La proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, déposée par la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Fadila Khattabi, a été adoptée par nos collègues députés selon la procédure de législation en commission le 30 novembre dernier.
La discussion de ce texte, qui contient douze articles à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, est inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée le 14 février prochain.
Cette proposition de loi trouve son origine dans les scandales qui ont émaillé le secteur ces dernières années, en particulier celui des centres dentaires.
En 2015, trois ans seulement après son ouverture, Dentexia fermait après avoir mutilé et escroqué de nombreux patients auxquels étaient proposés toujours plus d'actes afin de maintenir des flux de trésorerie élevés. Dans le rapport qu'elle a consacré à l'établissement, l'inspection générale des affaires sociales recensait, en juillet 2016, pas moins de 2 400 patients membres du « collectif contre Dentexia » ainsi que 350 plaintes ordinales.
En 2021 éclatait un nouveau scandale, le scandale Proxidentaire, du nom de cette chaîne bourguignonne de centres exploitant les mêmes recettes, avec les mêmes résultats : des patients attirés par la promesse de soins à bas coût, des soignants sommés de faire du chiffre, des soins superflus facturés en quantité excessive, des victimes parfois édentées à vie. Dans le collectif d'usagers du seul centre de Chevigny-Saint-Sauveur, en Côte-d'Or, on en compte pas moins de 160. Leurs récits, dont la presse locale s'est fait l'écho, serrent le coeur au moins autant que celui de la Fantine des Misérables.
La chronique des récentes dérives de certains centres de santé ne s'arrête hélas ! pas là. Dans les Alpes-Maritimes, les centres Dental Access ont déposé le bilan en septembre 2020. Créés en 2015, ils avaient fait l'objet, à partir de 2016, de nombreux signalements et de plusieurs inspections de l'agence régionale de santé (ARS) ; en mars 2018, une patiente de 75 ans est même décédée pendant une intervention.
Je pourrais également citer la chaîne Clinadent, qui était soupçonnée fin 2021 par la direction des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur d'avoir mis en place un système de fraude fiscale par l'organisation de sociétés satellites chargée de minorer artificiellement le résultat des centres.
À chaque fois s'observe la même indifférence à la raison d'être - sanitaire ! - de ces structures de la part de ce qu'il faut bien appeler des aigrefins. Le fondateur de Dentexia avait été condamné par le passé à douze ans d'interdiction de gestion pour avoir omis de déclarer un état de cessation de paiement, et le gérant de Proxidentaire, couvreur de profession, augmentait ses marges en employant des dentistes tunisiens formés en Roumanie, attirés par un salaire de toute façon plus élevé que dans leur pays d'origine. J'hésite, enfin, à tirer une conclusion définitive du seul constat que la gérante de Dental Access fût avocate fiscaliste.
De telles dérives ont été rendues possibles par un assouplissement du cadre juridique applicable à ces centres. Afin de favoriser leur développement, la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) avait notamment substitué au régime d'agrément un régime de simple déclaration de conformité à la réglementation. Une telle souplesse caractérisait également la nature juridique des centres, la forme associative étant assez recherchée, ainsi que les activités qu'ils peuvent entreprendre.
L'ordonnance du 22 janvier 2018 avait vocation à mettre de l'ordre après le scandale Dentexia : elle a notamment interdit à ces centres la distribution des bénéfices issus de leur exploitation, prohibé la publicité et explicité le principe d'une ouverture à tous les patients et de la dispensation à titre principal de prestations remboursables.
Ces mesures n'ont à l'évidence pas suffi, et le nombre de centres a continué d'augmenter. Il a bondi de 50 % entre 2017 et 2021, cette proportion atteignant 124 % pour les centres ophtalmologiques, conduisant à une significative augmentation des remboursements liés à des consultations d'orthoptistes. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) peut certes déconventionner les acteurs malhonnêtes, comme elle l'a fait opportunément le 22 janvier dernier avec deux centres franciliens, mais cela ne résout pas le problème posé plus largement par un segment de l'offre qui semble échapper en partie aux efforts de maîtrise.
J'en viens aux apports de ce texte, dont je peux dire, avant même que l'on en discute dans le détail, qu'il est indispensable.
Son article 1er rétablit un agrément pour les centres de santé, qui vaut autorisation de dispenser des soins aux assurés sociaux. Il ne concernerait cependant que les seules activités dentaires et ophtalmologiques.
Le texte initial prévoyait d'y intégrer les activités gynécologiques, qui ont finalement été laissées hors champ, la rapporteure de l'Assemblée nationale estimant que le besoin n'était pas suffisamment établi.
Les autres activités des centres de santé ne font pas l'objet d'un rétablissement d'agrément et demeurent soumises au seul engagement de conformité, dont le récépissé vaut autorisation de dispenser des soins.
