Intervention de Louis Souvet

Réunion du 21 février 2007 à 15h00
Création d'un observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Louis SouvetLouis Souvet :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, il est toujours difficile d'intervenir après un avocat. Quand il s'agit de Jean-Paul Virapoullé, le challenge est plus périlleux encore ! (Sourires.)

Pour quelles raisons ai-je accepté de participer à ce débat ? Mon domaine de prédilection, ma « spécialisation », portant sur toutes les questions ayant trait au droit social, je ne suis pas ici un spécialiste « hyper pointu » tel que défini par un certain langage technocratique.

Je n'ai certes pas disséqué tous les comptes rendus produits par l'OMC depuis le 1er janvier 1995. Qui le pourrait, d'ailleurs ? Tous les documents estampillés, entre autres WT, représentent des milliers de pages ; les sujets de contentieux entre les cent cinquante États membres ne font pas défaut si l'on en juge par la liste dressée par les soins du secrétariat de l'OMC. C'est un véritable inventaire à la Prévert, qui va de l'Accord sur les droits de propriété industrielle et commerciale jusqu'aux mesures antidumping en matière de vins en passant par l'acier, les droits d'auteur, les produits agricoles, le traitement fiscal des importations, et j'en passe.

Mes chers collègues, j'interviens ici, non en qualité de Candide, même si je cultive mon jardin au sens propre comme au sens figuré, mais parce que, comme vous, élus locaux pour la plupart, je peux mesurer tous les jours les effets de la mondialisation. Et ils ne sont pas les mêmes pour tous. Pour reprendre une image empruntée à George Orwell, force est de constater que certains pays sont plus égaux que d'autres, notamment en matière de dumping social !

Il convient de souligner que ce domaine est pour l'heure en partie tabou à l'OMC, même si des dents vont grincer du fait de l'opposition de nombre de pays en développement.

Homme de terrain, allergique à tout dogmatisme, je ne vais pas à cette tribune me dresser vent debout contre la mondialisation. Il s'agit d'un fait. Il convient donc de l'aménager, de fixer des règles communes. Ne comptez donc pas sur moi pour, tel un Don Quichotte des temps modernes, accuser de tous les maux l'OMC. D'autres s'y essaient, le casting est fait et les rôles sont distribués.

Les articles de tous les accords OMC, soit l'accord-cadre sur l'OMC, les accords sur les marchandises, les services, la propriété intellectuelle, les examens des politiques commerciales, et l'accord portant règlement des différends, sont autant d'armes qu'il convient de manier avec prudence et circonspection.

Quelle importance, me direz-vous, que tel groupe spécial, que tel arbitre, que l'organe d'appel aient choisi au sein du Mémorandum d'accord portant règlement des différends de privilégier de valider une option plutôt qu'une autre ?

Prenons un exemple au hasard : l'article 22 : 3 c) ou b), plutôt que l'article 22 : 3 a) ? Querelle d'experts juridiques, me direz-vous, discussion sur le sexe des anges ? Que nenni ! À la clef, tel ou tel secteur de l'agriculture, de l'industrie, peut se voir durement pénalisé.

Il s'agit ici des rétorsions qu'il est possible d'exercer soit dans un même accord - a) -, soit dans d'autres secteurs du même accord - b) - soit dans d'autres accords, c'est-à-dire dans des domaines totalement différents. Je ne multiplierai pas à l'envi les exemples, une thèse ne suffirait pas pour évoquer les interactions multiples, au regard tant des paramètres de forme que du fond des dossiers.

La production contentieuse de l'OMC est vaste, sans compter les arrangements à l'amiable, les conciliations et autres médiations. La politique, les considérations géostratégiques, prennent souvent le pas sur l'économie.

Tous les pays sont-ils égaux dans ce vaste marchandage ? On pense tout de suite aux pays en voie de développement, mais en fait, si les règles ne sont pas les mêmes pour tous, les pays développés peuvent aussi être des victimes.

Avec la gradation que connaît l'échelle du développement, la séparation binaire manichéenne entre les pays en voie de développement et les pays développés est à revoir, pour ne pas dire qu'elle est à relativiser. Soulignons que, à l'OMC, c'est le pays concerné qui choisit de se déclarer ou non pays en développement !

