L'Assemblée nationale a adopté le 2 décembre dernier une proposition de loi déposée par le député Guillaume Kasbarian, qui traite de deux sujets auxquels notre commission est depuis longtemps attentive : la lutte contre le squat et la sécurisation des rapports locatifs.
Vous vous souvenez certainement que notre commission avait déjà examiné, en janvier 2021, sur le rapport d'Henri Leroy, une proposition de loi de Dominique Estrosi Sassone tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat. Plusieurs dispositions que le Sénat avait alors adoptées sont reprises dans le texte qui nous est transmis. On peut regretter, à cet égard, que le Gouvernement n'ait pas été plus tôt à l'écoute des propositions du Sénat, ce qui nous aurait permis de gagner un temps précieux pour lutter contre ce phénomène. Celui-ci affecte régulièrement de petits propriétaires qui découvrent, par exemple en rentrant de vacances, que leur résidence principale est occupée.
La première partie du texte vise à prévenir et à réprimer plus efficacement le squat. Certaines dispositions, cependant, pourraient s'appliquer aussi à des locataires défaillants qui se maintiennent dans les lieux alors que leur bail est résilié, faute de solution de relogement. Il ne me paraît pas souhaitable d'entremêler les situations du squatteur et du locataire défaillant, qui sont très dissemblables, et je vous proposerai donc quelques amendements pour mieux les distinguer.
J'évoquerai pour commencer l'article 1er, qui tend à alourdir la peine prévue à l'article 226-4 du code pénal pour sanctionner le squat du domicile. Il y a deux ans, le Sénat avait déjà approuvé cette mesure, qui vise à exercer un effet dissuasif contre les squatteurs, et je vous proposerai de l'adopter sans changement.
Le texte reprend une autre disposition que nous avions adoptée, celle qui tend à punir d'une amende la propagande ou la publicité en faveur de méthodes visant à inciter ou faciliter le squat. Vous savez comme moi que l'on peut trouver sur internet de véritables « guides du squat », qui donnent des conseils sur la manière de s'introduire illégalement dans un logement et d'échapper à l'expulsion. C'est ce type de pratiques qui serait désormais pénalisé.
Un troisième article vise à punir celui qui se dit faussement propriétaire d'un bien immobilier pour le louer. Il arrive parfois que des personnes se voient reprocher de squatter un logement alors qu'elles ont cru, en toute bonne foi, le louer à son propriétaire légitime. Cette forme de tromperie doit bien sûr être sanctionnée, mais j'observe qu'il existe déjà dans le code pénal un article 313-6-1 permettant d'appréhender ce type de comportement. Nous y reviendrons au moment de l'examen des amendements.
J'en arrive aux deux dernières mesures pénales, qui sont plus controversées. Actuellement, le code pénal réprime le squat du domicile, au nom du respect de la vie privée, mais pas le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile. La proposition de loi entend combler cette lacune afin de mieux garantir le respect de la propriété privée, qui est aussi un principe fondamental dans notre République.
À cette fin, le texte prévoit de créer deux nouvelles infractions : la première punirait de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de s'introduire ou de se maintenir, sans droit ni titre, dans un local à usage d'habitation ou à usage économique ; la deuxième punirait de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende celui qui se maintient dans un logement alors qu'il est sous le coup d'une décision d'expulsion, qu'il a épuisé toutes les voies de recours et qu'il est arrivé au terme de tous les délais accordés par le juge. Plusieurs interlocuteurs que j'ai auditionnés avec Dominique Estrosi Sassone reprochent à ces dispositions de criminaliser des personnes en grande difficulté sociale, a fortiori dans un contexte de hausse des prix de l'énergie qui pèse sur le pouvoir d'achat des ménages.
En ce qui me concerne, si je partage l'objectif de lutter plus efficacement contre toutes les formes de squat, je pense que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale gagnerait à être mieux circonscrit : en effet, le champ d'application des deux infractions qui nous sont proposées se recoupe et la première pourrait concerner aussi bien des squatteurs que des locataires dont le bail a été résilié. Je vous proposerai donc de mieux distinguer ces deux situations, en créant, d'une part, une infraction pour pénaliser le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile ; d'autre part, en conservant l'infraction relative aux locataires. Dans mon esprit, cette dernière infraction n'a vocation à s'appliquer que de manière exceptionnelle à des locataires d'une particulière mauvaise foi qui ont abusé de toutes les voies de recours.