Le texte a été enrichi par les travaux conduits en commission par nos collègues députés. La rapporteure a notamment souhaité préciser les pièces obligatoires du dossier de demande d'agrément. Si je considère qu'un renvoi au pouvoir réglementaire eût été suffisant, je comprends sa préoccupation et ne vous proposerai pas de revenir sur cette énumération non exhaustive. Sont ainsi nécessairement adressés au directeur général de l'ARS le projet de santé, les déclarations d'intérêts des membres de l'instance dirigeante ou encore les contrats liant l'organisme gestionnaire à des sociétés tierces.
Surtout, la commission a prévu un schéma en deux temps, avec un agrément provisoire pour une durée d'un an, période au cours de laquelle une visite de conformité peut être organisée par l'ARS et conduire à la remise en cause de cet agrément.
Par ailleurs, soucieuse de renforcer le pouvoir du directeur général de l'ARS dans l'octroi des agréments, la commission a prévu des motifs de refus : par exemple, un dossier de demande d'agrément jugé insuffisant ou, plus grave, des manquements du projet de santé ou de la gestion du centre aux exigences de conformité et à celles du projet régional de santé. Ces motifs devront, selon moi, être précisés par voie réglementaire.
Enfin, apport important de la rapporteure, l'agrément est délivré définitivement et maintenu si et seulement si les informations relatives aux professionnels employés - diplômes et contrats de travail - sont transmises sans délai aux ARS et aux ordres concernés. Il s'agit, par un avis motivé de l'ordre attendu sous deux mois, de pouvoir identifier et signaler les installations de professionnels ayant déjà eu des pratiques peu scrupuleuses.
Je vous proposerai une réécriture partielle de cet article afin d'en clarifier la formulation. Il me semble nécessaire de revoir les étapes d'obtention de l'agrément provisoire ou définitif, comme il est plus pertinent, selon moi, de parler de « retrait » de l'agrément dans le cas où la visite de conformité montrerait des incompatibilités importantes.
Je vous proposerai enfin de renforcer les pouvoirs d'information des ARS après la délivrance de l'agrément, afin de faciliter les contrôles sur les liens d'intérêts ou les contrats liant les organismes gestionnaires à des sociétés tierces. Il me paraît indispensable de prévoir un retrait possible en cas de manquement aux règles applicables aux centres de santé ou relatives à la qualité et à la sécurité des soins.
L'article 1er bis prévoit l'exclusion du dirigeant d'un centre de santé de toute fonction dirigeante au sein de la structure gestionnaire si celui-ci a des liens d'intérêts avec une entreprise délivrant des prestations à la structure. Il s'agit de prévenir certains montages complexes que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) avait identifiés. Je vous proposerai, à cet article, une seule modification d'ordre légistique.
L'article 1er ter introduit une obligation d'information des ARS, des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et des ordres en cas de fermeture d'un centre de santé. Il s'agit de pouvoir assurer la désactivation rapide des numéros Finess - fichier national des établissements sanitaires et sociaux - ou encore des cartes de professionnels de santé (CPS) des praticiens, et de tarir ainsi les flux de facturation. Cet article répond là aussi à des dérives constatées, relatives à des facturations réalisées postérieurement à des fermetures. Je vous proposerai de renforcer ce dispositif d'information obligatoire en prévoyant une information anticipée en cas de fermeture prévue, et de transférer ces dispositions à l'article 1er.
L'article 1er quater prévoit un mécanisme transitoire de « gestion du stock », afin de faire entrer les centres de santé existants dans le nouveau régime d'autorisation. Cette disposition est tout à fait bienvenue : se focaliser sur les nouveaux centres sans chercher à mieux contrôler les centres ouverts n'est pas pertinent.
Sur ce point, je vous proposerai des clarifications du dispositif ménageant des délais distincts pour les agréments provisoires et définitifs, que j'espère plus compatibles avec la charge de travail des ARS.
L'article 2 oblige les centres à se doter d'un comité dentaire ou ophtalmologique, pour ceux qui exercent des activités de ce type. Un tel comité, qui serait chargé de contribuer à la politique d'amélioration de la qualité des soins et à la formation continue des salariés, serait un utile contrepoids au pouvoir du gestionnaire. Il serait naturellement composé des seuls médecins du centre, mais pourrait inviter à ses réunions des représentants des usagers.
L'article 2 prévoit également de faciliter l'identification, par les patients, des professionnels qui les prennent en charge.
Les amendements que j'ai déposés à cet article ne sont que de clarification rédactionnelle.