Je lisais dans un domaine qui m'est familier un rapport de l'Organisation internationale du travail produit par le Bureau international du travail, le BIT, sur les conditions dans lesquelles les inspecteurs du travail exercent leur mission aux quatre coins de la planète.

Sans pointer du doigt tel ou tel pays - je me garderais bien d'un tel exercice d'ingérence à l'égard de la souveraineté tant externe qu'interne des États - croyez-vous honnêtement que les contrôles des conditions de travail se déroulent partout comme en France, là où l'on veille au strict respect de toutes les règles, comme l'exige un État de droit ?

L'initiative de notre collègue Jean-Paul Virapoullé est intéressante à plus d'un titre. On ne peut plus rester les bras croisés ni, comme pour les OPA, du moins avant que le Sénat ne remette les pendules à l'heure, interdire aux entreprises de se défendre lorsque les sociétés étrangères, ou du moins des sociétés de leur groupe, ne sont pas elles-mêmes « vertueuses », pour reprendre la terminologie OPA.

Cet observatoire, s'il est mis sur pied, madame la ministre déléguée, ce que le groupe UMP appelle de ses voeux, permettra de quantifier dans un premier temps les abus.

Il n'est pas besoin d'aller aux antipodes pour rencontrer ces abus. Que dire de certaines sociétés des pays de l'ex-Europe de l'Est qui emploient des travailleurs issus de la zone asiatique ? Plus besoin de produire en Chine : on fait tourner les usines avec de la main-d'oeuvre extrêmement bon marché, sans couverture sociale, au sein même de l'Europe !

Il s'agit de dumping, osons le mot, même s'il n'est pas politiquement correct !

Avec la création de l'observatoire sera remise à l'ordre du jour, car suscitée et alimentée par des cas concrets, l'introduction dans les règles OMC de la prise en compte - par un nouvel accord ou par un avenant à un accord existant, et ce n'est pas ce qui manque dans la palette OMC - du dumping social.

L'évolution sera difficile, mais, sans cet observatoire, nous ne disposons même pas d'une base de départ !

À certains détracteurs, précisons tout de suite qu'il s'agit non pas d'un énième comité Théodule, mais d'une nécessité absolue pour commencer à agir de l'intérieur en fournissant des arguments et des éléments concrets de comparaison à nos pouvoirs publics et à nos délégations à l'OMC, tant française que communautaire. Et ils en ont besoin. Il n'est qu'à parcourir les argumentaires et les contre-argumentaires produits à propos du moindre contentieux, mais également au cours des nombreuses sessions extraordinaires de l'Organe de règlement des différends pour s'apercevoir qu'un rééquilibrage de la balance en vue d'arriver à une position d'équilibre n'est pas superflu !

C'est dans ces discussions quasi quotidiennes au sein de l'Organe de règlement des différends que l'observatoire nouvellement créé sera utile pour fournir des bilans et empêcher que telle ou telle inflexion contraire à nos intérêts ne soit validée.

L'OMC, c'est aussi cela, une négociation permanente, et pas seulement quelques sommets spectaculaires de loin en loin. Nous avons besoin des négociateurs qui nous représentent ; ils ont aussi besoin de nous.

Dans cette guerre économique, il n'y a pas un seul front, mais il y a de multiples théâtres d'opérations. Les messages diffusés tous les jours par le secrétariat de l'OMC témoignent de cette multitude, de cette diversité.

Rien que du 20 janvier 2006 au 11 décembre 2006, l'Organe de règlement des différends s'est réuni à dix-neuf reprises, excusez du peu ! Et, à chaque fois, croyez-moi, ce ne sont pas quelques centimes d'euro mais des pans entiers des économies respectives qui sont discutés, remis en cause, via, j'y reviens, les fameuses rétorsions croisées que les arbitres de l'OMC cherchent à encadrer, si ce n'est à contenir.

