Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 février 2023 à 8h35
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à ouvrir le tiers-financement à l'état à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique — Procédure de législation en commission - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio, rapporteure :

Nous sommes saisis aujourd'hui d'une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 19 janvier dernier, visant à ouvrir le tiers-financement à l'État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

Derrière cet intitulé assez aride se cache un objectif somme toute assez simple : il s'agit de déroger, à titre expérimental, au code de la commande publique afin de permettre à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics respectifs d'engager plus facilement des travaux de rénovation énergétique en différant le paiement de ces travaux, de façon que ces derniers puissent être financés par les économies d'énergie qu'ils devraient entraîner. Le paiement initial des travaux est ainsi réalisé par un tiers, d'où le terme de « tiers financement ».

Avant de vous présenter plus en détail la portée de cette expérimentation, je souhaiterais soulever deux points de méthode, dans l'espoir de bénéficier de l'oreille attentive du ministre, dans l'intérêt de la démocratie parlementaire et la qualité de nos débats.

En premier lieu, en raison de l'inscription précipitée de cette proposition de loi à l'ordre du jour des travaux du Sénat, nous n'avons pas pu procéder à toutes les auditions que nous souhaitions. En second lieu, compte rendu de ces délais contraints, plusieurs administrations n'ont pas répondu aux demandes de contributions écrites que je leur ai adressées.

J'en reviens désormais au dispositif du texte qu'il nous est proposé d'adopter.

Ce texte ne peut être pleinement apprécié qu'au regard des objectifs particulièrement ambitieux de réduction de la consommation d'énergie des bâtiments publics que nous avons inscrits dans la loi, une première fois dans la loi Grenelle 1 du 3 août 2009, puis à nouveau dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan).

La loi Élan impose ainsi une réduction de 60 % de la consommation d'énergie finale des bâtiments publics d'ici à 2050, par rapport à leur niveau de 2010.

L'atteinte de ces objectifs, bien évidemment louables puisqu'ils permettront de réduire à la fois notre empreinte carbone et la facture énergétique du secteur public, tout en améliorant le confort des usagers et des agents du service public, représente néanmoins un immense défi collectif tant les sommes à mobiliser apparaissent colossales. D'après les estimations qui m'ont été transmises, il faudrait engager approximativement 400 milliards d'euros pour procéder à la rénovation énergétique des 400 millions de mètres carrés détenus par des propriétaires publics. Pour la seule sphère étatique, les montants évoqués atteignent 90 milliards d'euros, ce qui représente 1,5 fois le budget annuel du ministère de l'éducation nationale, pourtant le premier poste de dépense de l'État.

Je n'ai donc pas été surprise de constater, lors des auditions que nous avons menées, « l'incapacité d'atteindre ces objectifs sans mobilisation de ressources supplémentaires dédiées à la mise à niveau du parc immobilier » du secteur public, selon les termes de la direction de l'immobilier de l'État, qui a pourtant mobilisé 3,9 milliards d'euros consacrés à la rénovation énergétique des cités administratives depuis 2019.

Dans ce contexte, accentué par la hausse récente des coûts de l'énergie, le texte qui nous est proposé peut indéniablement représenter une solution pour aider l'ensemble des propriétaires publics à relever le défi de la transition énergétique.

Afin de lever les freins à l'investissement qui résultent du coût élevé des travaux de rénovation énergétique et de favoriser l'atteinte des ambitieux objectifs de réduction de la consommation d'énergie des bâtiments publics que prévoit la législation, cette proposition de loi vise à expérimenter, pendant cinq ans, un régime dérogeant au droit de la commande publique pour la réalisation de ces travaux.

Ces dérogations permettraient à l'État et à ses établissements publics ainsi qu'aux collectivités territoriales, à leurs établissements et à leurs groupements de recourir à titre exceptionnel au paiement différé dans le cadre des contrats de performance énergétique. Ces contrats, dédiés explicitement aux travaux de rénovation énergétiques, ont été instaurés en 2009, et ont pour spécificité d'imposer des objectifs chiffrés et mesurables en termes de gain d'énergie, dont dépend la rémunération finale du titulaire du contrat. Malgré cette garantie de résultats, ils sont néanmoins peu utilisés, y compris par l'État, puisque seuls 380 contrats de performance énergétique ont été conclus lors des quinze dernières années.

Le paiement différé qu'autorise, à titre dérogatoire, cette proposition de loi, serait à terme simplifié par les économies d'énergie qu'entraîneraient ces travaux de rénovation énergétique.

Pour limiter l'incitation à la dette que ce dispositif pourrait produire, l'article 1er bis instaure quelques garde-fous lors de la procédure de passation de ces contrats, directement inspirée des marchés de partenariat, anciennement connus sous le terme de « partenariat public-privé » (PPP). La conclusion de ces contrats serait ainsi conditionnée à la réalisation d'une étude préalable démontrant un bilan plus favorable que les autres contrats de la commande publique et à l'élaboration d'une étude de soutenabilité financière.

Toujours dans l'objectif d'inciter à la rénovation énergétique des bâtiments, l'article 2 bis procède enfin à un élargissement de la faculté, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les syndicats d'énergie, de prendre en charge tout ou partie des travaux de rénovation énergétique des bâtiments dont sont propriétaires leurs membres, en y ajoutant les études qui précèdent généralement ces travaux.

À première vue, le nouvel outil juridique qu'il nous est proposé d'adopter semble une bonne idée, et il ne fait aucun doute qu'il permettra à certains projets de voir le jour en bénéficiant d'un plan de financement adéquat.

C'est néanmoins pour de bonnes raisons que la jurisprudence constitutionnelle tout comme le droit commun de la commande publique encadrent très strictement le recours au tiers-financement et au paiement différé. En effet, le tiers-financeur répercutera nécessairement sur l'acheteur public le coût de l'avance de trésorerie que représente le paiement différé. In fine, ce dispositif sera donc plus coûteux pour l'acheteur public qu'un financement classique, qu'il soit sur fonds propres ou par le biais d'un emprunt bancaire. Cette remarque m'apparaît d'autant plus fondée que l'ensemble des personnes que nous avons interrogées partagent le constat selon lequel les économies d'énergie ne pourront pas compenser le coût total des travaux de rénovation.

En outre, je constate que les conditions de passation de ces contrats sont lourdes, ce qui risque de limiter fortement l'intérêt du dispositif pour les propriétaires publics.

C'est pourquoi je vois cette expérimentation davantage comme un outil complémentaire pour favoriser la transition énergétique qu'une solution miracle pour alléger le budget des collectivités territoriales peinant à respecter leurs engagements en matière de rénovation énergétique.

Malgré les réserves que je viens d'énoncer, je vous propose d'adopter cette proposition de loi, en l'améliorant sensiblement afin de simplifier le recours à ce dispositif et de préciser son contour par le vote de quelques amendements que je vous présenterai dans quelques instants.

En parallèle, toujours à cause des réserves que je viens d'énoncer, je vous proposerai en outre de renforcer le suivi et l'évaluation de cette expérimentation, afin, d'une part, que les dérogations au code de la commande publique soient pleinement justifiées à l'issue d'un retour d'expérience et, d'autre part, que les collectivités en difficulté puissent rapidement être identifiées, et donc accompagnées. Le renforcement de l'évaluation de cette expérimentation est une exigence à laquelle je tiens particulièrement.

Bien que ces dispositions paraissent très techniques, elles soulèvent de véritables enjeux pour l'avenir et la qualité de nos services publics.

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