Cette proposition de loi a été déposée en octobre dernier par la députée Stéphanie Rist, et adoptée par l'Assemblée nationale le 19 janvier. Affichant l'ambition d'améliorer l'accès aux soins par la confiance entre professionnels de santé, le texte a au contraire opposé ces dernières semaines les professions entre elles et suscité d'importantes inquiétudes. Très attendu des professions paramédicales dont il valorise les compétences, il suscite, à l'inverse, la colère des syndicats de médecins, qui jugent que certaines de ses dispositions désorganisent le parcours de soins, présentent un risque de dégradation de la qualité des prises en charge et, in fine, de perte de chances pour les patients.
Dans ce contexte tendu, le Gouvernement a jugé bon d'inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour des travaux du Sénat dès le 14 février prochain, laissant à la commission moins de deux semaines pour examiner un texte sensible, largement amendé en séance publique à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement profite d'un véhicule législatif d'initiative parlementaire pour insérer diverses dispositions sans étude d'impact, sans cohérence d'ensemble ni vision à long terme. L'examen intervient, de surcroît, concomitamment aux négociations de la prochaine convention médicale et contribue à en aggraver l'âpreté. Le moment aurait-il pu être plus mal choisi ? Il est difficile de l'imaginer.
Un mot enfin de la seconde ambition : l'amélioration de l'accès aux soins. Ne nous berçons pas de chimères, ce texte oppose à un problème structurel des réponses parcellaires et ne permettra pas de résoudre les graves difficultés auxquelles certains de nos concitoyens sont confrontés. La démographie des médecins ne va pas s'améliorer de sitôt, les professionnels de santé mettront plusieurs années avant de s'approprier de telles innovations et les patients pourront se sentir désorientés.
Malgré ces vents contraires, il nous faut bien examiner ce texte afin de faire entendre la voix de notre commission. Je vous proposerai une approche équilibrée, consistant à adopter les mesures de ce texte les mieux à même de fluidifier le parcours du patient et de valoriser les compétences des professionnels de santé, tout en l'amendant chaque fois que cela apparaît nécessaire pour garantir la sécurité des soins comme pour conserver le rôle central du médecin dans la coordination et le suivi des patients. C'est sur cet équilibre que se construit la confiance entre les professionnels de santé. Mais celle-ci ne se décrète pas par la loi, elle se construit dans le temps.
Le premier volet de ce texte, sans doute le plus conflictuel, concerne l'accès direct à trois professions paramédicales exerçant aujourd'hui sur prescription dans le cadre du parcours de soins : les infirmiers en pratique avancée (IPA), les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes.
L'article 1er entend revaloriser la profession d'IPA en l'autorisant, d'abord, à prendre en charge les patients sans adressage préalable d'un médecin, à l'hôpital, en établissement médico-social ou en ville, lorsque l'IPA exerce en structure d'exercice coordonné. Il assortit cette autorisation de conditions permettant d'assurer l'information du médecin traitant. Enfin, il autorise la primo-prescription par les IPA de produits et prestations soumis à prescription médicale obligatoire.
Bénéficiant d'une formation de deux ans supplémentaires et d'une expertise dans l'un des cinq domaines d'intervention aujourd'hui reconnus, les IPA apportent, à l'hôpital comme en ville, un appui précieux aux équipes de soins que les auditions ont permis de confirmer. Autorisée en 2018, la profession n'a connu jusque-là qu'un développement limité : la France ne comptait l'été dernier qu'environ 1 700 IPA et moins de 200 d'entre eux exerçaient en libéral. Le nombre insuffisant de patients confiés par les médecins constitue l'un des obstacles au développement de la profession les plus fréquemment mis en avant.
Si contrairement à l'ambition affichée, ces dispositions ne résoudront donc pas, à court terme, les difficultés d'accès aux soins dans nos territoires, elles contribueront toutefois à renforcer l'attractivité et la reconnaissance de la profession comme à faciliter les prises en charge. C'est pourquoi je vous proposerai de les adopter, tout en veillant à ce que l'accès direct s'exerce en étroite coordination avec les autres professionnels de santé et avec le médecin en le réservant, en ville, aux structures les plus intégrées qui partagent une patientèle commune. La primo prescription de produits et prestations à prescription médicale obligatoire ne pourra, elle, être autorisée qu'après avis de l'Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé (HAS).
