Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’équilibre des relations commerciales au sein de la chaîne agroalimentaire et, à travers lui, la juste rémunération de chacun des maillons de la chaîne, au premier rang desquels nos agriculteurs : tel est le débat auquel nous invite collectivement cette proposition de loi, un débat que vous avez souhaité avoir aujourd’hui, en vous en saisissant pleinement.
Ce sujet est d’une actualité forte pour plusieurs filières et plusieurs maillons de notre chaîne alimentaire. Notre défi commun, celui du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, comme du Sénat, j’en suis persuadé, est d’assurer notre souveraineté alimentaire, avec nos agriculteurs et au service de notre pays, de nos concitoyens.
Il est aussi de notre devoir collectif – Gouvernement, parlementaires, agriculteurs, industriels, distributeurs, citoyens –, de trouver et proposer des solutions pour nous assurer que nous conserverons une capacité à produire dans tous nos territoires, dans tous vos territoires, pour nous alimenter en qualité et en quantité suffisante dans les décennies à venir.
C’est un objectif fondamental qui doit être très largement partagé, car, comme j’ai l’habitude de le rappeler, chacun de ces maillons s’inscrit dans une relation d’interdépendance forte, qui les oblige, ou devrait les obliger, à une responsabilité réciproque.
De la capacité de nos agriculteurs à dégager des revenus, ce qui est en soi un enjeu primordial, dépendent aussi la résilience de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire et la souveraineté alimentaire et agricole de notre pays.
Soyons lucides, ces défis se posent à l’ensemble de la chaîne, c’est-à-dire aux agriculteurs, aux industriels et aux distributeurs, dans des modalités différentes, certes, mais de façon tout aussi prégnante.
Je veux revenir sur ces sujets, parce que trop de propos versent trop facilement dans la caricature, souvent dans des enceintes extérieures au Parlement. Ce texte vise à établir un meilleur équilibre des relations commerciales, mais il ne s’agit pas de monter les distributeurs contre les industriels, ou l’inverse. Notre souveraineté alimentaire et la sécurité de nos approvisionnements sont des préoccupations partagées par tous les Français et, il faut le dire, par l’ensemble des maillons de notre chaîne alimentaire. C’est encore plus vrai dans le contexte que nous connaissons, qui rappelle à chacun, s’il en était besoin, le caractère stratégique de ces objectifs.
Notre sécurité et notre souveraineté alimentaires dépendent en fait de chacun des trois maillons de la chaîne, pris individuellement et collectivement. Cette délicate recherche de l’équilibre doit nous inviter tous à la mesure et à la tempérance.
Avant d’en venir au texte soumis à votre chambre, je veux rapidement rappeler le chemin qui a été parcouru lors du quinquennat précédent pour améliorer le revenu de nos agriculteurs, rééquilibrer les relations commerciales et mieux encadrer les pratiques, afin de sécuriser l’avenir de nos filières agricoles et agroalimentaires.
C’est le fruit de deux lois, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, dite Égalim 1, et la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Égalim 2, la seconde étant d’ailleurs le produit d’une évaluation de la première par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ces textes ont déjà donné des résultats concrets.
La loi Égalim 1 est venue renforcer le formalisme juridique du contrat à l’amont. À l’aval, le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions en valeur et en volume ont mis fin aux promotions agressives, destructrices de valeur et déroutantes, tant pour les consommateurs que pour les agriculteurs.
La loi Égalim 2 est venue renforcer la construction en « marche avant » du prix, si vous me permettez cette expression, depuis le producteur jusqu’au distributeur. À l’amont agricole, le principe est désormais celui d’une contractualisation écrite, pluriannuelle et obligatoire. Concrètement, les contrats doivent comprendre un certain nombre de clauses qui sécurisent les agriculteurs et leur donnent de la visibilité sur leur rémunération. Je pense notamment aux clauses de révision automatique des prix.
À l’aval, de nombreuses mesures ont été introduites, comme la transparence et la non-négociabilité de la matière première agricole.
Le rééquilibrage des relations a été constaté dès la fin du cycle des négociations commerciales annuelles, qui s’est achevé le 1er mars 2022. Il a bénéficié à nos agriculteurs et à nos transformateurs, en permettant pour la première fois de mettre fin à ce qui avait été constaté par tous depuis dix ans, à savoir la spirale destructrice de la guerre des prix sur les produits agricoles. En particulier, la transparence et la non-négociabilité de la matière première agricole ont donné des résultats très encourageants. Naturellement, soyons modestes, du chemin reste à parcourir et je sais les difficultés qui subsistent, mais les lois Égalim ont contribué au maintien dans nos territoires de nombreuses exploitations agricoles et ont posé clairement la question de la rémunération des agriculteurs.
Les décrets d’application portant sur les relations commerciales sont quasiment tous adoptés, ceux qui étaient indispensables au bon fonctionnement de la loi l’ayant été dès la fin de 2021. Il revient évidemment aux acteurs de s’en saisir pleinement dans un contexte particulier, la guerre en Ukraine étant venue perturber le cycle de négociations.
Nous devons donc absolument éviter de fragiliser cet édifice Égalim, dont la mise en œuvre pleine et entière ne débute que cette année. C’est notamment le cas pour de nombreuses PME qui avaient conclu leurs négociations en 2021, avant l’entrée en vigueur de la loi Égalim 2.
À cet égard, une des propositions que la commission des affaires économiques avait adoptée me semblait aller à rebours des efforts collectifs réalisés, et parachevés par la loi Égalim 2 : je pense à l’article 2, qui prévoyait de mettre un coup d’arrêt à l’expérimentation du dispositif dit SRP+10.
Cette proposition de suspension pouvait porter atteinte à l’équilibre financier de nombreuses entreprises de la chaîne alimentaire et risquait de mettre à mal tous les efforts que nous avons tous engagés, y compris au Sénat, pour changer de paradigme au sein des relations commerciales de l’agroalimentaire.
Depuis les lois Égalim 1 et 2, un cycle destructeur a été interrompu. Désormais, les enseignes concèdent plus facilement les demandes de hausse des tarifs des fournisseurs si celles-ci sont convenablement documentées et objectives.
Certains diront, peut-être à raison, que cela n’est pas assez, quand d’autres prétendront que les preuves de l’efficacité du système restent à apporter, …