Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le déficit de notre commerce extérieur devient l'un de nos problèmes majeurs. Comment concilier la nécessité d'exporter dans laquelle nous sommes et la défense de nos valeurs, qui font aussi partie intégrante de nos atouts pour défendre notre place dans la grande compétition internationale ?
Lancer un groupe de haut niveau sur la mondialisation afin d'infléchir celle-ci vers plus d'humanité, vers une compétition plus loyale, tel est l'objectif proposé.
Certains grands pays nouvellement industrialisés qui ne respectent pas les normes exigées en termes de conditions de travail et autres facteurs de compétitivité ne sont pas condamnés pour autant. Cela contribue à leur faire atteindre des taux de croissance dont on ne saurait rêver en Europe.
Devons-nous adopter et tenir une attitude défensive ? A priori, l'idée d'un nouvel indicateur statistique établi par un observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation est séduisante. Une telle structure permettrait de mesurer objectivement d'autres paramètres de l'activité économique.
Mais les indicateurs ne sont pas neutres en termes de valeurs morales et sociales ; leur établissement découle de choix de conventions et de priorités. Ainsi, les concepts de PIB ou de PNB semblent insuffisants comme thermomètres de l'économie et du développement d'un pays. Ils ne mesurent qu'un revenu global et sont complétés par d'autres indices aujourd'hui pris en compte par plusieurs organismes, notamment la Division de statistique de l'ONU, le Fonds monétaire international, l'Organisation internationale du travail et Eurostat.
Un travail est donc déjà mené pour inciter à adopter de bonnes pratiques en matière de collecte, de compilation et de présentation des indicateurs. La généralisation de telles pratiques à tous faciliterait les comparaisons entre les diverses économies.
Ainsi, l'indice de développement humain, l'IDH, est un indicateur particulièrement intéressant. Créé par l'ONU en 1995, il combine l'espérance de vie, le niveau de connaissances mesuré par le taux d'alphabétisation des adultes et le taux brut de scolarisation, ainsi que le PIB réel par habitant ajusté en parité de pouvoir d'achat. En 2002, l'IDH allait de 0, 942 pour la Norvège à 0, 275 pour le Sierra Leone, qui se classe au cent soixante-treizième rang ; la moyenne mondiale se situe à 0, 722.
Les résultats sont significatifs et relativisent la réussite économique de certains États. Ainsi, sur cent soixante-dix-sept États, la Chine et l'Inde se classent respectivement en quatre-vingt-quatorzième et en cent vingt-septième positions. Les États-Unis sont en huitième position, suivis du Japon, et la France se place au seizième rang. Le trio de tête est formé par la Norvège, de la Suède et de l'Australie.
En 1996, l'OMC engageait déjà ses membres à respecter les normes sociales fondamentales et envisageait timidement de coopérer avec l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Au niveau des entreprises, on constate des systèmes d'autorégulation affichés par les multinationales avec des chartes et labels éthiques, environnementaux ou sociaux.
La création d'un nouvel indicateur statistique serait-elle nécessaire ? Quelle serait sa justification au regard des indices présentés par des organismes existants, comme l'OIT, l'OMC ou l'OCDE ? L'idée ne semble plus si pertinente. Comment cette structure serait-elle financée ? Quels seraient ses pouvoirs ?
Certes, mon cher collègue, il existe des barrières administratives particulièrement irritantes et parfois très pénalisantes. Mais leur incidence est globalement marginale.
Nous pourrions plutôt, ou en tout cas également, adopter une attitude offensive. Comment la France peut-elle se donner les moyens de développer son commerce international, à l'instar de l'Allemagne, dans un cadre prenant mieux l'homme en compte ?
Une implantation réactive, et non statique, de nos missions économiques dans le monde me paraît essentielle, car celles-ci constituent à la fois des sources d'observations pertinentes du potentiel économique local et des outils de promotion des entreprises nationales.
Compte tenu de nos mauvais chiffres à l'exportation, je voudrais émettre une suggestion pour dynamiser nos missions : pourquoi ne pas fixer un objectif et un intéressement aux résultats à chacune d'elles ?
Malgré les efforts observés dans le cadre du ciblage de cinq « pays pilotes », la répartition de nos forces apparaît comme beaucoup trop éloignée des pôles de forte croissance. Il y a presque autant de personnes à Londres ou Düsseldorf, c'est-à-dire quarante-cinq, qu'à Pékin, où il y en a quarante-trois, et autant de personnes à Rome ou New York qu'à New Delhi, c'est-à-dire vingt-trois. Il y a plus de gens à Milan qu'à Shanghai, presque autant à Bombay qu'à Barcelone, et à peine plus à Canton.