L'article 1er vise également à restructurer la profession en créant deux catégories d'IPA, spécialisés et praticiens. Ces dispositions n'étant pas adaptées au modèle français de pratique avancée infirmière tel qu'il s'est développé ces dernières années, et les organisations d'IPA elles-mêmes y étant opposées, je vous proposerai de les supprimer.
Les articles 2 et 3 visent à permettre également aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes d'exercer sans prescription médicale préalable, dans les mêmes conditions que pour les IPA. Là encore, je vous proposerai de mieux encadrer l'accès direct envisagé, en le réservant en ville aux structures les plus intégrées. Dans le même objectif et pour répondre aux inquiétudes exprimées par les médecins, je vous soumettrai également un amendement proposant de réduire le nombre maximal de séances de masso-kinésithérapie accessibles sans diagnostic médical préalable, porté à dix en séance publique à l'Assemblée nationale : il me semble préférable de le ramener à cinq.
Un second volet de la proposition de loi vise à étendre les compétences des professionnels de santé.
Ainsi, l'article 1er bis autorise les infirmiers à prendre en charge la prévention et le traitement de plaies, y compris par la prescription d'examens complémentaires et de produits de santé définis, et l'article 2 bis autorise les masseurs-kinésithérapeutes à prescrire une activité physique adaptée. Je vous proposerai de mieux encadrer ces dispositions, notamment en prévoyant que la HAS rende un avis sur le périmètre et les conditions des prescriptions envisagées.
L'article 4 entend confier de nouvelles compétences à des assistants dentaires dits de niveau II. Leurs missions, actuellement circonscrites à de la pure assistance du praticien, seraient étendues à une contribution active aux actes d'imagerie à visée diagnostique, aux actes prophylactiques, aux actes orthodontiques et à des soins post-chirurgicaux. Sous la responsabilité et le contrôle effectif du chirurgien-dentiste, l'assistant dentaire pourrait ainsi réaliser du détartrage, enlever des points de suture sans difficulté... L'article 4 ne crée donc pas un nouveau professionnel, mais distingue deux paliers au sein de la profession d'assistant dentaire, créant ainsi une perspective d'évolution de carrière pour ce métier.
Les compétences au coeur de l'article devront être acquises à l'issue d'une formation spécifique dont la maquette est discutée par la branche professionnelle et le ministère. Afin de bien préciser que seuls les assistants dentaires de niveau II pourront réaliser les nouvelles missions, je vous proposerai de conditionner l'exercice de ces activités à l'obtention du certificat de qualification professionnelle appropriée.
L'article 4 bis complète le dispositif par un encadrement bienvenu. Afin d'éviter toute dérive, il vise à limiter le nombre d'assistants dentaires de niveau II, dans une structure, au nombre de chirurgiens-dentistes. Certains centres de santé dentaire, peu scrupuleux, pourraient être tentés d'utiliser le biais de ces assistants dentaires pour réduire encore le nombre de praticiens exerçant effectivement dans les centres. Afin de renforcer ce contrôle, je proposerai un amendement pour que cette limitation s'applique sur un site d'exercice et non à l'échelle de la structure, et au regard du nombre de chirurgiens-dentistes effectivement présents.
D'autres articles élargissent les compétences reconnues à certains professionnels de santé sans modification en profondeur des professions.
Les pédicures-podologues se voient ainsi reconnaître par l'article 4 septies le pouvoir de prescription d'orthèses plantaires, de gradation du risque podologique et de prescription des séances de soins adaptés en cas de diabète. Ces compétences permettront de fluidifier le parcours de soins des patients et d'éviter les retards de prise en charge du risque podologique pour les patients diabétiques, que la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) avait, par exemple, constatés dans un rapport de 2017. Je vous proposerai donc d'adopter cet article.
L'article 4 octies permet aux opticiens-lunetiers d'adapter une prescription médicale de verres correcteurs ou de lentilles de contact lors de la première délivrance de ces dispositifs médicaux, avec l'accord écrit du praticien prescripteur. Je vous proposerai d'adopter l'article amendé afin de prévoir que les conditions d'adaptation sont précisées par décret. Tel est le cas pour les adaptations de prescription qu'ils peuvent déjà réaliser dans le cadre d'un renouvellement d'ordonnance.
