Intervention de Jean-Paul Virapoullé

Réunion du 21 février 2007 à 15h00
Création d'un observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Paul VirapoulléJean-Paul Virapoullé :

...fondée sur une distorsion des règles de la concurrence.

Là est le cancer qui ronge notre économie !

Des règles du jeu internationales ont été fixées, au début par le GATT, ensuite par l'OMC. Ces règles doivent être respectées par tous, mais chacun joue avec des cartes biaisées et celui qui respecte les règles du jeu devient le dindon de la farce !

Dans ces conditions, nous ne pouvons pas faire du facteur humain, c'est-à-dire des travailleurs, un ajustement structurel.

Si nous continuons dans cette voie, nous allons conduire à la révolte ceux qui donnent le maximum de leurs possibilités.

Mes chers collègues, l'OMC avait pour but d'éliminer tous les obstacles tarifaires et nous pouvons dire qu'elle y est pratiquement parvenue. Néanmoins, et c'est en cela que les règles de l'OMC sont quelque peu faussées, au-delà des obstacles tarifaires que l'on peut quantifier, jauger, il y a les obstacles non tarifaires, par exemple les tracasseries douanières - quand un produit entrant en importation est bloqué pendant deux mois sur un quai - qui, eux, ne sont pas quantifiables.

Je pourrais vous citer d'autres distorsions de concurrence préjudiciables à notre économie qui ne sont pas quantifiables, comme le dumping social ou le dumping environnemental. Combien coûte à la France le fait que nous respections les normes environnementales dans nos villes et dans nos campagnes alors que d'autres pays s'y refusent, y compris les États-Unis - les rois du monde ! -, eux qui n'ont toujours pas ratifié le protocole de Kyoto ?

Inutile donc de chercher à culpabiliser plus longtemps le peuple : la France pas plus que l'Europe n'ont été capables jusqu'à ce jour d'imposer ces règles du commerce mondial loyal sans lesquelles nous continuerons de crise en crise à voir l'économie européenne se déliter. C'est inéluctable !

Je ne vais pas citer la liste de toutes les formes de dumping, chacun ici connaît le sujet. Mais pensez aux contrefaçons. N'est-ce pas là une forme de déloyauté ? Et que dire des transferts de technologie obligatoires en échange d'une autorisation de vendre vos produits dans tel ou tel pays ? Vous en voulez un exemple ? Voyez les Airbus A320, qui vont être assemblés en Chine !

Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous continuons à dénoncer la sclérose de l'Europe et de la France, qui ne s'adapterait pas à l'air du temps, celui du libre-échange, qui connaîtrait trop de blocages, et nous persistons à culpabiliser le peuple tout en laissant des règles jouer de manière déloyale contre nous, soit nous jouons cartes sur table dans les négociations et nous nous opposons à cette dérive en renvoyant chacun au respect de règles qui s'imposent à tous.

Le problème aujourd'hui - c'est la raison pour laquelle j'ai l'honneur d'intervenir devant vous - est que nous ne disposons pas d'un instrument susceptible de mesurer le non-respect des règles de l'OMC telles qu'elles ont été définies au cours des divers cycles de négociations. En d'autres termes, nous n'avons pas de thermomètre pour prendre la température du malade ! Par conséquent, triche qui peut, triche qui veut, et comme il peut ! Ainsi, nous creusons nous-mêmes le fossé dans lequel s'enlisent notre pays et d'autres de ses partenaires européens.

Prenons garde cependant de n'imputer ces pratiques d'une mondialisation déloyale qu'à la Chine et à l'Inde. Un constructeur de trains français - le plus grand, le plus connu, celui qui fabrique les meilleurs trains au monde, à savoir les TGV - m'a raconté qu'il avait voulu vendre ses locomotives aux États-Unis. Mais ses interlocuteurs américains lui ont répondu que ce n'était pas possible. Pourtant, c'est un pays où règne le libre-échange, à moins que je ne me sois trompé de planète ! Quelle a été la raison invoquée, pour justifier ce refus ? Elle est simple : aux États-Unis, les trains transportent de l'armement et ont donc un usage stratégique. Or on ne peut confier à des locomotives françaises le soin de transporter de l'armement américain !

Si ce n'est pas une règle de commerce déloyale destinée à fausser la concurrence, qu'est-ce que c'est ? Si ce n'est pas un obstacle non tarifaire sournois et hypocrite, qu'est-ce que c'est ?

Autre exemple, en sens inverse, dernièrement, le constructeur Bombardier a décroché le marché du renouvellement des rames SNCF du réseau régional d'Île-de-France. Mais, nous, Français, ne pouvons pas soumissionner au Canada !

Et il faudrait aussi parler des normes phytosanitaires. Quand j'ai voulu vendre des litchis réunionnais en Australie, on m'a opposé une liste de deux cents virus ; autrement dit, mes litchis, je pouvais les garder !

N'est-ce pas là encore une restriction injustifiée ? Mais c'est ainsi que fonctionne le commerce « loyal » : les règles sont scrupuleusement définies par les personnes présentes autour de la table des négociations, mais ensuite chacun fait sa petite popote dans son pays et la loi du plus fort - la loi de la jungle ! - s'impose.

