Intervention de Jean-François Santoni

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 12 janvier 2023 à 10h00
Continuité territoriale entre l'hexagone et l'outre-mer : table ronde sur le dispositif applicable à la corse

Jean-François Santoni, directeur général de l'Office des transports de la Corse :

Mon propos sera un peu plus technique. Il portera sur la mise en place des contrats et sur leur exécution, avec différents paramètres, qu'ils soient économiques, financiers et juridiques.

Le dispositif de continuité territoriale applicable à la Corse fait cohabiter le secteur maritime et le secteur aérien. Nous bénéficions d'une continuité territoriale en termes tant de service public maritime que de service public aérien. Cette obligation est notamment assurée par des opérateurs privés, via des conventions de délégation de service public dans les deux secteurs. Dans le secteur maritime, il y a une cohabitation entre les obligations de service public et les délégations de service public, alors que, dans l'aérien, nous avons uniquement des délégations de service public, avec une exclusivité d'exploitation au bénéfice du délégataire de la convention.

Sur le maritime, les obligations de service public sont assurées depuis le port de Toulon à destination des ports de Corse par un opérateur privé, à ses risques et périls, c'est-à-dire sans compensation, mais également du port de Nice - ce dernier sera probablement fermé au trafic des ferries d'ici à vingt-quatre mois.

En ce qui concerne les conventions de délégation de service public, elles sont assurées par deux compagnies délégataires au départ de quatre ports de Corse à destination du port de Marseille. Ce port éligible, ce n'est pas la collectivité territoriale de Corse qui l'a imposé, mais ce sont les études de besoins en termes de services publics du fait de l'implantation de la chaîne logistique et de la capacité du port de Marseille par rapport au volume à traiter pour la Corse. La Corse ne peut pas subir de ruptures de charge en termes d'approvisionnement. Pour citer quelques chiffres, 2 millions de mètres linéaires de fret sont transportés chaque année entre les différents ports de Corse et le continent : environ 1,9 million de mètres linéaires sont transportés depuis le port de Marseille, le reste depuis le port de Toulon. Il existe une complémentarité entre les obligations de service public (OSP) et les conventions de délégation de service public en ce qui concerne le maritime.

Il faut savoir également que les obligations de service public pour le maritime sont essentiellement utilisées pour le transport des passagers, la compagnie bénéficiant des OSP assurant 85 % du trafic passager maritime vers la Corse, contre 15 % pour les compagnies bénéficiant de conventions de délégation de service public.

Ce service public maritime est essentiellement axé sur le fret, avec plusieurs types de fret : le fret non tracté, qui représente 90 % du trafic de fret à destination de la Corse, le fret tracté qui représente 10 % à 15 % vers la Corse. L'essentiel du trafic de fret obéit à la règle du non tracté, avec toute une problématique de mise à disposition d'une plateforme logistique sur le port de desserte, mais également de forts coûts de manutention. C'est une spécificité de la chaîne logistique que nous intégrons dans les conventions.

En ce qui concerne l'aérien, nous avons douze lignes de service public au départ des quatre aéroports de Corse à destination des trois plateformes continentales : Marseille, Nice, mais également l'aéroport de Paris-Orly. Là aussi, le principe de la continuité territoriale s'applique, car nous devons permettre aux résidents corses de se rendre dans la capitale, quelle que soit l'activité - loisir, économique, sanitaire. La desserte de Paris, aussi bien que celle de Marseille et de Nice, obéit au principe de service public et est gérée dans le cadre des conventions de délégation de service public.

On a un fort contrôle de l'exécution des conventions de délégation de service public, avec un rapport d'activités audité par un commissaire aux comptes qui permet la certification des comptes et le versement des soldes de compensation. Les montants de compensation de service public tels qu'ils sont contractualisés sont des montants maximums. Les conventions, sauf cas de force majeure ou théorie de l'imprévision, comme nous avons dû l'appliquer lors de la période covid, se font aux risques et périls du délégataire. Il s'agit de contrats très encadrés, soumis aux règles du droit interne et communautaire, et discutés très en amont avec les différents services de l'État et de la Commission européenne.

La dotation de continuité territoriale s'élève à 187 millions d'euros. Elle est reconduite annuellement dans le cadre de la loi de finances, mais elle n'a plus été indexée depuis 2009. Nous avons obtenu cette année une rallonge de 33 millions d'euros, qui correspondent au montant de l'indexation entre 2009 et 2020. Nous allons maintenant entamer les négociations pour essayer de stabiliser ce nouveau complément afin de faire face aux dépenses de continuité territoriale, soit, pour l'année 2023, environ 95 millions d'euros pour l'aérien et 107 millions d'euros pour le maritime...

La règle de l'exécutif territorial à travers le vote de l'Assemblée de Corse, pour le maritime comme pour l'aérien, est d'assurer une qualité de service aux résidents aussi bien en termes de garantie de desserte qu'en matière d'accès. Il existe ainsi plusieurs départs par jour vers une destination du continent, avec une plage horaire permettant de rentrer le soir. Nous avons en moyenne trois liaisons aériennes par jour entre les deux principaux aéroports de Bastia et d'Ajaccio à destination de Marseille et de Paris-Orly, et deux liaisons vers Nice. Depuis les aéroports secondaires, nous avons une liaison quotidienne minimum entre Calvi et Figari à destination de Marseille et de Nice, et une liaison depuis ces aéroports vers Paris. La Corse est donc parfaitement connectée au continent en termes de fréquence, d'offre en sièges, de régularité et de qualité de service de la part de nos prestataires, qu'il s'agisse du maritime ou de l'aérien.

En ce qui concerne le maritime, il était important, à nos yeux, de garantir l'acheminement en fret quotidien, car nous ne disposons pas de zones logistiques de stock, y compris pour les produits de première nécessité : 95 % des produits nécessaires à la population corse sont importés depuis le continent français par la voie maritime, qu'il s'agisse des produits de consommation courante, des matériaux de construction, des produits pharmaceutiques et de l'ensemble des biens. D'où l'importance pour nous de sécuriser ce service public maritime. Les ports principaux de Bastia et d'Ajaccio sont desservis quotidiennement, sept jours sur sept, par les compagnies délégataires. Les ports secondaires de Propriano, de Porto-Vecchio et d'Île-Rousse sont desservis trois fois par semaine, tout au long de l'année. Il faut préciser que le port d'Île-Rousse est également dédié au transport de matières dangereuses de catégories 1, 2 et 3 - celles-ci ne sont pas uniquement des explosifs, il s'agit aussi d'un approvisionnement en oxygène médical et en chlore, nécessaire pour le fonctionnement de l'ensemble des stations d'épuration. Les volumes de fret définis pour les besoins de service public l'ont été sur la base des différentes études. Nous ne les avons pas fixés d'un claquement de doigts !

En ce qui concerne les tarifications, votre questionnaire fait état de tarifs préférentiels. Aujourd'hui, en ce qui concerne l'application du principe de continuité territoriale, dans le maritime comme pour l'aérien, nous avons un tarif résident pour les passagers. Sur le bord à bord en matière aérienne, vers les aéroports de Marseille et de Nice, le tarif pour l'aller-retour est de 42 euros hors taxes, soit environ 100 euros TTC. Le montant des taxes est donc supérieur au prix du billet lui-même. Il s'agit d'un point d'interrogation important. Le tarif ne prend pas en compte les nouvelles taxes issues de la loi « Climat et Résilience » qui entreront en vigueur en 2023 ou en 2024. À destination de Paris, le tarif résident s'élève à 150 euros aller-retour, avec là aussi un montant de taxes quasiment supérieur au montant du tarif hors taxes.

En ce qui concerne le fret maritime, le prix est de 40 euros hors taxes et redevances par mètre linéaire. Il est légèrement en dessous du tarif routier longue distance. Nous avons poussé plus loin la réflexion afin de garantir ce tarif tant pour le consommateur final que pour les différentes entreprises en l'adossant à un contrat de couverture carburant.

Quid des relations avec la Commission européenne ? S'est-elle prononcée sur ce dispositif ? La délégation de service public 2016-2020 et la délégation 2020-2023 en cours d'exécution aujourd'hui ont été notifiées à l'Union européenne et ont été travaillées en amont. Ces contrats n'ont fait l'objet d'aucune remarque de la part des services, ils sont parfaitement exécutoires et conformes à la réglementation.

En ce qui concerne le dossier maritime, les contrats mis en place à partir du 1er janvier 2023 ont été notifiés auprès des services de l'Union européenne et travaillés en amont avec eux. Auparavant, certains contrats n'avaient pas été notifiés du fait de la courte vie des contrats, dont certains étaient limités à douze, à dix ou à trois mois. Aujourd'hui, nous avons une stabilité à sept ans qui nous permet d'éviter cet écueil. Nous avons de bonnes relations avec l'Union européenne, établies sur la confiance, fruit d'un travail de fond considérable, qu'il s'agisse du maritime ou de l'aérien.

Quel est le dispositif le plus transposable aux outre-mer ? Il m'est difficile de me prononcer sur ce point, car je ne connais pas les différentes composantes des autres territoires. Cela devrait faire l'objet d'une consultation spécifique pour examiner ce qui peut être transposable, ce qui peut être adapté ou ce qui ne l'est pas.

Ainsi, les attentes de la population et les intérêts des différents territoires de Corse sont couverts par les concessions de service public (CSP) et les DSP.

Je signale toutefois que le montant de la dotation de continuité territoriale est insuffisant, même s'il correspond à la juste compensation versée aux compagnies délégataires sur le fondement de la notion de bénéfice raisonnable. Sachez que la marge des bénéfices des compagnies délégataires de service public s'élève à 2,13 % : c'est le bénéfice raisonnable le plus faible des compagnies maritimes sous service public ou sous OSP dans le bassin méditerranéen et en Europe !

Par ailleurs, le conseil exécutif de Corse nous a demandé de travailler à un tarif « diaspora », que nous espérons présenter prochainement.

Quant à la qualité de résident, elle est définie très clairement par les délégations de service public aériennes : elle repose sur la domiciliation fiscale. Nous délivrons une accréditation aux résidents qui souhaitent bénéficier du tarif résident. En matière maritime, les résidents corses n'y sont plus éligibles à compter de 2023, sauf pour besoins médicaux, dans la mesure où le transport de passagers est garanti par la compagnie qui exerce l'obligation de service public, ce qui représente 85 % des cas. Les résidents corses qui souhaitent emprunter les lignes de service public bénéficient des tarifs de l'OSP, mais n'ont pas droit au tarif des compagnies délégataires.

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