Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 15 février 2023 à 15h00
Approvisionnement en produits de grande consommation — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui a beaucoup fait parler d’elle et a créé de vives tensions ces dernières semaines, non seulement dans les enceintes parlementaires, mais aussi entre les fournisseurs de produits de grande consommation et la grande distribution.

Avant de vous présenter les travaux de la commission des affaires économiques, je tiens à rappeler que c’est tout de même la troisième fois en cinq ans que le législateur est amené à intervenir pour clarifier et renforcer le cadre applicable aux négociations et aux relations commerciales. Pourquoi ? Parce que le niveau de tension et de défiance entre les acteurs de secteur va malheureusement crescendo. Ils se sont engagés dans une partie de poker menteur et se renvoient la responsabilité de la guerre des prix, notamment dans les médias. Un coup d’œil chez nos voisins suffit pourtant pour constater que les parties peuvent discuter et s’entendre sans recourir systématiquement à l’arbitrage du législateur.

Loin de ces tensions et des pressions liées à la période de négociations commerciales en cours, j’espère que le Sénat saura construire avec sérénité et efficacité un cadre utile aux fournisseurs et aux distributeurs, dans l’intérêt de nos producteurs et des consommateurs.

La commission des affaires économiques du Sénat a proposé trois évolutions majeures pour ce texte.

Première évolution : nous avons choisi d’engager le débat sur l’usage du SRP+10, une manne financière versée depuis quatre ans aux distributeurs, dont l’efficacité en matière de redistribution aux agriculteurs n’a pas été démontrée par les rapports du Gouvernement et de l’inspection générale des finances.

En effet, après quatre ans d’expérimentation, au cours desquelles ont régulièrement été dénoncées l’opacité et l’inefficacité du SRP+10 en matière de partage de la valeur, nous ne pouvions concevoir une reconduction de trois ans sans débat sur ce qui demeure une singularité française.

Le texte issu de l’Assemblée nationale proposait de prolonger l’expérimentation jusqu’en 2026. En commission, nous avons exprimé nos doutes à l’égard de ce mécanisme, qui, je le rappelle, s’est traduit par une augmentation des marges des distributeurs sur leurs produits d’appel comprise entre 600 millions et 800 millions d’euros par an, soit près de 2, 8 milliards d’euros en quatre ans ventilés en cartes de fidélité ou autres « cagnottages », voire en valorisation des marques de distributeur (MDD), sans ruissellement jusqu’aux agriculteurs. Si le SRP n’est pas responsable à lui seul de l’inflation de 14 % que l’on observe actuellement sur les produits alimentaires, il y prend toutefois sa part.

Certaines filières assurent même que le SRP+10 est, a contrario, directement à l’origine d’une baisse de leurs revenus. Cela appelle bien sûr une réponse de notre part.

Pour résumer, le SRP+10 est aujourd’hui un chèque en blanc à la grande distribution, sans contrepartie garantie pour les producteurs.

La commission a donc proposé de le suspendre pendant deux ans, le temps que la période fortement inflationniste prenne fin. Ce faisant, nous interpellions clairement les distributeurs quant à l’usage de ce SRP.

Cette position responsable de la part du législateur, qui doit s’assurer de la bonne application de la loi, témoigne aussi d’une exaspération, après quatre années sans transparence.

Cela étant dit, nous avons entendu les positions exprimées par certains dans le contexte des négociations commerciales annuelles. Le SRP+10 mis en pause, ils craignent que les distributeurs ne soient amenés à négocier plus durement pour conserver leur niveau de marge.

Cette hypothèse est cependant à tempérer. Avec les dispositifs mis en place en 2022 par la loi Égalim 2, le contexte a changé. Je rappelle que la contractualisation écrite est devenue obligatoire et que les matières premières agricoles sont désormais non négociables : autant de dispositifs de protection traçables, vérifiables, qui ont fait leurs preuves, en conduisant dès 2022 à une revalorisation de 3, 5 % de la rémunération des matières premières agricoles.

Néanmoins, afin de tenir compte des préoccupations actuelles et de ne pas influer sur les négociations en cours, la commission propose de concilier les différents points de vue en acceptant la prolongation de l’expérimentation jusqu’en 2025, et en imposant parallèlement aux distributeurs de communiquer chaque année, au ministre et aux présidents des commissions des affaires économiques des deux chambres, des informations sur l’usage qu’ils font du SRP+10, et ce afin que nous puissions poursuivre notre travail de contrôle de la juste application de la loi. Avec cet amendement, nous proposons tout de même de maintenir la filière des fruits et légumes frais en dehors du SRP+10, sachant que sa mise en œuvre s’est traduite par une baisse de revenus pour ladite filière.

