Le 20 octobre dernier, le Sénat adoptait, à l'unanimité, la proposition de loi créant une aide d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales déposée par notre collègue Valérie Létard. Moins de quatre mois plus tard, le texte nous revient, après avoir recueilli le vote, là aussi unanime, de l'Assemblée nationale, qui y a toutefois apporté des modifications substantielles en séance publique.
Pour apprécier ces modifications, je rappellerai brièvement le coeur des dispositions de cette proposition de loi telles que votées par le Sénat. Le texte prévoyait un dispositif d'avances d'urgence, octroyées par les caisses d'allocations familiales (CAF), sous la forme d'un prêt à taux zéro. Le premier des trois versements mensuels constituant cette aide devait intervenir dans les trois jours ouvrés suivant la demande. Nous avions également adopté un mécanisme de remboursement par l'auteur des violences conjugales. La CAF avait la possibilité de se constituer partie civile pour le compte de la victime, si celle-ci renonçait à exercer ses droits, afin de récupérer les sommes sur les dommages et intérêts prononcés lors d'un procès pénal.
Nos collègues députés ont apporté au texte des modifications non négligeables. Certaines ont été portées par le Gouvernement qui, à cette occasion, est sorti de la réserve dont il avait fait preuve devant nous. Toutefois, la proposition de loi a gardé intacte son ambition de donner aux victimes de violences conjugales, dans un délai très court, les moyens financiers de quitter définitivement leur conjoint violent. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter en l'état cette proposition de loi pour permettre son application rapide.
Ce texte nous apporte plusieurs motifs de satisfaction, aux premiers rangs desquels la levée du gage financier par le Gouvernement. De même, non contraint par l'article 40 de la Constitution, celui-ci a pu ajouter des modifications que nous appelions de nos voeux. D'une part, le montant de l'aide d'urgence devra désormais tenir compte de la présence d'enfants à la charge de la victime - cela m'importait beaucoup. Cette modulation semblait impérative alors que, dans la plupart des cas, les victimes ne quittent pas le domicile sans leurs enfants. D'autre part, les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) se trouvent désormais intégrées au service de cette nouvelle aide, ce qui est nécessaire afin d'atteindre leurs allocataires. Enfin, je me réjouis du transfert du financement de cette aide de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) à l'État qui assumera là une mission qui lui incombe naturellement.
L'article 1er, qui porte le dispositif de l'aide d'urgence, a fait l'objet d'un amendement de rédaction globale du Gouvernement sous-amendé à de nombreuses reprises. La nature de l'aide a, tout d'abord, été dédoublée avec la possibilité d'octroyer à la victime soit un prêt soit une aide non remboursable selon sa situation financière et sociale. La détermination du montant de l'aide a également été revue : le montant pourra être modulé, dans le respect de plafonds limitatifs, selon l'évaluation des besoins de la personne, notamment sa situation financière et sociale ainsi que la présence d'enfants à charge. L'Assemblée nationale a également assoupli les délais de premier versement de l'aide. Le délai pourra, par dérogation, être porté de trois à cinq jours ouvrés, dans le cas où la victime n'est pas déjà enregistrée comme allocataire de l'organisme payeur. Cet allongement réduit certes l'ambition du texte, mais est plus conforme aux inquiétudes avancées par la Cnaf lors des auditions conduites pour l'examen de la proposition de loi en première lecture.
La navette a donc enrichi l'article 1er de nouvelles dispositions qui demeurent toutefois fidèles à l'objectif du texte adopté par le Sénat. Nos collègues députés ont par ailleurs maintenu inchangées les conditions d'octroi de l'aide d'urgence, ainsi que le bénéfice aux droits et aides accessoires au revenu de solidarité active (RSA) qui accompagne le versement de l'aide pécuniaire.
Enfin, le mécanisme de récupération de l'aide a été amendé en conservant le principe de demander le paiement à l'auteur des violences lorsque l'aide est versée sous la forme d'un prêt. Dorénavant, le remboursement du prêt fait partie des peines que les juridictions pénales peuvent prononcer contre l'auteur reconnu coupable, ainsi que des dispositifs à la main des parquets dans le cadre d'un classement sous condition de la procédure ou de mesures de composition pénale.
À l'article 2, les députés ont maintenu l'obligation faite aux gendarmes et policiers d'informer la victime déposant plainte de la possibilité de demander l'aide d'urgence. En revanche, si l'enregistrement de la demande dans le commissariat ou la gendarmerie demeure une faculté, elle n'est plus systématique. Sans doute les députés ont-ils estimé que de telles dispositions seraient appliquées non pas par la norme contraignante, mais par les engagements volontaires des acteurs du terrain.
D'autres dispositions de la proposition de loi concernent son applicabilité aux outre-mer. L'article 1er bis habilite le Gouvernement à légiférer pour adapter la loi à Mayotte. Le fléau des violences conjugales se retrouve avec encore plus d'acuité en outre-mer, comme je l'ai rappelé en première lecture. Cette proposition de loi ne doit donc pas oublier les habitants des territoires ultramarins.
Enfin, l'Assemblée nationale a inséré quelques nouveaux articles à la pertinence toute relative, mais qui, fort heureusement, ne gênent pas l'application du dispositif.
L'article 1er ter propose ainsi qu'une loi de programmation pluriannuelle détermine la trajectoire des finances publiques en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Pour symbolique et médiatique que soit cette disposition, elle est dépourvue de toute portée normative, le Gouvernement ne pouvant constitutionnellement être tenu de déposer un tel projet de loi. Les articles 2 ter et 2 quater sont des demandes de rapport pour lesquelles je demande votre indulgence au profit d'une adoption conforme du texte.
Aux côtés du maintien de l'essentiel de la proposition de loi et d'améliorations significatives du dispositif, quelques imperfections se sont glissées dans le texte. Il serait plus satisfaisant de le peaufiner, mais ne perdons pas de vue l'enjeu de cette proposition de loi qui nous presse. Le contexte politique de l'Assemblée nationale, qui rend peu prévisible l'issue de chaque texte, nous recommande aussi la prudence. C'est pourquoi je vous invite à adopter le texte sans modification pour que cette loi ambitieuse d'initiative sénatoriale soit promulguée sans délai.
Il me revient, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis, alinéas 5 à 8, du Règlement du Sénat. Cette irrecevabilité étant appréciée, après la première lecture, au regard des dispositions restant en discussion, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi ne saurait plus excéder, en deuxième lecture, les dispositions relatives au dispositif d'une aide d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales ; au remboursement de l'aide, y compris mis à la charge de l'auteur des violences ; et à l'adaptation du dispositif en outre-mer.
Des amendements qui ne seraient pas en relation directe avec une de ces dispositions seraient donc déclarés irrecevables par notre commission.
Il en est ainsi décidé.