Intervention de Laurence Harribey

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 février 2023 à 8h35
Services pénitentiaires d'insertion et de probation — Examen du rapport d'information

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

Marie Mercier vient de rappeler que les SPIP avaient bénéficié d'importants recrutements. La quarantaine d'auditions auxquelles nous avons procédé ont cependant montré qu'ils avaient connu une transformation profonde de leur métier qui va bien au-delà de cet aspect quantitatif.

Les SPIP sont nés assez récemment, en 1999, de la fusion des comités de probation et d'assistance aux libérés et des services socio-éducatifs qui intervenaient dans les établissements pénitentiaires. À l'origine, leur activité s'inscrivait donc dans le champ du travail social et éducatif, ce qui n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. La culture socio-éducative reste néanmoins encore très présente.

Sous l'influence de la recherche menée dans les pays anglo-saxons - la France était à la traîne sur ce sujet -, l'activité des CPIP a en effet évolué pour s'ancrer désormais dans la criminologie. On est passé d'une mission socio-éducative à une mission d'évaluation du risque de récidive. Après le diagnostic sur ce risque, le CPIP élabore un programme de prévention de la récidive, avec des actions individualisées. Le recrutement des CPIP s'est modifié en conséquence, faisant désormais la part belle aux juristes, de même que les enseignements dispensés par l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap).

Au sein du corps des CPIP, coexistent aujourd'hui deux cultures professionnelles : les plus anciens se considèrent encore comme des travailleurs sociaux et regrettent l'évolution de leur métier, les plus jeunes se perçoivent comme des psychologues-criminologues. La tendance est la même dans les pays anglo-saxons et nordiques.

Si l'on dresse un premier bilan des transformations que nous venons d'esquisser, on relève un certain nombre de résultats positifs. Malgré l'augmentation du nombre de personnes détenues et du nombre de personnes suivies en milieu ouvert, les recrutements effectués ont permis de faire diminuer le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP, passé de 80 il y a cinq ans à environ 70 aujourd'hui, avec d'importantes différences territoriales. Le renforcement des SPIP a par ailleurs accompagné la montée en puissance de la surveillance électronique.

Les juges de l'application des peines (JAP) perçoivent une amélioration de la qualité des écrits qui leur sont remis. La direction de l'administration pénitentiaire a mis en place un référentiel des pratiques opérationnelles (RPO 1), une méthodologie importée des pays anglo-saxons, qui a contribué à harmoniser les pratiques des professionnels, même s'il ne faut pas tomber dans une systématisation des pratiques et faire disparaître la dimension humaine. Les SPIP se sont investis avec succès dans la lutte contre la radicalisation et contre les violences intrafamiliales.

Certains de nos interlocuteurs ont toutefois exprimé un jugement plus critique. L'Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice a ainsi déploré que trop de sorties de détention restent insuffisamment préparées. Le Conseil national des barreaux (CNB) a également regretté que les rapports remis par le SPIP au juge de l'application des peines soient transmis trop tardivement à l'avocat, ce qui ne lui ne permet pas de préparer convenablement la défense de son client. Le CNB a perçu des lacunes concernant la maîtrise du droit des étrangers chez certains conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.

Il est difficile d'apprécier si l'effort consenti en faveur des SPIP a eu un impact sur la récidive. La direction de l'administration pénitentiaire est consciente de cette difficulté et elle souhaite désormais bénéficier d'outils méthodologiques pour appréhender la récidive sur la base d'une comparaison avec un groupe de contrôle, ce qui permettrait de mieux évaluer l'efficacité des peines et de la probation.

Dans ce contexte, nous croyons utile de renforcer pendant encore quelques années les effectifs des SPIP, en veillant à garantir la pluridisciplinarité des équipes. Les recrutements opérés jusqu'à présent ont permis de remédier aux manques les plus criants, sans que la situation devienne pour autant confortable.