Deuxième évolution : l’encadrement des promotions sur les produits non alimentaires. La loi Égalim 1 a eu un effet de bord particulièrement dommageable pour les fabricants de produits dits DPH. Les promotions chocs sur l’alimentaire étant encadrées, les enseignes se sont reportées sur le non-alimentaire. Le taux moyen de promotion est ainsi passé à 40 % ou 45 %, avec des pics à 80 %, voire 90 % pendant certaines opérations spéciales.

Ce sont les fournisseurs qui financent ces promotions, rarement les distributeurs. Autrement dit, ils doivent vendre de plus en plus de volume à des prix de plus en plus cassés.

Des dizaines de milliers d’emplois sont en jeu, alors que, dans le même temps, le Gouvernement plaide pour la réindustrialisation du pays, s’honore d’attirer des investissements étrangers et vise une plus grande souveraineté en matière de produits de consommation. Cela doit nous amener à être plus attentifs à ces entreprises.

Pour certains, encadrer les promotions sur ces produits reviendrait à faire un cadeau aux multinationales étrangères. Mes chers collègues, aucun de vous ne peut ignorer ces nombreuses PME qui fabriquent au quotidien dans vos territoires : je pense à Le Briochin dans les Côtes-d’Armor, L’Arbre vert à Poitiers, ou encore Vigor, Baranne, pour ne citer qu’elles, mais il y en a tant d’autres.

En outre, les groupes étrangers ont des usines en France : la lessive Ariel est produite à Amiens ; le dentifrice Signal et les adoucissants Soupline sont fabriqués à Compiègne. Là encore, je pourrais multiplier les exemples.

Faut-il négliger ces milliers d’emplois et ces territoires dynamisés par la fabrication de ces produits, monsieur le ministre ? Après avoir fait tant d’efforts, notamment fiscaux, pour attirer des investissements étrangers, faut-il prendre le risque des délocalisations ?

Autre inquiétude soulevée, l’encadrement des promotions sur les DPH pourrait avoir un impact sur l’inflation. Peut-être, mais ce sera de façon quasi invisible, selon un certain nombre de cabinets d’étude, pour une protection qui sera, elle, considérable. En effet, les trois quarts du marché DPH sont aujourd’hui sous-promus. Le distributeur pourra donc, s’il le souhaite, augmenter le volume de promotion sur ces produits. L’encadrement que nous proposons vise principalement les 25 % qui font l’objet de surpromotions chocs.

Enfin, troisième innovation, la commission a réécrit l’article 3, un article qui a fait parler lors de l’examen à l’Assemblée nationale. Notre objectif est de trouver un équilibre entre fournisseurs et distributeurs, tout en conservant le principe fondamental de liberté contractuelle. Nous pensons, en effet, qu’il n’appartient pas au législateur de se substituer aux parties et de dire à leur place quelle est la durée d’un préavis ou quel est le prix juste. Il ne nous appartient pas non plus de bouleverser structurellement le droit commercial en autorisant la rupture brutale des relations du jour au lendemain.

La rédaction adoptée précise donc que, en cas d’échec des négociations au 1er mars, le préavis de rupture devra tenir compte des conditions économiques du marché, c’est-à-dire, par exemple, de l’inflation du coût des intrants ou du prix moyen accepté par les autres distributeurs concurrents. Ce faisant, nous répondons à une triple inquiétude : celle des PME, qui ne risquent plus d’être déréférencées subitement, puisque nous maintenons le principe du préavis ; celle des distributeurs, qui craignent de ne plus être livrés subitement ; celle des fournisseurs, qui ne sont plus obligés de livrer des produits à l’ancien tarif, c’est-à-dire à perte.

Nous avons entendu les préoccupations de ceux qui estiment que le recours au juge pour faire appliquer la loi pourrait prendre trop de temps par rapport à la vie des affaires. C’est pourquoi la commission propose aujourd’hui une nouvelle rédaction de cet article 3, tout en conservant les apports adoptés en commission. Nous avons ainsi un dispositif clair, souple, respectueux de la liberté des parties et tenant compte du contexte actuel.

Je précise enfin que nous proposons d’introduire un nouveau dispositif visant à mieux protéger les matières premières agricoles des produits vendus sous marque de distributeur et nous renforçons l’encadrement des pénalités logistiques, visant ainsi l’objectif d’équilibre dans les relations commerciales et de meilleure rémunération des producteurs agricoles, qui reste en quelque sorte la boussole du Sénat, et tout particulièrement de notre groupe de suivi, présidé par Daniel Gremillet.

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