L'article 2 bis dispose que les salariés des centres sont identifiés par un numéro personnel distinct de celui de la structure dans laquelle ils exercent. Étrangement, en effet, le numéro RPPS - répertoire partagé des professionnels de santé - ne suffit pas toujours à l'assurance maladie pour remonter jusqu'au professionnel exerçant dans un centre de santé. Je vous proposerai simplement d'étendre cette mesure à tous les praticiens, au lieu de la réserver aux seuls salariés, car les centres peuvent également faire appel à des bénévoles.
L'article 4 vise à préciser les conséquences d'un constat de manquement d'un centre de santé à ses obligations légales et réglementaires. Il garantit d'abord que les décisions de suspension et de fermeture prises par le directeur de l'ARS sont transmises sans délai à la Cnam et aux instances ordinales compétentes. Il prévoit ensuite qu'une décision de suspension encore en vigueur ou une décision de fermeture peut, pendant huit ans, justifier le refus de délivrance du récépissé d'engagement de conformité ou de l'agrément demandé par le même organisme gestionnaire, le même représentant légal ou un membre de son instance dirigeante. Il crée enfin un répertoire national destiné à recenser les mesures de suspension et de fermeture prises dans toute la France, à l'attention des services de l'État et de l'assurance maladie. Je vous proposerai des amendements de clarification.
L'article 5 dispose que les gestionnaires des centres de santé font certifier leurs comptes et les transmettent annuellement au directeur général de l'agence régionale de santé. Je ne suis pas certain que cette mesure s'impose pour tous les centres, notamment les plus petits ou ceux qui sont gérés par une collectivité territoriale. Je vous proposerai par conséquent de renvoyer au décret la détermination des critères en fonction desquels s'impose la certification des comptes, ainsi que les modalités de leur transmission.
L'article 6 visait à assortir le manquement à l'obligation de transmission des informations utiles à l'ARS des sanctions financières déjà applicables en cas de manquement à l'engagement de conformité. Il est en réalité satisfait par la rédaction de l'article 8 issue des travaux de l'Assemblée nationale : je vous propose par conséquent de le supprimer.
L'article 7 précise que les centres de santé ne peuvent demander le paiement intégral anticipé des soins qui n'ont pas encore été dispensés. J'y suis favorable, de même qu'à la possibilité malgré tout laissée aux centres de demander un acompte, ce qui peut s'entendre pour des soins complexes et séquencés. Je vous proposerai simplement un amendement rédactionnel.
L'article 8 complète les dispositions relatives aux sanctions financières qui sont à la main du directeur général de l'ARS en élargissant les hypothèses dans lesquelles il peut les prononcer ; en prévoyant un barème gradué, qui serait précisé par voie réglementaire ; en portant la valeur de l'amende maximale de 150 000 à 300 000 euros, et celle de l'astreinte journalière de 1 000 à 2 000 euros. Je vous proposerai d'augmenter encore ces valeurs, respectivement à 500 000 et 5 000 euros, afin de rendre les sanctions plus dissuasives et d'affiner le barème dans lequel le directeur de l'ARS pourra choisir celle qui correspond le mieux aux manquements constatés, en fonction de leur gravité.
Enfin, l'article 9 prévoit la remise d'un rapport relatif aux moyens dont les ARS auront besoin pour remplir ces nouvelles missions. Il est vrai que les moyens de contrôle des ARS sont ce qu'ils sont ; nous l'avons déjà déploré ici même en préconisant de renforcer les contrôles sur les groupes gestionnaires d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Il n'est toutefois pas nécessaire de commander au Gouvernement un rapport de plus pour savoir à quoi nous en tenir sur ce point.
Cette proposition de loi me semble pertinente et nécessaire. Je vous propose simplement de renforcer les modalités opérationnelles de sa mise en oeuvre et de colmater quelques brèches dans le cadre juridique des centres de santé. Cela ne saurait certes tenir lieu de politique ambitieuse de l'offre de soins, mais c'est là un autre débat.
Pour l'heure, je souhaite que ce texte consensuel, qui a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, puisse trouver au Sénat une rédaction permettant, au gré d'une navette constructive, son adoption définitive au Palais-Bourbon.
Enfin, en tant que rapporteur, il me revient de vous proposer un périmètre au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives au régime d'autorisation des centres de santé ; aux règles relatives au suivi des professionnels exerçant dans ces structures ainsi qu'à l'organisation de leur mission collective de garantie de la sécurité et de la qualité des soins ; à l'identification des praticiens et à la facturation des actes des centres de santé ; aux exigences éthiques applicables aux praticiens et gestionnaires de ces structures ; aux sanctions applicables aux centres de santé et à leurs dirigeants en cas de pratiques contraires au code de la santé publique.
En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs au régime d'autorisation des établissements de santé ou aux règles d'installation et de conventionnement des professionnels de santé.
Il en est ainsi décidé.