Intervention de Philippe Lutz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 février 2023 à 8h35
Mission d'information sur la formation initiale et continue de la police et de la gendarmerie nationales — Audition de Mm. Jérôme Leonnet directeur général adjoint philippe lutz directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale et le général de corps d'armée bruno arviset directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale

Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale :

L'objectif d'augmenter la formation continue de 50 % dans la police nationale est extrêmement ambitieux. À l'instar de ce que nous avons fait pour la formation initiale, nous avons tenté d'adopter une approche originale.

La réflexion traditionnelle sur la formation continue consiste à dire, en effet, que les gens ne se formant pas suffisamment par manque de temps ou de volonté, il faut donc les y obliger. Or nous savons très bien que l'obligation de formation ne fonctionne pas : il y a toujours de bonnes raisons de ne pas se former.

L'idée a donc été de travailler à la fois sur le développement de la formation en distanciel et sur la notion de proximité. En effet, une intervention opérationnelle pour un cambriolage ou des violences conjugales primera toujours sur une action de formation.

Nous souhaitons en particulier sensibiliser systématiquement les cadres à la formation et, au-delà, les faire réfléchir sur les compétences. Il est en effet très efficace de demander à un brigadier-chef, à un major, à un officier ou à un commissaire de police s'il dispose au sein de son service des compétences nécessaires, judiciaires par exemple, pour atteindre les objectifs opérationnels.

La notion de proximité implique en outre la réappropriation locale de formateurs. Demander aux gens de faire vingt à cinquante kilomètres pour suivre une formation n'est pas ce qu'il y a de plus efficace. Il est de loin préférable de mettre à profit un temps d'activité moindre, qui peut être la matinée, pour faire progresser les équipes dans leurs techniques d'interpellation, par exemple, par des mises en situation, des débriefings et des retours d'expérience immédiats.

En matière de formation en distanciel, notre e-campus compte près de 160 000 inscrits. Il est fréquenté en moyenne par 4 000 fonctionnaires par jour, avec des pics à plus de 7 000, et 120 000 fonctionnaires s'y forment chaque année. Cela nous oblige à présenter une offre qui soit adaptée en permanence, et qui soit évolutive.

Par ailleurs, la dimension d'accompagnement est absolument nécessaire. Proposer des formations intégralement à distance reviendrait à méconnaître l'acte de formation lui-même. Voilà quelques mois, j'ai reçu deux associations de policiers - l'Association police en souffrance (APS) et PEPS-SOS Policiers en détresse -, particulièrement investies dans la prévention du suicide. Je leur ai demandé d'intervenir dans des écoles de gardiens de la paix. Cela ne va pas nécessairement de soi : il peut paraître contre-productif qu'une association vienne parler suicide dans la police à des jeunes qui entrent dans la carrière. La première intervention, à Périgueux, a toutefois rencontré un franc succès.

Si je prends cet exemple, c'est que lors de notre entretien a été évoquée une e-formation obligatoire, sur le repérage des signaux faibles de situation pouvant conduire à un suicide. Les représentants des associations m'ont alerté sur le fait que certaines mises en situation avaient pu correspondre à des situations déjà vécues par les stagiaires. Or quand on est seul devant son écran, il peut être difficile de vivre des réminiscences de situations professionnelles qui ont pu être traumatisantes.

Il est donc important que les stagiaires qui suivent des formations en distanciel puissent être accompagnés. Certes, les stagiaires peuvent échanger sur les forums existants, mais il nous semble essentiel de développer le tutorat, comme l'a fait par exemple le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

L'idée de proximité suppose aussi de réfléchir à un service local et de proposer des microformations, qui peuvent très bien ne durer qu'une demi-heure ou une heure.

S'agissant des centres de tir, la mutualisation de la formation entre gendarmerie, centres privés et polices municipales existe depuis longtemps déjà, par la force des choses, en raison du manque criant d'équipements. La seule limite est liée aux conditions de sécurité, qui doivent être validées par le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami).

D'autres types de mutualisation sont à l'oeuvre, en matière d'investigation numérique, de lutte contre les infractions liées à l'environnement ou encore de stupéfiants, dans le cadre de la création de l'Office antistupéfiants (Ofast). Enfin, la formation des assistants d'enquête sera mutualisée avec la gendarmerie.

Les possibilités sont donc larges. Si les questions de la militarité ou des différences de doctrine se posent, elles peuvent être discutées. Les lieux de formation eux-mêmes peuvent être mutualisés, même si les sites existants sont déjà très largement occupés. Quoi qu'il en soit, il existe une volonté partagée de mutualiser les compétences.

Nous sommes enfin très attentifs à la question des interventions extérieures, le manque d'ouverture étant un grief qui est souvent fait à la police nationale. D'une manière générale, nos formations sont assurées par des policiers, qui ne sont pas des formateurs professionnels. S'ils sont formés pendant douze semaines à la pédagogie et à la gestion de groupe, ce sont avant tout des policiers qui ont exercé sur le terrain et qui peuvent apporter leur expérience et leur expertise.

Par ailleurs, nous faisons intervenir de manière régulière l'association Flag !, le Défenseur des droits, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) ou encore la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). J'insiste sur ce point : ces interventions ne relèvent pas de l'affichage. Nous travaillons beaucoup sur la progression pédagogique. Ainsi, le Défenseur des droits, par exemple, n'intervient pas à n'importe quel moment de la scolarité. Son intervention a été travaillée en amont.

La solution de facilité aurait été d'opter pour une présentation par le Défenseur des droits, lui-même, de son rôle et de sa fonction, mais cela aurait eu un intérêt relativement limité. La présentation du Défenseur des droits se fait donc en distanciel. Tous les élèves ont l'obligation préalablement de se connecter sur l'espace numérique de travail pour s'informer concrètement du statut du Défenseur des droits, etc. Le délégué du Défenseur des droits, lorsqu'il intervient, aborde plutôt des situations extrêmement concrètes en s'appuyant sur des interventions de policiers ayant pu poser problème dans le passé. Tout cela est à mettre en parallèle avec l'ensemble des situations professionnelles analysées au travers des exemples types. Nous travaillons, notamment après la période de stage, sur des vidéos de contrôles d'identité à partir de caméras-piétons relayées par Le Monde et Mediapart, qui ne sont pas totalement à la gloire de la police, en particulier en matière de tutoiement. Il nous semble en effet important de montrer qu'un certain nombre de techniques et d'agissements ne sont pas conformes à ce qui est attendu d'un policier au quotidien, preuve de notre ouverture d'esprit en matière de formation.

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