Je répondrai d'abord à votre dernière question, afin de préciser mon propos. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de lier les interruptions de travail à la santé, raison pour laquelle j'ai eu du mal, au départ, à anticiper les résultats que j'obtiendrais par mes analyses statistiques. En réalité, l'inactivité professionnelle peut être néfaste à la santé des femmes par ses conséquences sur leurs ressources économiques, sociales et symboliques. Elle amène un manque à gagner à l'instant t, mais aussi à la retraite. Nous savons que les inégalités économiques mènent directement à des inégalités sociales de santé. Les femmes passées par l'inactivité professionnelle font davantage face à des risques de difficultés économiques qui débouchent ensuite sur de la mauvaise santé.
Il était également dit que l'inactivité professionnelle pouvait mener à de l'isolement social. Je n'ai pas retrouvé ce constat dans mes recherches. En effet, les femmes n'étant pas en situation d'emploi s'engagent parfois dans des associations et ont des réseaux d'amis se trouvant dans la même situation d'emploi. En revanche, j'ai souvent retrouvé le stigma lié à l'inactivité professionnelle. Il est au centre de mon argument reliant la santé mentale et ces périodes d'inactivité professionnelle. Toutes les femmes, qu'elles soient très qualifiées, peu diplômées ou pas du tout, quelle que soit leur position sociale, rapportent et décrivent des remarques ou jugements vis-à-vis de leur situation d'emploi. Une partie d'entre elles disent en avoir honte et l'avoir parfois cachée. C'est par ces mécanismes, à la fois économiques et symboliques, que j'interprète les risques de santé portés par les interruptions de carrière.
J'anticipais également que l'inactivité professionnelle aurait pu protéger la santé des femmes des risques liés aux expositions professionnelles. Toutefois, on peut aussi penser que la sphère domestique n'est pas épargnée par ces expositions professionnelles. Simplement, on ne les mesure pas. Aucune enquête ne permet de documenter des expositions et des pénibilités auxquelles feraient face les femmes dans la sphère privée. Les enquêtes sur les conditions de travail ne s'appliquent que pour les employés. On peut toutefois imaginer que si on les reproduisait pour les femmes qui ne sont pas en emploi, on trouverait également les sources de pénibilité et d'exposition dans la sphère domestique. On sait que des accidents et expositions y surviennent, en lien avec l'exécution de tâches parentales et domestiques.
S'agissant des liens entre inactivité et santé mentale, j'ai moi-même observé trois indicateurs de santé. Ils sont généraux et déclarés par les femmes elles-mêmes. D'abord, j'ai travaillé sur la mauvaise santé perçue. Il s'agit de demander aux femmes si elles jugent que leur état de santé est très bon, bon, moyen, mauvais ou très mauvais. Cet indicateur peut apparaître comme très subjectif et peu fiable, mais il est l'un des plus corrélés à la mortalité. Il documente à la fois les volets physiques et mentaux de la santé. J'ai également utilisé des indicateurs de symptômes dépressifs et les limitations d'activité. Sur ce dernier point, on demande aux femmes si elles sont empêchées de réaliser des tâches du quotidien. Je n'ai pas trouvé de lien significatif entre les interruptions d'emploi et la santé fonctionnelle ou perçue, mais uniquement avec la santé mentale. Pour autant, je tiens à rappeler que l'instabilité de l'emploi ou la précarité, autres dimensions cruciales de la carrière, ou les expositions professionnelles sont liées à la santé perçue, intégrant de nombreux éléments de la santé physique, ainsi qu'à la santé fonctionnelle.
Enfin, je n'ai pas travaillé sur les violences sexistes et sexuelles et n'ai donc pas pu intégrer cette donnée dans mon analyse. J'ai toutefois retrouvé cette dimension dans mes entretiens, notamment dans la sphère privée. Cet argument peut également expliquer la mauvaise santé des femmes en inactivité professionnelle car elles sont plus souvent exposées, et plus vulnérables, aux violences sexuelles et conjugales dans la sphère privée.