Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 16 février 2023 à 10h30
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

L’un des premiers écueils auxquels les femmes sont confrontées lors de la dénonciation des violences subies est la crainte de devoir quitter le domicile et de se retrouver sans ressources, dans une précarité matérielle menaçant la survie quotidienne. Cette crainte est d’autant plus grande lorsqu’il y a des enfants à charge ; elle peut d’ailleurs être si forte que les femmes se refusent à demander de l’aide ou à dénoncer leur calvaire et se résignent à rester au domicile conjugal, qui devient pour elles une prison où l’auteur des violences les enferme.

C’est notamment pour cette raison que la défense de l’indépendance économique des femmes est cruciale. C’est une étape indispensable dans leur émancipation, qu’elles soient ou non victimes de violences. Nous avons progressé à grands pas sur le sujet grâce à la mobilisation féministe : accès au compte bancaire, droit de travailler sans le consentement du mari, suppression des interdictions professionnelles faites aux femmes et quantité d’autres mesures – la liste est longue et réjouissante.

Nous poursuivons cette mobilisation au travers de différentes initiatives mises en œuvre pour avancer sur le chemin de l’égalité professionnelle et pour faire tomber les stéréotypes qui entravent l’orientation des filles. D’ailleurs, en cette journée consacrée au numérique responsable, je souhaite attirer l’attention du Sénat sur la faible part de femmes qui œuvrent dans ce secteur, alors qu’il est celui des métiers de demain : on se prive ainsi de ressources humaines et l’on empêche les femmes d’accéder à des métiers qui deviennent de plus en plus importants.

Nous nous mobilisons également pour éliminer les inégalités salariales, accompagner les mères dans le cadre des familles monoparentales et défendre l’augmentation des bas salaires.

Nous avons déjà des outils pour cela. C’est la raison pour laquelle je défends régulièrement certaines propositions comme la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial ou encore l’augmentation du Smic, puisque – je le rappelle – 60 % des salariés au Smic sont des femmes, de sorte que, en augmentant le Smic, on augmente le salaire des femmes.

Mes chers collègues, nous fêtons cette année les cinq ans du mouvement #MeToo, qui s’est développé grâce aux témoignages et au mouvement féministe, grâce à la mobilisation des associations et de l’ensemble de la société et aussi grâce à celle des pouvoirs publics et – je peux désormais l’ajouter – des collectivités territoriales, ce qui est un élément nouveau dans la lutte contre les violences intrafamiliales.

En effet, j’ai constaté cette année que, lors du congrès des maires de France, un atelier était consacré – nous y étions, madame la ministre – à la manière dont les collectivités territoriales pouvaient s’impliquer dans cette lutte. D’ailleurs, sur le terrain, dans mon département, le sujet est traité en lien avec la gendarmerie, et comme délégués aux droits des femmes, nous nous en emparons : que peuvent faire les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et quelles réponses peuvent-ils apporter ?

Trois types de violences conjugales concernent les collectivités territoriales : celles dont sont victimes les habitantes dans les communes, celles dont sont victimes les fonctionnaires territoriales dans les communes ou les collectivités locales, celles qui sont subies par les conseillères municipales et les élues et – le sujet est parfois plus difficile – celles qui sont le fait de collègues conseillers municipaux. Malheureusement en effet, les statistiques globales ne varient pas, mais se retrouvent strictement à l’identique dans chaque catégorie et à chaque échelon de la société.

Cette mobilisation des collectivités territoriales est un élément important et encourageant dans la lutte pour éradiquer les violences faites aux femmes.

Sans me livrer à une digression trop longue, je citerai quelques-uns des nombreux chantiers qu’il nous reste à ouvrir : la restriction des modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences, l’exclusion de la résidence principale de l’enfant chez l’auteur des violences, l’augmentation de la durée et de la portée de l’ordonnance de protection, la dissimulation de l’adresse de résidence et de l’école des enfants à l’ex-conjoint violent, le signalement à la victime de la remise en liberté de son agresseur présumé, le renforcement de la lutte contre les violences post-séparation, l’abrogation du délit de non-représentation d’enfant, qui est aujourd’hui une arme à fragmentation contre les mères qui cherchent à protéger leurs enfants. À cela s’ajoute le très beau chantier pour lequel, madame la ministre, je connais votre engagement et votre volonté de réussir – nous serons à vos côtés pour cela –, celui de la mise en place d’une juridiction spécialisée en matière de violences intrafamiliales, conjugales et sexuelles, qui rassemble justice civile et justice pénale.

La création d’une aide financière d’urgence à l’intention des victimes est donc un moyen concret et immédiatement mobilisable pour faciliter la sortie des violences. Le dispositif que vous proposez, chère Valérie Létard, ne résoudra pas tout, mais il est essentiel.

Les violences contre les femmes coûtent 3, 3 milliards d’euros par an à la société. Par conséquent, les sommes que nous engagerons par l’intermédiaire des caisses d’allocations familiales seront bien peu, comparées au coût collectif que nous assumons du fait de ces violences.

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