J'en veux pour preuve la réflexion délivrée par un arbitre dans l'affaire des États-Unis : CE-Bananes III : « Nous estimons que la raison d'être fondamentale de ces disciplines », c'est-à-dire celles qui sont contenues dans les articles du Mémorandum d'accord, « est de faire en sorte que la suspension de concessions ou d'autres obligations entre secteurs ou entre accords [...] reste l'exception et ne devienne pas la règle. »

Ce même arbitre poursuivait : « Si les arbitres étaient privés de ce pouvoir implicite, » - il s'agit du pouvoir de contrôle - « les principes et procédures de l'article 22 :3 du Mémorandum d'accord pourraient facilement être contournés. »

Notre action, en tant que représentant des intérêts industriels agricoles nationaux, se situe en complément de cette lutte contre le contournement des règles.

Il s'agit, au moyen, entre autres, de la création de l'observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation, de mettre en oeuvre un indice synthétique dédié au respect des règles élémentaires du commerce mondial.

Ce n'est pas le Far-West. Des règles existent, et nous devons promouvoir leur stricte application, voire tendre à la modification de certaines d'entre elles, peu compatibles avec les règles de loyauté commerciale - objet de notre propos - et élargir les coopérations entre l'OMC et le BIT dans le domaine du dumping social.

Rien ne sert de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant : « L'OMC ! L'OMC ! Sus à l'OMC ! », pour transposer à notre domaine de réflexion la sagesse du général de Gaulle.

Au contraire, nous devons, dans le calme et avec détermination, nous donner les moyens de contrôler l'application des règles puis d'améliorer ces dernières afin de faire en sorte qu'elles ne soient ni contournées ni éludées, comme le craignait l'arbitre précédemment cité.

La démarche entreprise par notre collègue Jean-Paul Virapoullé tendant à la création de l'observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation, participe de cette logique de complémentarité à l'égard de l'OMC.

Les groupes spéciaux, les arbitres au titre de différentes procédures, l'organe d'appel, appliquent des outils. À nous, au travers de l'étude, de la concertation, puis des négociations avec les États membres, de leur fournir les outils adéquats, pérennes au regard d'une équité au long court, synonyme de dignité pour les travailleurs des pays en développement, synonyme de maintien de l'emploi en France.

Je profite de l'occasion qui m'est ici offerte pour rendre hommage aux négociateurs européens qui, face à l'unité de leurs partenaires, doivent intégrer la dimension plurielle.

Le challenge n'est pas aisé à relever, j'en conviens. Faisons en sorte, avec la création de cet observatoire, de leur fournir des éléments de réflexion, de leur permettre de façon optimale d'apporter la contradiction à leurs homologues, aux autres délégations de l'OMC, d'amplifier les pistes de travail, de réactualiser les schémas pour lesquels certains de nos collègues ont apporté leur contribution ; je citerai de façon non exhaustive, Denis Badré, André Ferrand, mais aussi Jean Bizet, dont j'ai plaisir à citer, parmi tous les rapports sur l'OMC, celui qui est intitulé OMC : sortir de l'impasse par la réforme.

Antérieurement, notre collègue avait procédé à l'analyse du sommet de Cancun, des causes de l'échec, dans un rapport qui faisait suite à une réflexion plus générale sur l'évolution des négociations commerciales internationales à l'Organisation mondiale du commerce.

Situons notre terrain d'action, de réflexion, au-delà des dogmes, des a priori, comme le préconisaient les coprésidents de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, à savoir Mme Tarja Halonen, présidente de la République de Finlande, et M. Benjamin William Mkapa, président de la République-Unie de Tanzanie.

Était abordée, avec un ton très libre, la réforme de la gouvernance mondiale, sans manichéisme, donc au-delà des poncifs ressassés à longueur d'année par quelques ONG en mal de publicité, par quelques penseurs autoproclamés d'un clivage entre le Nord et le Sud ô combien plus contrasté qu'ils ne le disent tant les nuances sont multiples !

En conséquence, si j'ai accepté d'être l'orateur du groupe UMP dans la discussion de cette question orale sur la création de l'observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation, c'est que, répondant à la question titre posée dans le rapport du Sénat Mondialisation : réagir ou subir ?, je privilégie le premier terme - réagir - par rapport au second - subir - en me gardant de deux écueils : le protectionnisme et le libéralisme, ce qui n'est pas si simple !

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