En tant que directeur scientifique environnement à l'INRAE, je suis chargé du pilotage scientifique de quatre grands domaines, très interconnectés et qui font écho à vos préoccupations. Le premier est celui de l'adaptation et de l'atténuation face au changement climatique, notamment pour le secteur agricole mais aussi pour les écosystèmes forestiers. Le deuxième concerne les dynamiques propres à la biodiversité puisqu'on ne peut pas imaginer une trajectoire d'adaptation sans intégrer les dimensions de biodiversité. Le troisième a trait à la gestion durable des ressources en eau et du sol. Le quatrième domaine, plus transversal, porte sur l'évaluation et la gestion des risques, notamment liés aux phénomènes naturels mais aussi aux pressions anthropiques.
L'INRAE est né il y a 3 ans, le 1er janvier 2020, de la fusion de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) et de l'IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Ce rapprochement a permis de réunir dans un même établissement des compétences permettant d'aborder la question de l'eau sur l'ensemble du cycle, depuis les précipitations tombant à la surface des terres émergées jusqu'aux écoulements vers la mer (appelés souvent « l'eau bleue »), sans oublier « l'eau verte » qui désigne l'eau présente dans les sols, qui peut repartir dans l'atmosphère par le phénomène de l'évapotranspiration. Ce cycle de l'eau, via les plantes qui permettent la photosynthèse et la production de matières vivantes, est au fondement de l'ensemble des écosystèmes naturels.
Dans le contexte de tensions sur les ressources en eau et de possible - voire probable - diminution de ces ressources à des moments critiques de la production alimentaire, l'enjeu principal pour l'INRAE est de mieux comprendre le cycle de l'eau en recourant notamment à des modélisations. Je pourrai à cet égard revenir sur l'exercice Explore2 mené avec le ministère de la transition écologique et d'autres partenaires qui permet la projection de la disparité territoriale et quantitative des ressources en eau à l'échéance de la moitié du siècle. Ce projet, qui revisite un exercice antérieur, démontre que les ressources en eau issues des écoulements vont a priori fortement diminuer dans les années qui viennent.
Il nous faut également reconcevoir l'agriculture et les systèmes agricoles à la fois pour s'adapter aux conditions nouvelles liées au changement climatique et pour contribuer à l'atténuation du changement climatique. Pour réduire les émissions liées aux activités agricoles, l'INRAE s'appuie en grande partie sur les outils et méthodes de l'agroécologie. Le système actuel a largement atteint ses limites, notamment du fait - mais pas uniquement - de la raréfaction des ressources en eau à certaines phases critiques du cycle des plantes. L'objectif est de favoriser l'infiltration de l'eau, de ralentir son cycle pour permettre d'augmenter la réserve utile en eau des sols et de diversifier les productions agricoles à l'échelle des bassins pour mettre en oeuvre des systèmes culturaux plus économes en eau. En définitive, ces transformations impliquent de repenser l'ensemble de la chaîne alimentaire puisque l'adaptation de l'agriculture n'est pas qu'une question de production mais concerne bien l'ensemble des chaînes de valeur.
Au travers des outils de l'agroécologie et de la transformation des systèmes de production, nous devons aller vers des pratiques plus économes en intrants et être capables de nous projeter vers un avenir différent. De simples adaptations incrémentales ne suffiront pas. Dans plusieurs régions de France, il faut se préparer à de fortes réductions de la disponibilité en eau. Dès lors, les pratiques agricoles qui sont actuellement majoritaires ne pourront pas perdurer. L'anticipation est le maître mot. C'est ce que l'INRAE met en oeuvre avec des acteurs académiques à l'instar du BRGM et du CNRS, avec les acteurs de terrain comme les chambres d'agriculture, les instituts techniques, mais aussi avec les agences de l'eau ou l'Office français de la biodiversité, afin de se projeter à l'échelle des territoires sur ces futurs possibles dans un monde où la ressource en eau est devenue plus rare. Nous collaborons avec ces différents acteurs en soutien aux politiques publiques, pour imaginer notamment les scénarios de partage de l'eau.
On ne peut pas continuer sans changer les pratiques. