Intervention de Pascale Gruny

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 janvier 2023 à 9h10
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny, rapporteur :

En approuvant les lois Chassaigne 1, en 2020, et Chassaigne 2, en 2021, notre commission a réaffirmé avec force son attachement au monde agricole et à tous ceux qui consacrent leur vie à la production des denrées dont la France a besoin.

Toutefois, ces femmes et ces hommes, dont les conditions de travail sont souvent rudes, perçoivent toujours des revenus - donc des pensions de retraite - particulièrement faibles.

Aussi ai-je le plaisir de vous présenter, ce matin, mon rapport sur la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, qui permettra d'améliorer les conditions d'existence de bien des retraités. Je vous proposerai d'adopter ce texte sans modification.

Pour commencer, il convient de rappeler que l'architecture et le mode de fonctionnement du régime de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles sont extrêmement complexes.

Pour la retraite de base, la pension se décompose en une part forfaitaire, qui s'élève à 311,56 euros par mois pour une carrière complète, et en une part proportionnelle, calculée dans le cadre d'un système par points. Ont toutefois été transposées à ce régime certaines caractéristiques des régimes alignés, qui fonctionnent par annuités. Citons notamment : l'âge légal de départ en retraite, fixé à 62 ans ; la durée minimale d'assurance requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, fixée à 43 annuités à compter de la génération 1973 ; le mécanisme de surcote et de décote en fonction de la durée d'assurance effectivement validée par l'assuré ; l'âge d'annulation de la décote, fixé à 67 ans ; ou encore l'indexation des pensions sur l'inflation.

Il en résulte un régime hybride, cumulant des mécanismes propres aux deux modes classiques de calcul des pensions. Par exemple, un assuré travaillant au-delà de la durée requise pour l'obtention du taux plein acquerra des points supplémentaires, comme dans un régime par points, et bénéficiera d'une surcote, comme dans un régime en annuités.

En tout état de cause, lorsque l'assuré perçoit une pension de retraite de base à taux plein inférieure à 747,57 euros par mois, un complément - la pension majorée de référence (PMR) - lui est accordé pour porter sa pension à ce niveau minimal. Jusqu'en 2022, le montant de la PMR des conjoints collaborateurs et des aides familiaux était inférieur à celui des chefs d'exploitation. La loi Chassaigne 2 a permis d'unifier ces deux montants au niveau du minimum contributif majoré servi par les régimes alignés.

S'y ajoute enfin une pension complémentaire, portée, de 2014 à 2020, à 75 % du Smic, puis à 85 % du Smic, depuis l'entrée en vigueur de la loi Chassaigne 1, pour les chefs d'exploitation justifiant d'une carrière complète accomplie en cette qualité, dans le cadre du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO).

Malgré l'empilement de ces strates presque géologiques, les pensions de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles demeurent extrêmement faibles. Ainsi, la pension mensuelle moyenne des retraités de droit direct affiliés à titre principal à ce régime s'élève à 800 euros par mois, contre 1 510 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct. Au sein même du régime, les polypensionnés, qui représentent 82 % des assurés, perçoivent une pension globale bien supérieure à celle des monopensionnés, à hauteur de 1 277 euros en moyenne, contre 966 euros pour les monopensionnés. Cette situation est la conséquence logique des faibles rémunérations tirées de leur activité par les agriculteurs : 63 % d'entre eux perçoivent ainsi un revenu annuel inférieur au Smic brut, soit 20 511 euros.

Dans ces conditions et dans un souci de soutien à la profession, la question de la refonte de l'architecture du régime doit être posée. En effet, contrairement aux régimes alignés, qui calculent les pensions en appliquant un taux au revenu annuel moyen des 25 meilleures années, le régime des travailleurs non salariés des professions agricoles sert des pensions basées sur l'ensemble de la carrière, en multipliant le nombre de points acquis au cours de la carrière par la valeur du point à la date de la liquidation.

Il pourrait donc être avisé d'accorder aux agriculteurs, dont les revenus ont varié, dans certaines filières, de 1 à 5 au cours des dernières années, le bénéfice du même système, qui permet d'écarter les mauvaises années. Cette idée, déjà évoquée durant les débats autour de la réforme des retraites de 2010, a fait l'objet d'un examen approfondi en 2012 de la part de Yann-Gaël Amghar, actuel directeur de l'Urssaf, alors membre de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Celui-ci a démontré que le passage pur et simple d'un régime par points à un régime en annuités profiterait principalement aux pensionnés les moins modestes et serait préjudiciable aux moins aisés.

Deux éléments permettent de l'expliquer.

En premier lieu, le barème d'attribution des points actuellement utilisé par la Mutualité sociale agricole (MSA) n'est pas purement proportionnel. En effet, les assurés cotisant à l'assiette minimale se voient attribuer 23 points par an, alors qu'ils ne devraient en obtenir que 16. En outre, les assurés dont le revenu annuel se situe de 9 016 euros à 16 419 euros obtiennent uniformément 30 points, ce qui permet de financer la solidarité envers les plus modestes. Le passage à un système en annuités, c'est-à-dire à l'application d'un taux uniforme au revenu moyen des 25 meilleures années, diminuerait donc les droits acquis par les assurés dont les revenus sont inférieurs à 12 500 euros par an et qui ne remplissent pas les critères d'éligibilité à la pension majorée de référence, et favoriserait les assurés aux revenus supérieurs à ce montant.

En second lieu, dans les régimes alignés, la validation d'un trimestre est conditionnée à la justification d'une rémunération équivalente à 150 heures au Smic, tandis qu'aucune assiette minimale n'est requise au régime des travailleurs non salariés des professions agricoles, qui valident tous les trimestres ayant donné lieu au paiement des cotisations. Si la transposition de la règle de validation applicable aux assurés des régimes alignés ne lèse pas les chefs d'exploitation, qui cotisent a minima sur une assiette égale à 600 Smic et pourraient donc toujours valider quatre trimestres par an, les cotisations des conjoints collaborateurs et des aides familiaux, quant à elles, sont calculées sur la base d'une assiette forfaitaire égale à 400 Smic. À défaut de relèvement de leur effort contributif, ces assurés, qui sont très souvent des femmes, ne valideraient plus que deux trimestres par an.

Quoi qu'il en soit, la MSA ne serait pas en mesure d'assurer un tel basculement, dans la mesure où son système d'information ne conserve l'historique des assiettes de cotisation que durant huit ans. Il ne serait pas possible de reconstituer le revenu moyen des années antérieures sur la base des points attribués, puisqu'un revenu de 16 000 euros donne accès à autant de points qu'un revenu de 9 000 euros.

La seule option techniquement envisageable et limitant au maximum le nombre de perdants consisterait à appliquer la règle des 25 meilleures années dans le cadre d'un système par points, en maintenant le barème actuel. En d'autres termes, la MSA identifierait les 25 années d'assurance les plus avantageuses, calculerait le nombre annuel moyen de points obtenus au cours de ces années et l'appliquerait à chaque année de la carrière de l'assuré, dans la limite de la durée requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, soit 43 annuités à compter de la génération 1973. Le montant de la pension correspondrait alors au produit du nombre total de points calculé selon cette méthode par la valeur du point.

En 2012, l'effet d'une telle réforme était évalué par l'Igas à 47,70 euros par mois en moyenne, et son coût à 472 millions d'euros en 2040. Ces estimations devraient toutefois être réactualisées du fait des multiples augmentations des minima de pension intervenues depuis et de l'abaissement de l'assiette minimale permettant la validation d'un trimestre dans les régimes alignés de 200 heures au Smic à 150 heures au Smic.

Ainsi, 1 % à 6 % des retraités seraient perdants après cette réforme, pour des montants toutefois très minimes. Il s'agirait des assurés ayant validé une durée supérieure à la durée requise pour le taux plein. Aujourd'hui, ceux-ci bénéficient à la fois d'une surcote et d'un surplus de points. Or, dans le cadre de la réforme, le nombre annuel moyen des points obtenus au cours des 25 meilleures années ne serait appliqué qu'à la durée requise pour le taux plein, pas davantage. Les trimestres supplémentaires ne permettraient donc plus d'obtenir qu'une surcote. Néanmoins, l'effet du calcul sur la base des seules 25 meilleures années devrait à tout le moins atténuer, voire compenser, cet effet de bord.