Nous proposons de viser un ratio de 60 dossiers par CPIP en moyenne - je rappelle que nous en sommes plutôt à 70, voire plus dans certains territoires. Ce ratio est souvent cité comme une référence dans les comparaisons européennes. Le recrutement de 600 CPIP supplémentaires permettrait d'atteindre cet objectif. L'investissement peut être source d'économies s'il permet d'obtenir de meilleurs résultats en termes de réinsertion. Il doit bien sûr s'accompagner d'une politique immobilière adaptée. Lorsque je me suis rendue au SPIP de Bordeaux dans mon département de la Gironde, j'ai constaté que les conditions n'étaient pas optimales.

Se pose aussi la question de l'attractivité de la filière : si le statut des CPIP a été revalorisé avec leur passage en catégorie A, le métier de directeur pénitentiaire d'insertion et de probation (DPIP) demeure en revanche insuffisamment attractif. L'an dernier, plus de 90 postes de DPIP étaient vacants. Les directeurs constatent que l'écart de rémunération avec les CPIP s'est beaucoup réduit. La personnalité du directeur et sa capacité à faire travailler ensemble une série de métiers sont également des facteurs importants. Une revalorisation de leur traitement indiciaire pour le rapprocher des A+ mérite d'être envisagée. Son impact budgétaire serait modique puisque l'on compte moins de 500 DPIP en équivalent temps plein.

J'ai évoqué le tournant vers la criminologie qui a fait évoluer les pratiques professionnelles des CPIP. Pour porter ses fruits, il doit s'accompagner à notre sens d'une véritable pluridisciplinarité dans les services. Il ne faut pas oublier l'aspect insertion et accompagnement social, ce qui suppose la mise en place d'un écosystème d'acteurs. À Marseille, nous avons vu que tous les acteurs étaient réunis autour de la table, chacun dans son rôle.

L'ancrage de l'identité professionnelle des CPIP dans le champ pénal implique, en contrepartie, le recrutement d'assistants de service social. Leur nombre dans les SPIP est passé en cinq ans de 61 à 104. En moyenne, on en compte donc à peine plus d'un par département ! L'objectif serait de porter le nombre d'assistants de service social à 150.

Les personnes entendues ont en outre insisté sur l'importance des fonctions support. Certaines organisations syndicales plaident pour la création d'un greffe des services d'insertion et de probation. Nous n'avons pas retenu cette proposition - d'autant que nous manquons déjà de greffiers -, mais il nous paraît important de rappeler la nécessité de disposer dans les SPIP d'un personnel administratif bien formé, afin que les conseillers puissent se concentrer sur leur coeur de mission.

Enfin, il nous faut évoquer l'apport des surveillants pénitentiaires au fonctionnement des SPIP. Leur présence est indispensable : ils apportent un regard complémentaire de celui du CPIP sur le comportement de la personne condamnée qu'ils observent au quotidien.

J'évoquerai à présent les questions d'organisation avant de rendre la parole à Marie Mercier qui traitera de l'enjeu central des partenariats.

Au cours des États généraux de la justice a été débattue l'idée de créer une agence de la prévention de la récidive et de la probation. Cette proposition était défendue par le groupe thématique « justice pénitentiaire et de réinsertion », mais elle n'a pas été retenue dans le rapport définitif, le rapport Sauvé.

Pour ses promoteurs - je pense notamment à Isabelle Gorce, ancienne directrice de l'administration pénitentiaire -, la création d'une agence présenterait plusieurs avantages : souplesse dans l'organisation et le recrutement, positionnement interministériel plus affirmé et « décentrage » par rapport au poids de la gestion carcérale. Mais, selon nous, elle ferait aussi courir le risque d'une coordination plus difficile avec la DAP et celui d'une moindre continuité entre le milieu fermé et le milieu ouvert, ce qui explique que nous ne l'ayons pas retenue.

Plutôt qu'un grand « mécano » institutionnel, nous insistons sur l'importance du travail interministériel, qui doit être organisé au niveau national et décliné localement. En mars 2022, une feuille de route a été signée par le ministre de la justice, la ministre du travail et la ministre déléguée à l'insertion pour accompagner la réinsertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, ce qui est un exemple de bonne pratique.

Nous soulignons également l'intérêt qu'il y aurait à resserrer les liens entre l'administration pénitentiaire et le monde universitaire pour développer la recherche en criminologie, ainsi que l'évaluation des politiques pénales.

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