J'en arrive à l'article 2 de la proposition de loi, qui tend à retoucher la procédure d'évacuation forcée des squatteurs, sous l'égide du préfet, prévue à l'article 38 de la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (Dalo). Cette procédure permet à celui dont le domicile est squatté de saisir le préfet afin qu'il mette en demeure, dans un délai de quarante-huit heures, le squatteur de quitter les lieux. Si ce dernier ne défère pas à la mise en demeure, le préfet peut recourir à la force publique pour qu'il soit procédé à l'évacuation du logement. Cette procédure dérogatoire, qui ne fait pas intervenir une décision de justice, a été utilisée moins de 170 fois au cours de l'année écoulée.
Sur ce point, je vous proposerai d'amender le texte transmis par l'Assemblée nationale afin de réintroduire des dispositions que nous avions adoptées il y a deux ans, mais qui n'ont pas été reprises par les députés. L'objectif est d'élargir le champ d'application de cette procédure à l'hypothèse du squat de logements qui ne constituent pas un domicile, ce qui est cohérent avec les mesures envisagées en matière pénale. Ainsi, un logement qui est squatté, alors qu'il est vide entre deux locations, pourra être libéré rapidement. En l'état actuel, un logement vide entre deux locations n'est pas considéré comme un domicile. Il appartiendra aux préfets de faire un usage proportionné de cette nouvelle faculté, en accordant, par exemple, des délais plus importants lorsque les circonstances l'autorisent.
Toujours dans l'objectif de décourager l'occupation illicite des logements, les députés ont adopté un article qui pérennise un dispositif expérimental, créé en 2009, de mise à disposition temporaire de locaux vacants. Celui-ci permet à des organismes agréés par le préfet, et conventionnés avec le propriétaire, de bénéficier de la mise à disposition de locaux inoccupés, dans l'attente d'un changement d'usage ou de travaux importants, en contrepartie de leur engagement à entretenir ces locaux et à les libérer à l'échéance convenue. Les organismes agréés peuvent y loger des résidents temporaires. C'est une bonne chose : en favorisant l'utilisation de locaux provisoirement inoccupés, ce dispositif permet de lutter, indirectement, contre le squat.
Je regrette que le Gouvernement n'ait pas procédé à l'évaluation qui était attendue avant la généralisation de l'expérimentation. Cependant, les avis des acteurs de terrain que nous avons auditionnés sont très positifs : je vous propose donc de soutenir la pérennisation de ce dispositif.
Un article 2 bis introduit un régime dérogatoire de responsabilité civile pour le propriétaire d'un logement occupé sans droit ni titre, en cas de dommage résultant d'un défaut d'entretien.
Cette mesure répond à une décision récente de la Cour de cassation, qui a décidé, en appliquant à la lettre le code civil, de condamner un couple de propriétaires à verser 60 000 euros à une ancienne locataire qui s'était maintenue dans les lieux et qui avait chuté à la suite de la rupture d'un garde-fou. Il est anormal qu'un propriétaire qui ne peut plus accéder à son bien et, partant, qui ne peut pas effectuer les travaux d'entretien nécessaires, soit condamné en cas de dommage résultant d'un défaut d'entretien. L'article 2 bis prévoit de libérer le propriétaire de sa responsabilité pour défaut d'entretien lorsque le bien est occupé illicitement. Pour éviter tout effet d'aubaine, je vous proposerai néanmoins d'exclure les propriétaires de logements indignes de ce régime dérogatoire.
La seconde partie du texte vise à sécuriser les rapports locatifs en améliorant la procédure contentieuse.
