Intervention de Émilie Counil

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 janvier 2023 : 1ère réunion
Table ronde avec des chercheuses de l'institut national d'études démographiques ined

Émilie Counil, chercheuse associée à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris), auteure de travaux de recherche sur les inégalités sociales de santé :

L'appareil statistique national permet de bien documenter la ségrégation sexuée des emplois et des postes et d'observer les différences de conditions de travail. Les enquêtes « conditions de travail », récurrentes, couvrent l'ensemble des actifs, contrairement à l'enquête « Sumer » (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) qui ne couvre pas les salariés indépendants et une partie de la fonction publique. Les femmes sont particulièrement présentes au sein des métiers de service, dans la vente et les métiers du soin, tandis que les hommes sont plus souvent conducteurs de véhicules, techniciens et agents de maîtrise de la maintenance, ouvriers qualifiés de la manutention et du second oeuvre du bâtiment. Nous disposons de statistiques et pourrons vous donner des sources plus précises. Cette ségrégation horizontale du travail entre hommes et femmes, qui se distribuent dans des secteurs et types de métiers différents, explique une bonne part des différences d'expositions professionnelles. Pour les hommes, elles portent davantage sur la pénibilité physique, bien que les femmes soient tout de même confrontées à de l'usure physique de différentes manières. Par ailleurs, tout le travail émotionnel réalisé par les femmes plus que par les hommes au sein de la famille ou du réseau social se retrouve souvent dans l'assignation de leurs tâches au travail. Je pourrai vous communiquer des sources plus récentes. La Dares réalise des bilans sur les conditions de travail permettant de disposer des différences entre hommes et femmes à ce sujet.

La question de la taille des entreprises est importante mais elle n'est absolument pas prise en compte en épidémiologie, ma discipline de départ, parce qu'on ne pose pas ces questions aux gens. Par ailleurs, dans le parcours de vie, et concernant le cumul des expositions et des conditions de travail au cours de la vie, il est compliqué de construire des indicateurs cumulatifs sur le type d'entreprises dans lesquelles les personnes ont travaillé, sauf quand les carrières ont été très stables. Plus elles sont instables et hachées, avec des changements d'emploi choisis ou subis, plus on peut faire face à des changements d'entreprise. Le profil des tailles d'entreprises dépend en effet des secteurs, mais pas uniquement. En termes de prévention, les très petites entreprises (TPE) ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) sont plus en difficulté pour mettre en oeuvre des mesures de prévention. Je n'ai pas mené de travaux sur la question, mais ce constat est connu et s'explique bien. Par ailleurs, les anciens comités d'hygiène et de sécurité (CHSCT) étaient par le passé réservés aux entreprises de plus de 50 salariés. La fusion des instances représentatives du personnel dans le CSE a complexifié le travail des représentants du personnel. La question de la santé au travail ne disparaît pas, mais elle fusionne avec de nombreuses autres questions. Dans ce cadre, nous nous interrogeons sur le temps qui pourra être consacré à la formation des représentants du personnel et au traitement de ces questions dans le cadre des travaux de ces comités. En termes de prévention, la question se pose donc dans toutes les entreprises, qu'elles soient de grande taille, mais aussi et surtout de plus petite envergure. Les TPE ne disposent en effet pas des mêmes outils et peuvent rencontrer plus de difficultés. Une attention particulière doit y être portée.

Autre point, l'instabilité des parcours professionnels et la question de la taille des entreprises ont des conséquences au moment de la réparation en maladie professionnelle. Nous savons qu'il existe une présomption d'imputabilité dans les tableaux de maladies professionnelles et qu'il n'est plus nécessaire de fournir une preuve d'exposition dès lors qu'on remplit les conditions de maladies professionnelles. Je rappelle que ces tableaux comprennent des colonnes reprenant la maladie, le type d'exposition professionnelle éligible, et la liste limitative ou indicative d'activités professionnelles dans lesquelles il faut avoir été actif pour être éligible, avec des durées minimales d'exposition. Il faut alors prouver ce travail exposé. Quand on fait une déclaration de maladie professionnelle, on doit en effet prouver que l'on a travaillé dans une entreprise, à un poste de travail donné, en fournissant tous les éléments de connaissance de la carrière, au-delà de ce que peut fournir la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) en termes de reconstitution de carrière. Il faut ainsi communiquer la preuve de son parcours professionnel. Lorsque l'entreprise a disparu et que l'on n'a pas conservé ses bulletins de salaire, la déclaration en maladie professionnelle peut alors être plus compliquée et les dossiers peuvent ne pas être complets. Ensuite, lorsque l'assurance maladie enquête pour s'assurer de la complétude des critères d'éligibilité, elle peut contacter les entreprises pour obtenir des informations sur les conditions de travail. Si celle-ci était de petite taille, elle a pu changer de raison sociale. Elle a également pu cesser son activité entre temps. Il sera dans ce cas plus compliqué de faire état des expositions ayant eu lieu et donc d'accéder aux droits.