Enfin, l'article 4 terdecies autorise, à titre expérimental, les pharmaciens biologistes à pratiquer des prélèvements cervico-vaginaux pour le dépistage du cancer du col de l'utérus. Je vous proposerai de soutenir cet article, avec le regret qu'il ne s'agisse là que d'une expérimentation. Les biologistes médicaux, qu'ils soient pharmaciens ou médecins, détiennent, en effet, des niveaux de qualification équivalents. Lever cette différence de traitement dans leurs compétences me paraît être souhaitable afin de renforcer les efforts dans la prévention de ce cancer.
Une troisième partie de la proposition de loi concerne l'organisation du parcours de soins.
L'article 4 ter vise à permettre aux sages-femmes, aux chirurgiens-dentistes et aux infirmiers de concourir à la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Je vous proposerai d'adopter cet article, susceptible d'améliorer l'accès aux soins non programmés pendant les heures de fermeture de cabinet, après suppression des dispositions proclamant un principe de responsabilité collective. Cette notion ambiguë, dont le ministère a peiné à nous expliquer la portée, suscite l'inquiétude des professionnels.
L'article 4 quater définit la notion d'engagement territorial des médecins et prévoit que celui-ci est valorisé dans des conditions définies par les conventions médicales. Ces dispositions apparaissent dénuées de portée dans la mesure où les partenaires conventionnels sont d'ores et déjà en mesure de rémunérer la participation des médecins à la permanence des soins, la modération tarifaire des spécialistes de secteur 2 ou l'exercice coordonné. Elles interfèrent inutilement avec les négociations en cours. Aussi, je vous soumettrai un amendement visant à les supprimer.
En revanche, et pour rendre du temps médical utile aux médecins, je vous proposerai, avec Élisabeth Doineau, un amendement visant à lutter contre les rendez-vous médicaux non honorés. Notre dispositif propose de confier à la convention médicale le soin de déterminer une indemnisation du médecin à qui un patient fait faux bond sans raison légitime. Cette indemnisation serait mise à la charge du patient responsable afin de responsabiliser les assurés sociaux. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) pourra, par exemple, déduire la somme des remboursements ultérieurs versés au patient.
Je vous proposerai également d'adopter l'article 4 quinquies, visant à faciliter la mise à jour des protocoles de coopération nationaux par le comité national des coopérations interprofessionnelles et des protocoles nationaux, après consultation des conseils nationaux professionnels concernés et avis de la HAS.
Enfin, deux articles concernent le statut de certaines professions et leurs conditions d'exercice.
L'article 4 sexies modifie les conditions de qualification permettant l'exercice des professions de préparateur en pharmacie et pharmacie hospitalière. Ces professions ne sont accessibles, en droit, qu'à la personne titulaire du brevet professionnel. Or, un diplôme d'études universitaires scientifiques et techniques (Deust) de préparateur ou technicien en pharmacie a déjà été créé dans une optique de montée en qualification de la profession. Je vous invite à voter cet article dont l'adoption est nécessaire pour permettre aux étudiants déjà engagés dans le Deust de pouvoir exercer à la fin de leur cursus.
De même, je vous proposerai d'adopter l'article 4 decies, qui vise à reconnaître les assistants de régulation médicale (ARM) comme professionnels de santé et devrait contribuer à améliorer l'attractivité d'une profession concentrant d'importants besoins de recrutement.
Je vous propose donc d'aborder ce texte de manière pragmatique. Il convient de retenir les mesures qui apportent des améliorations attendues sur le terrain par les professionnels de santé, mais de mieux encadrer, en revanche, les dispositions qui risquent de désorganiser inutilement le système de santé. Ainsi amendée, je vous invite à adopter la proposition de loi.
Il me revient enfin de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend des dispositions relatives aux pratiques avancées des auxiliaires médicaux, aux conditions d'exercice des professions de santé, aux compétences des professionnels de santé, et aux relations entre les professionnels de santé et l'assurance maladie.
En revanche, j'estime que n'auraient aucun lien, même indirect avec le texte déposé, des amendements relatifs aux régimes sociaux et fiscaux s'appliquant aux professionnels de santé, ainsi qu'à l'organisation de l'hôpital et aux statuts des structures d'exercice.
Il en est ainsi décidé.