Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 20 octobre dernier, le Sénat adoptait à l’unanimité la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, déposée par notre collègue Valérie Létard. Moins de quatre mois plus tard, le texte nous revient après avoir recueilli le vote, là aussi unanime, de l’Assemblée nationale, qui y a toutefois apporté des modifications substantielles.
La proposition de loi adoptée par le Sénat prévoyait un dispositif d’avances d’urgence, octroyées par les caisses d’allocations familiales (CAF), sous la forme d’un prêt à taux zéro. L’objectif de ces avances était d’aider les victimes à quitter le domicile conjugal alors que, en 2020, 19 % des femmes victimes ont déclaré subir des violences économiques, lors de leur appel au 3919, le numéro de la plateforme dédiée aux violences conjugales.
Le premier des trois versements mensuels constituant cette aide devait intervenir dans les trois jours ouvrés suivant la demande. Le dispositif et ses paramètres étaient issus d’une expérimentation menée dans le Nord par le conseil départemental et la caisse d’allocations familiales.
En outre, le texte que nous avions adopté assortissait le service de l’aide d’un mécanisme de remboursement par l’auteur des violences conjugales. La CAF avait la possibilité de se constituer partie civile pour le compte de la victime, si celle-ci renonçait à exercer ses droits, afin de récupérer les sommes sur les dommages et intérêts prononcés lors d’un procès pénal.
Nos collègues députés ont apporté au texte du Sénat des modifications qui ne sont pas négligeables. Certaines ont été proposées par le Gouvernement, qui, à cette occasion, est sorti de la réserve dont il avait fait preuve devant nous. Toutefois, la proposition de loi a gardé intacte l’ambition de donner aux victimes de violences conjugales, dans un délai très court, les moyens financiers pour se séparer du conjoint violent. C’est pourquoi la commission a adopté cette proposition de loi issue des travaux de l’Assemblée nationale sans modification pour permettre son application rapide.
L’article 1er du texte, qui prévoit le dispositif de l’aide d’urgence, a fait l’objet d’un amendement de rédaction globale du Gouvernement largement sous-amendé.
Il faut souligner d’emblée notre satisfaction face au texte qui nous a été transmis. Le financement de l’aide d’urgence a été transféré de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à l’État, qui assumera ainsi une mission lui incombant naturellement.
L’Assemblée nationale a également affirmé le droit de toute victime conjugale à bénéficier d’un accompagnement global.
Enfin, le Gouvernement a proposé des modifications que nous appelions de nos vœux, mais que les règles de recevabilité financière ne nous permettaient pas d’introduire. Ainsi, les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) se trouvent désormais intégrées au service de cette nouvelle aide, ce qui est nécessaire si l’on veut que le dispositif puisse s’étendre à leurs allocataires.
S’agissant des caractéristiques de l’aide, sa nature a été dédoublée avec la possibilité d’octroyer à la victime soit un prêt, soit une aide non remboursable, selon sa situation financière et sociale. C’était un point important.
La détermination du montant de l’aide a également été revue : le montant pourra être modulé, dans le respect de plafonds limitatifs, selon l’évaluation des besoins de la personne, notamment sa situation financière et sociale. De même, le montant devra tenir compte de la présence d’enfants à la charge de la victime, comme le Sénat le souhaitait. Cette modulation semblait impérative, alors que, dans la plupart des cas, les victimes ne quittent pas le domicile sans leurs enfants.
L’Assemblée nationale a également assoupli les délais pour le premier versement de l’aide. Le délai pourra, par dérogation, être porté de trois à cinq jours ouvrés, dans le cas où la victime n’est pas déjà enregistrée comme allocataire de l’organisme payeur. Cet allongement n’est pas souhaitable en soi, mais demeure plus conforme aux inquiétudes relayées par la Cnaf et aux délais qui pourront réellement être respectés par les caisses sur le terrain.
Enfin, toujours à l’article 1er, le mécanisme de récupération de l’aide a été amendé tout en conservant le principe selon lequel l’auteur des violences doit s’acquitter du paiement lorsque l’aide est versée sous la forme d’un prêt. Dorénavant, le remboursement fait partie des peines que les juridictions pénales peuvent prononcer contre l’auteur reconnu coupable, ainsi que des dispositifs à la main des parquets dans le cadre d’un classement sous condition de la procédure ou de mesures de composition pénale.
La navette parlementaire a donc enrichi l’article 1er de nouvelles dispositions. Toutefois, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, celles-ci demeurent fidèles à l’objectif du texte adopté par le Sénat en première lecture. Nos collègues députés ont d’ailleurs maintenu inchangées les conditions d’octroi de l’aide d’urgence, ainsi que le bénéfice aux droits et aides accessoires au revenu de solidarité active (RSA), qui accompagne le versement de l’aide pécuniaire.
À l’article 2, les députés ont maintenu l’obligation faite aux gendarmes et policiers d’informer la victime déposant plainte de la possibilité de demander l’aide d’urgence.
En revanche, si l’enregistrement de la demande dans le commissariat ou la gendarmerie demeure une faculté, il n’est plus systématique. Sans doute les députés ont-ils estimé que de telles dispositions seraient appliquées par les engagements volontaires des acteurs du terrain, et non par la norme contraignante.
D’autres dispositions de la proposition de loi concernent son applicabilité aux outre-mer. Comme vous le savez, mes chers collègues, en proportion, les victimes de violences conjugales sont encore plus nombreuses en outre-mer que dans l’Hexagone. L’article 1er bis habilite ainsi le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter la loi à Mayotte.
Enfin, l’Assemblée nationale a inséré quelques nouveaux articles. Pour avoir examiné ces dispositions en commission, la sincérité m’oblige à dire que leur pertinence est toute relative. Toutefois, elles sont annexes au dispositif de l’aide d’urgence et ne gênent pas son application.
L’article 1er ter prévoit ainsi qu’une loi de programmation pluriannuelle détermine la trajectoire des finances publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Pour symbolique et médiatique que soit cette disposition, elle est dépourvue de portée normative, le Gouvernement ne pouvant constitutionnellement être tenu de déposer un tel projet de loi.
Enfin, les articles 2 ter et 2 quater sont des demandes de rapport sur lesquelles – une fois n’est pas coutume – la commission a été indulgente.
En deuxième lecture, la commission a donc adopté sans modification le texte transmis, en raison du maintien de l’essentiel de la proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture et des améliorations introduites au cours de la navette parlementaire. Nous nous réjouissons notamment de la suppression de l’article 3 par amendement du Gouvernement, permettant ainsi de lever le gage financier.
Une adoption conforme du texte, aujourd’hui, signifierait une belle avancée d’initiative sénatoriale dans la lutte contre les violences conjugales.
Issue de l’expérience de nos territoires, cette proposition de loi, qui entrera en vigueur au plus tard neuf mois après sa promulgation, viendra utilement compléter les dispositifs existants. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission vous invite à adopter la proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.