La plus grave conséquence de cette mondialisation déloyale est que la France se désindustrialise, contrairement à ce que proclame l'élite de notre pays. Même s'il est vrai que l'on crée des emplois, on en détruit aussi : 71 000 emplois industriels ont été détruits cette année. Selon les observateurs, 57 % des destructions d'emplois industriels au cours des quinze dernières années ont été enregistrées de 2001 à 2006. Comme par hasard, la Chine est entrée dans l'OMC en 2001 !

Ce verdict est sans appel et ne mériterait aucun commentaire, car il est clair que la mondialisation n'a pas entraîné les résultats bénéfiques que nous attendions, et que a contrario son existence pose le problème de la survie de notre industrie sur notre territoire. Vouloir un pays prospère sans industrie est un leurre. Je ne partage donc pas l'avis des plus grands économistes qui prônent cette solution.

Dans ces conditions, madame la ministre déléguée, nous vous proposons en toute humilité la création d'un observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation. En effet, quand on fixe des règles sur le plan international, la moindre des choses est de pouvoir observer la manière dont ces règles sont appliquées et l'impact économique de leur éventuelle non-application. Ne pas le faire, c'est prendre la responsabilité de laisser détruire le tissu économique de la France.

L'information économique en matière de commerce international est aujourd'hui floue, et il faut remédier à cette situation. Ainsi, il y a un an, j'ai demandé à tous les organismes nationaux et européens de m'indiquer les effets sur l'économie européenne de la diminution des droits de douane depuis les années soixante : aucun n'a pu me fournir ces informations.

Quatre objectifs peuvent donc être assignés à cet observatoire.

Le premier objectif sera de lister les pratiques déloyales existantes, même si elles ne sont pas répertoriées par l'OMC. Lorsque l'on connaîtra leur nature, on pourra mieux les combattre. Un consensus devra exister sur la notion de « pratiques déloyales ». Il faudra en effet bien les définir, ce qui suppose un observatoire indépendant.

Le deuxième objectif sera de quantifier l'impact économique de ces pratiques déloyales tant sur notre tissu économique que sur notre commerce extérieur. Ainsi pourra-t-on évaluer les conséquences du dérèglement monétaire du yuan chinois.

Le troisième objectif sera d'utiliser l'information collectée par l'observatoire afin d'améliorer la performance des instruments de défense commerciale de l'Europe, car ils existent, grâce à une information suffisante, permanente et irriguée par un réseau d'entreprises.

Enfin, le quatrième objectif sera de créer un indicateur mondial indépendant qui permette de classer les pays en application des règles commerciales, financières, sociales et environnementales. Je sais, madame la ministre déléguée, que vous avez exposé dans d'autres lieux votre attachement à cette idée, que je soutiens.

Il s'agit, sur le modèle des agences de notation, de créer un indice composite du respect des règles en matière de commerce international. Une note par pays et par an pourrait ainsi être attribuée aux principaux compétiteurs de l'Europe.

L'indépendance de cet organisme serait garantie par la mise en oeuvre d'un réseau européen universitaire.

Les informations recueillies par cet organisme seraient diffusées à la fois au grand public, aux États et à nos entreprises, et elles serviraient à tous.

Tout d'abord, le grand public a besoin d'être informé afin d'éviter que de faux procès ne soient intentés comme ce fut le cas, par exemple, avec le fameux « plombier polonais ». Cette psychose absurde a probablement pesé sur le résultat du référendum, alors qu'elle n'avait pas sa place dans le débat.

Pour ce qui est des États, il est de notoriété publique que l'Union européenne ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour faire valoir l'impact du non-respect des règles du commerce lors des négociations internationales. Mieux éclairée, l'Europe nous défendra mieux : les données fournies par cet observatoire serviront sans nul doute d'argumentaire économique et politique pour des négociations plus fructueuses.

Enfin, pour ce qui concerne les entreprises, cet observatoire fournirait un certain nombre d'outils supplémentaires.

Aujourd'hui, une entreprise européenne lésée par des pratiques déloyales a à sa disposition un certain nombre d'outils juridiques. On peut citer notamment les procédures ROC, règlements des obstacles au commerce, ainsi que la base de données Accès aux marchés, MADB.

Ces outils européens sont malheureusement largement méconnus des entreprises françaises, notamment des PME, alors qu'ils permettent de dénoncer les barrières tarifaires et non tarifaires rencontrées sur les marchés extérieurs.

Si les chambres consulaires se mettaient à la disposition des patrons, notamment des petits patrons, afin qu'ils alimentent ces bases de données, cet observatoire deviendrait le centre de gravité d'un échange fructueux et permanent entre les entreprises confrontées à ces distorsions de concurrence et l'État. De cet échange constant et non pas occasionnel, l'État, main dans la main avec les entreprises, alimenterait les outils européens et internationaux d'un argumentaire pertinent, tant sur la nature des distorsions aux règles de concurrence que sur leur impact économique.

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je souhaite en toute humilité assigner à cet observatoire la mission essentielle d'être le premier pas vers une nouvelle souveraineté économique européenne souhaitée par une très large majorité de nos compatriotes français et européens.

Ne soyons ni timides, ni timorés, ni hypocrites. Les Américains sont pour la souveraineté économique américaine. Les Chinois sont pour la souveraineté économique chinoise. L'Europe doit être pour une souveraineté économique européenne. Il y va de l'avenir de notre démocratie, de la prospérité de notre pays, du sort de nos entreprises et de nos travailleurs.

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