C'est forts de ces constats que les membres du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi fixant un objectif de calcul des pensions de retraite de base des non-salariés agricoles sur la base des 25 meilleures années d'ici à 2024 et confiant au Gouvernement le soin d'en prendre les dispositions d'application par décret. Remanié sur l'initiative du rapporteur, le député Julien Dive, le texte a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier. La mise en oeuvre de la réforme a ainsi été repoussée à 2026, la MSA n'étant pas en mesure d'adapter son système d'information pour ce qui concerne les polypensionnés avant cette échéance. Du reste est prévue, dans un délai de trois mois, la remise au Parlement d'un rapport présentant : les scénarios envisagés et les paramètres retenus par le Gouvernement ; les dispositions législatives et réglementaires à modifier ; les conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l'équilibre financier du régime ; les mesures permettant de renforcer les dispositifs de redistribution et d'améliorer la lisibilité du régime.

Ce rapport devra également évaluer : l'opportunité d'une entrée en vigueur progressive de la réforme, afin de préserver un certain degré d'équité entre les retraités liquidant leur pension au cours de l'année ayant précédé la réforme et ceux qui le feront lors de la première année de sa mise en oeuvre ; et la possibilité d'un rapprochement des taux de cotisation de retraite des travailleurs non salariés des professions agricoles vers ceux du régime général, auquel les représentants de la profession ne se disent pas opposés sur le principe. Bien que l'excédent dégagé par le régime doive augmenter chaque année à mesure que son ratio démographique s'améliore, les cotisations versées ne représentent que 16,5 % de ses recettes, contre près de 78 % pour la solidarité nationale au travers de la compensation démographique et de la fiscalité affectée.

J'aurais aimé pouvoir vous proposer de modifier la proposition de loi. En effet, plusieurs éléments auraient mérité d'être améliorés.

D'abord, le texte, peu normatif, me paraît confier une prérogative trop importante au pouvoir réglementaire, sans le contraindre à retenir le scénario d'un système par points fonctionnant sur la base des 25 meilleures années.

Ensuite, le délai de trois mois accordé au Gouvernement pour la remise du rapport d'évaluation des effets de la réforme est, de toute évidence, bien trop court pour la conduite de travaux aussi vastes.

Enfin, il aurait sans doute été préférable de prévoir la remise du rapport et d'en tirer les conclusions avant de légiférer, d'autant que des modifications de dispositions législatives pourraient s'avérer nécessaires pour assurer l'entrée en vigueur de la réforme.

Toutefois, malgré ces inconvénients, il me paraît préférable d'adopter cette proposition de loi telle qu'elle nous est transmise par l'Assemblée nationale, de façon à sécuriser les acquis obtenus de haute lutte par le groupe Les Républicains.

Mes travaux m'ont, en effet, permis d'acquérir la conviction que la réforme ne fera pas de perdants : elle fera tout au plus des « non-gagnants ». Le monde agricole attend cette avancée majeure, qui permettra de renforcer l'attractivité de ses professions et de récompenser le travail de nos agriculteurs, notamment les jeunes, et des membres de leur famille à sa juste valeur.

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.

Pour conclure, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère qu'il comprend les dispositions relatives : au mode de calcul des pensions de retraite de base des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux ; au mode de calcul des cotisations de retraite de base de ces travailleurs non salariés des professions agricoles ; et aux critères d'éligibilité et aux modalités de calcul des minima de pension servis par le régime de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles et des allocations sociales dont peuvent bénéficier les personnes affiliées à ce régime.

En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs : aux paramètres des régimes de retraite autres que le régime de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles ; à la couverture des risques maladie, maternité, invalidité, décès, famille, accidents du travail et maladies professionnelles ; aux caractéristiques des différents statuts professionnels agricoles ; aux relations commerciales entre producteurs et distributeurs de denrées agricoles et à la rémunération des agriculteurs ; à la fiscalité agricole et aux règles successorales ; au soutien à l'investissement dans le capital agricole ; aux conditions de travail dans le secteur agricole ; à la protection des activités agricoles contre les risques naturels et les aléas climatiques ; enfin, à la promotion de modes de production respectueux de l'environnement et de la santé humaine. De tels amendements seraient déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.

Il en est ainsi décidé.

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