Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à conformer notre droit à celui de l’Union européenne.
En l’occurrence, il s’agit d’un catalogue de régressions en matière de droit financier, de dispositions contraires à l’intérêt général et de reculs dans le domaine des droits sociaux. Si l’on y ajoute les avancées adoptées par le Sénat, mais curieusement non défendues en commission mixte paritaire, on obtient un texte sans amélioration majeure, contre lequel nous voterons, et plutôt deux fois qu’une !
Je souhaite appeler votre attention sur trois points.
Le premier point concerne un amendement de notre collègue Hervé Maurey, qui tendait à soumettre à un agrément préalable de l’Autorité des marchés financiers (AMF) tout acteur voulant exercer la profession de prestataire de services sur actifs numériques. Que n’avait-il pas osé faire en demandant de rendre obligatoire la délivrance d’un accord facultatif !
Aussi bien les échanges en commission mixte paritaire que les réactions des acteurs du marché, de leurs représentants et l’hostilité du Gouvernement nous sont apparus complètement déconnectés de l’intérêt général : pardonnez-moi, mais il faut cesser d’opposer innovation technologique et régulation !
Prenons l’exemple de la société Bykep, qui proposait un service permettant d’acheter un coupon chez son buraliste en espèces, pour recevoir ensuite des bitcoins. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a signalé « des débits au portefeuille des clients sans leur consentement » ou encore « des défaillances sérieuses du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme », sans parler d’un vol de 300 000 euros – l’enquête est en cours. En a résulté une radiation de cette société par l’AMF le 28 septembre dernier.
Pourquoi cet exemple ? Bykep s’était tout simplement enregistrée et ne disposait pas du fameux agrément : elle proposait donc ses services sans l’exigeant contrôle préalable de l’AMF.
Le compromis trouvé en commission mixte paritaire, s’il est moins-disant, permettra à terme, dans l’attente du règlement européen Mica (Markets in crypto-assets), de limiter les dérives de ce secteur, qui est aussi innovant dans le domaine des technologies que dans celui de la fraude !
Le deuxième point a trait à l’article 8, supprimé par le Sénat puis rétabli par l’Assemblée nationale, qui ouvre la possibilité d’une transposition par ordonnances de la directive européenne sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. Il se trouve, mes chers collègues, que la rédaction de ce texte n’est pas achevée et que nous attendons toujours les actes délégués.
Entre l’article 7, qui est fondamental en termes de transparence des revenus des entreprises, pays par pays, et celui-ci, cela fait beaucoup ! Et cela fait aussi beaucoup trop d’habilitations…
Concrètement, à l’article 7, la transposition intervient trop tard, alors que, à l’inverse, à l’article 8, elle a lieu trop tôt ! Il faut trouver un juste milieu qui, pour nous, prendrait la forme d’un projet de loi spécifique, de dispositions inscrites en dur dans la loi, et pas celle d’une ordonnance en catimini. D’ailleurs, le ministre Jean-Noël Barrot ne disait pas autre chose : « Aurait-il mieux valu un texte en dur ? Peut-être. »
Si la France est en avance sur les obligations déclaratives en matière de performances extrafinancières, sociales et environnementales, Hervé Maurey, dans son rapport pour avis fait au nom de la commission des finances, rappelle à juste titre qu’il existe un « manque de données fiables, comparables et exploitables facilement, pour permettre de comparer les actions menées par les différentes entreprises ».
Tel est l’objectif de la directive, mais également celui d’une proposition de loi de notre groupe : nous souhaitons un abaissement du seuil de publication pour les entreprises de plus de 50 salariés, et non pas, comme le prévoit la directive, limité à celles de plus de 250 salariés et, à terme, aux PME cotées en bourse.
Notre groupe considère que ces informations sont une mine d’or indispensable pour conduire des politiques publiques, faciliter la mise en place d’outils fiscaux et encourager le pilotage des aides publiques aux entreprises. Il ne s’agit pas simplement de sanctionner les entreprises sur le fondement de leurs déclarations.
L’information des citoyens est cruciale pour conditionner, chaque année, l’attribution des 160 milliards d’euros – tout de même ! – d’aides publiques aux entreprises.
Les entreprises de plus de 50 salariés ne peuvent pas, même de façon agrégée, rivaliser avec BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole ou TotalEnergies, qui ont une empreinte carbone supérieure à celle de la France.
Nous savons désormais que nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en deçà de 1, 5 degré Celsius. Les entreprises doivent davantage intégrer l’objectif de réduction des émissions de CO2 dans leurs modèles économiques.
Le troisième point concerne l’article 11, qui permet à une entreprise – écoutez bien ! – de contourner certaines décisions prononcées par le juge judiciaire.
Condamnées pour des infractions pénales, les entreprises délinquantes – j’ose le terme – n’auront qu’à prouver leur bonne foi pour bénéficier de nos marchés publics et de l’argent public, et ce alors que nous parlons de faits graves : blanchiment, actes de terrorisme, traite d’êtres humains, fraudes fiscales – la liste est longue.
Aujourd’hui, en droit français, une entreprise doit attendre cinq ans après sa condamnation pour l’un des faits que je viens de mentionner pour recouvrer le droit de soumissionner à un marché public.
Quand le droit de l’Union européenne est à ce point vicié, que la France a résisté au moment de la transposition de la directive, le Conseil d’État a interprété le droit : chacun est dans son rôle.
Pour autant, le Parlement doit se dresser contre toute disposition manifestement contraire aux droits humains, aux principes à valeur constitutionnelle dégagés du préambule des Constitutions de 1946 et de 1958. Le Parlement, en responsabilité et en toute autonomie, doit s’interposer !