Je choisirai un pays à très forte croissance, la Chine, pour m'interroger sur la justesse de l'implantation de nos missions économiques.
Les missions économiques françaises sont implantées dans quatre villes chinoises, c'est-à-dire Pékin, Shanghai, Canton et Chengdu. Cela fait cinq si l'on prend Hong-Kong en compte. Mais nos missions sont absentes de Tianjin, Wuhan ou Shenzhen, qui sont des agglomérations de 7 millions d'habitants ou plus. Pis encore, nous n'avons personne à Chongqing, qui est une agglomération de 34 millions d'habitants.
Madame la ministre, pensez-vous intensifier le redéploiement des postes vers des zones de forte expansion économique d'Asie ou persister dans leur maintien dans les villes européennes, où les informations et les contacts ne sont pas moins disponibles qu'en France ? Manifestement, nous entretenons plus des rentes de situation que nous ne menons une stratégie de conquête de parts de marché.
L'Allemagne gagne des parts de marché en Chine, alors que la France ne parvient qu'à maintenir sa position, qui est beaucoup plus modeste. Réalisant 4, 7 % des importations chinoises, l'Allemagne se place au cinquième rang, alors que notre pays, dont la part dans ces importations est de 1, 37 %, se situe au seizième rang. Notre part dans les investissements directs étrangers en Chine est de 1, 2 %, contre le double, c'est-à-dire 2, 5 %, pour l'Allemagne. Notre déficit bilatéral s'établit à 13, 7 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2006. Il s'agit de notre premier déficit bilatéral, devant celui qui est contracté avec l'Allemagne, avec laquelle nous étions autrefois en excédent.
Cela nous conduit à analyser brièvement le profil de l'organisation des exportations allemandes. Cent bureaux traitant les exportations allemandes sont implantés dans quatre-vingts pays, alors que nous avons cent cinquante-six missions économiques dans cent vingt pays. L'organisation allemande est régionale, tandis que la nôtre est nationale.
Le constat est donc simple. Dans un contexte international identique, l'Allemagne connaît 162 milliards d'euros d'excédent, contre 29 milliards d'euros de déficit pour la France. Cet écart considérable est sans doute provoqué par une offre différente, que l'on peut caractériser à grands traits ainsi : l'Allemagne propose des biens d'équipement, tandis que la France exporte des services, des produits de luxe et des transports. Mais la différence d'organisation pèse également très certainement sur les résultats. Ne faut-il pas totalement la repenser ?
Nous devons également aborder le cadre européen. L'Union européenne doit se montrer plus offensive, avec notamment la création d'un brevet européen et une plus grande protection intellectuelle. Elle doit également renforcer les instruments de la politique commerciale européenne dans la lutte contre le dumping et les contrefaçons, ainsi que l'indiquait en début d'année le commissaire européen au commerce, M. Peter Mandelson.
Développer les pôles de compétitivité pour rester performants et continuer à tirer profit de nos avantages comparatifs devrait faire partie de nos objectifs urgents avant que la recherche et le développement ne se déplacent encore plus vers la Chine et l'Inde, ce qui leur conférerait un avantage définitif dans la compétition internationale.
En outre, l'Organe de règlement des différends de l'OMC devrait être sollicité systématiquement et vigoureusement au niveau international, en particulier par l'Union européenne, afin notamment de lutter contre l'inacceptable dumping social.
Madame le ministre, l'heure est maintenant à l'utilisation maximale des instruments existants pour humaniser la mondialisation. Le Forum 2007 de l'OCDE « Innovation, croissance et équité » se tiendra au mois de mai à Paris. Il aura pour thèmes « Innovation et croissance », « Partager les gains de la mondialisation » et « Renforcer le système multilatéral ». Ce sera une étape instructive.
Nous comptons sur notre productivité, notre technologie, notre poids international et notre capacité d'adaptation et d'imagination pour que la France sorte gagnante de la mondialisation.
Une amélioration substantielle de nos exportations, alliée au respect toujours présent par la France de la législation du travail et de l'environnement, démontrerait que de telles obligations ne sont pas un frein au développement équilibré, ou mieux excédentaire, de notre commerce extérieur.