blindés Guepard ainsi que systèmes de défense antiaérienne Patriot et IRIS-T. En outre, pour lui permettre d'acheter des armes, l'Allemagne apporte une vaste contribution financière à l'Ukraine et forme sur son territoire quelque 5 000 soldats ukrainiens, dans le cadre d'une mission de l'UE.

Dans toutes ces décisions, le gouvernement allemand a été guidé par trois principes : soutenir l'Ukraine, faire en sorte que l'Otan ne devienne pas partie au conflit, et prendre chaque décision en étroite concertation avec ses alliés, la France, les États-Unis et les autres. L'Allemagne soutiendra l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire dans son combat pour la liberté. Cela s'applique aussi à l'aide civile, domaine dans lequel l'Allemagne est le premier pays donateur, derrière les États-Unis.

L'Allemagne tâche aussi de convaincre le président Poutine qu'il ne peut pas gagner cette guerre. Le chancelier parle donc régulièrement avec ce dernier, comme le fait aussi le président Macron. Dans leurs réactions face à cette guerre, la France et l'Allemagne sont alignées.

Jusqu'à présent, l'Allemagne a dépensé 12,7 milliards d'euros en soutien bilatéral à l'Ukraine, dont 2,3 milliards d'euros de soutien militaire : 14 chars Leopard, 40 véhicules blindés Marder, 30 chars antiaériens Guepard, un système de défense antiaérienne IRIS-T et un système Patriot. Le ministre allemand de la défense, M. Pistorius, s'est rendu hier à Kiev et a annoncé à cette occasion que le gouvernement allemand donnait son accord à l'exportation de 178 chars Leopard 1 vers l'Ukraine, dont la plupart sont dans les stocks de l'industrie allemande. Le Danemark et les Pays-Bas se sont associés à cette déclaration. Ce sera une autre contribution essentielle pour l'Ukraine. Ces chars doivent être livrés dans les prochains mois.

En outre, un montant de 1,7 milliard d'euros est mis à disposition des forces ukrainiennes pour leurs acquisitions. L'accueil de 1 million de réfugiés représente 8,2 milliards d'euros. Il y a aussi un soutien non militaire, pour 3 milliards d'euros.

Deuxième axe du changement d'époque pour la politique allemande de sécurité : la hausse massive du budget de la défense, via la création d'un fonds particulier doté de 100 milliards d'euros. Ces moyens supplémentaires doivent permettre à l'Allemagne de se conformer à l'objectif de l'Otan consistant à consacrer au moins 2 % de son PIB à la défense. Cela doit donner à la Bundeswehr, longtemps sous-financée et insuffisamment équipée, les moyens de remplir ses missions dans le cadre de l'Otan et de l'UE, en comblant des lacunes importantes dans les systèmes d'arme et dans l'équipement des troupes. Pour cela, étant donné l'urgence de la situation, le gouvernement n'a d'autre choix que de recourir aux systèmes disponibles sur le marché, c'est-à-dire d'acheter des armements « sur étagère ».

Enfin, nous avons réagi à l'agression russe en réaffirmant nos engagements au sein de l'alliance ; ainsi avons-nous renforcé notre présence militaire sur le flanc oriental de l'Otan, en mettant à disposition une brigade pour la Lituanie et en déployant des effectifs supplémentaires en Slovaquie. En outre, l'Allemagne assure en 2023 le commandement de la force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation de l'Otan. Enfin, le gouvernement réaffirme son attachement à la dissuasion nucléaire de l'Otan, qui doit rester crédible et efficace aussi longtemps que la Russie disposera d'un arsenal nucléaire. L'Allemagne contribuera à cette dissuasion nucléaire et acquiert, à cet effet, 35 F-35 pour remplacer les chasseurs Tornado utilisés dans ce cadre.

Autre aspect de ce tournant historique : la politique énergétique, qui joue un rôle dans la politique de sécurité. Dans les mois qui ont suivi l'attaque russe, l'Allemagne a décidé de mettre un terme aux relations en matière d'énergie fossile avec la Russie. Au début de 2022, 55 % du gaz consommé venait de la Russie ; c'était un défi énorme de remplacer le gaz, le charbon et le pétrole russes dans des délais si brefs.

Parmi les principales conclusions des crises des dernières années - la guerre, mais aussi, de manière générale, la concurrence géopolitique croissante - figure la volonté de renforcer la souveraineté et les capacités d'action de l'Europe ; à cet égard, l'Allemagne et la France sont alignées, ce que le dernier conseil des ministres franco-allemand a montré. Cela exige des efforts dans trois domaines : les réformes institutionnelles de l'Union, par exemple en généralisant le principe du vote à la majorité qualifiée, le renforcement de l'indépendance économique et technologique et de la compétitivité de l'UE - c'est toute la discussion autour de la réaction européenne à l'Inflation Reduction Act, à propos duquel les ministres Le Maire et Habeck ont discuté hier avec les autorités américaines à Washington - et le renforcement de la capacité d'action militaire de l'UE.

La France et l'Allemagne ont une responsabilité commune particulière pour renforcer la capacité des Européens à se défendre : le budget de la défense de ces deux pays représente 40 % du budget militaire européen. L'Allemagne a promu dans ce domaine des projets en collaboration avec la France : la coopération structurée permanente dans le domaine de la défense, la création du fonds européen de défense, la Boussole stratégique européenne adoptée sous la présidence française du Conseil de l'Union et l'instauration d'une Facilité européenne pour la paix dotée de 5 milliards d'euros, qui a permis à l'Ukraine d'acheter des quantités importantes d'armes pendant la première année de la guerre.

Pour promouvoir une Europe géopolitique, l'Allemagne juge essentiel de renforcer les capacités militaires européennes. Dans ce contexte, les projets franco-allemands de SCAF, de MGCS, d'Eurodrone et d'un escadron de transport aérien sont centraux.

Pour renforcer les capacités militaires des Européens, nous voulons un bouclier antiaérien européen, dans le cadre de l'Otan et ouvert à tous les partenaires européens de cette organisation. Dans le même temps, l'Union doit renforcer sa capacité d'action militaire dans son voisinage immédiat et l'Allemagne fournira à la force de réaction rapide de l'Union européenne un contingent pouvant aller jusqu'à 5 000 soldats.

Enfin, il est indispensable de créer une capacité de planification européenne de commande.

Je me réjouis maintenant d'échanger avec vous sur ces questions ou sur d'autres.

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