Sur le volet prévention, l'enquête sur les conditions de travail comprend un volet « salarié » et un volet « employeur ». Les coupler peut apporter de nombreuses informations. Je n'ai pas travaillé sur ce sujet mais je peux me renseigner sur ces éléments s'ils vous intéressent.

Vous parliez ensuite du travail de nuit. Je commencerai par émettre une préconisation, très humblement, puisque je suis une chercheuse. Ce n'est pas mon rôle de faire des préconisations en termes de politiques publiques. Pour autant, nous disposons déjà d'outils et il existe déjà une obligation de prise en compte des différences entre hommes et femmes dans l'évaluation des risques professionnels. Il suffit d'insister sur ce fait et de mieux former et informer à ce sujet. Par ailleurs, le rôle des acteurs de la société civile et des représentants du personnel ne doit pas être négligé. À titre d'exemple, la CFDT a commencé à s'intéresser en 2017 à la question des cancers professionnels chez les femmes. Cette dynamique a trouvé son origine dans un groupe de retraités du secteur minier dans l'Est de la France. Ils connaissaient très bien cette question, pour avoir été fortement impactés et pour s'être battus pour faire reconnaître leurs atteintes respiratoires en tant que maladies professionnelles. Arrivés à la retraite, ses membres se sont rendu compte que toutes les compétences et connaissances accumulées finiraient par s'épuiser. Ils continuent à recevoir d'anciens travailleurs pour les conseiller et les accompagner, mais l'ancien régime minier du Grand-Est est aujourd'hui passé au secteur sanitaire et social, comptant majoritairement des femmes beaucoup plus jeunes qu'eux et n'ayant pas la même culture de la santé au travail. En échangeant avec le secteur sanitaire et social, mais aussi avec les personnels de bord des compagnies aériennes, ils ont réalisé que le cancer du sein pourrait être un sujet d'importance en termes de prévention et de réparation, puisqu'un certain nombre de facteurs de risques sont connus. Je peux citer ici le travail de nuit, dont le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a confirmé qu'il s'agissait d'un cancérogène probable pour le cancer du sein. S'est alors engagée une initiative, y compris en travaillant avec des associations de femmes malades d'un cancer du sein. Des courses à vélo et autres opérations de communication ont été lancées. Une enquête a par ailleurs été menée dans la lignée des enquêtes ouvrières pour documenter les expositions des femmes au travail dans ces secteurs. Je pense que les mobilisations sont très importantes.

Pour finir sur la question du travail de nuit, je pense bien entendu que le cancer du sein est un sujet, mais nous ne devons pas oublier tous les effets déjà très bien connus sur de nombreux autres aspects de la santé physique et mentale. Nous n'avons pas besoin d'attendre qu'une énième enquête de l'Inserm assoie de façon encore plus forte le lien entre le travail de nuit et le cancer du sein. De nombreux autres effets sont déjà constatés, y compris sur des aspects de la vie généralement liés aux habitudes de vie et aux comportements de santé. Le sommeil et les habitudes alimentaires sont liés aux rythmes de travail. C'est un fait établi. Les personnes travaillant de nuit ont tendance à avoir une alimentation moins saine et moins équilibrée, parce qu'elles vivent sur des rythmes sociaux décalés ou qu'elles mangent plus souvent seules. Bien sûr, les conditions de travail peuvent aussi affecter les comportements de santé. Le travail de nuit en est un bon exemple.

Le retour au travail après un cancer est une question très importante, mais ce n'est malheureusement pas mon domaine. Je sais que des recherches sont conduites en France sur ce sujet. La recherche biomédicale s'en saisit, notamment concernant le retour au travail après un cancer du sein et les inégalités sociales qui peuvent exister en matière de retour à l'emploi. Je n'ai pas de résultats à vous communiquer mais je pourrai regarder si quelque chose a déjà été publié.

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