Le contentieux locatif est aujourd'hui soumis à une procédure longue et complexe, dont les objectifs premiers sont, dans l'intérêt du propriétaire comme du locataire, le maintien des rapports locatifs et l'apurement de la dette. L'expulsion reste la solution de dernier recours, a fortiori si le locataire en difficulté est de bonne foi. Le contentieux peut parfois durer des années : cela pose évidemment problème au propriétaire qui ne peut pas récupérer son bien, mais aussi au locataire qui accumule parfois une importante dette locative dans l'attente d'une solution de relogement.
Il s'agit d'un contentieux de masse, qui occasionne chaque année environ 500 000 délivrances de commandement de payer et 150 000 assignations en justice, pour 70 000 décisions d'expulsion ferme, dont 16 000 nécessitent le concours de la force publique. La réforme proposée aura donc des effets tangibles pour des milliers de nos concitoyens.
La proposition de loi vise à accélérer la procédure contentieuse et à accompagner plus tôt les locataires en difficulté.
Dans un souci de sécurité juridique, l'article 4 généralise les clauses résolutoires de plein droit dans les baux locatifs. Celles-ci sont aujourd'hui facultatives, bien que présentes dans la grande majorité des baux. En cas de non-paiement du loyer par exemple, la présence d'une clause résolutoire permet au propriétaire de saisir le juge pour faire constater la résiliation de plein droit du contrat de bail.
Dans le but affiché de responsabiliser les locataires, le pouvoir reconnu au juge de suspendre les effets de la clause résolutoire serait par ailleurs subordonné à une demande expresse du locataire et à la reprise du paiement du loyer avant la date de l'audience. De même, le juge ne pourrait vérifier les éléments constitutifs de la dette locative et la décence du logement que sur saisine du locataire, alors qu'il peut le faire d'office actuellement.
Avec Dominique Estrosi Sassone, nous exprimons des réserves sur cet article 4, qui risque d'aboutir à un plus grand nombre d'expulsions en raison de la méconnaissance, par les locataires, de leurs droits et des règles de procédure. Il nous faut trouver d'autres modalités pour inciter le locataire à régler sa dette locative et son loyer courant, en conditionnant le maintien dans le logement au respect de ses engagements, afin que les intérêts du locataire et du bailleur se rencontrent sans préjudice pour aucune des parties.
Afin d'accélérer la procédure contentieuse, l'article 5 procède à la réduction de plusieurs délais, ramenés de deux mois à un mois ou de deux mois à six semaines. Au total, si nous votons le texte tel qu'il nous est transmis, le délai minimal incompressible entre la remise du commandement de payer et l'expulsion avec le concours de la force publique serait réduit de trois mois et demi en cas de mauvaise foi du locataire. En outre, lorsque le relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales, le délai maximal pouvant être accordé par le juge, avant qu'il ne soit procédé à l'expulsion, serait ramené de trois ans à un an. Je vous proposerai de modifier ces dispositions à la marge, afin que les procédures amiables soient favorisées : celles-ci apportent une solution dans plus des deux tiers des litiges locatifs.
Enfin, l'article 5 tend à améliorer l'accompagnement social des locataires en difficulté en le systématisant et en l'initiant plus en amont. Plus précisément, il prévoit que tous les commandements de payer seront transmis aux commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex). En outre, alors que les diagnostics sociaux et financiers (DSF) qui éclairent le juge sur la situation sociale du locataire et sur sa capacité à apurer ses dettes ne sont actuellement élaborés qu'à partir de l'assignation en justice, ceux-ci seraient désormais réalisés dès le stade du commandement de payer, puis mis à jour pour l'audience judiciaire.
Ces objectifs sont louables, mais il semble néanmoins peu réaliste que les services sociaux et les Ccapex puissent s'acquitter de ce fort accroissement de leur charge de travail : à l'heure actuelle, les juges ne peuvent s'appuyer sur un DSF pour rendre leur décision que dans 30 % des cas. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter les amendements présentés par Dominique Estrosi Sassone, qui reprennent l'objectif de renforcement de l'accompagnement social des locataires tout en garantissant une meilleure opérationnalité du dispositif. Donnons une chance au juge de disposer en temps utile du DSF.
Ce texte comporte des dispositions très techniques, mais il soulève des enjeux réels pour les locataires, les propriétaires et pour l'accès au logement de nos concitoyens, notamment les plus modestes.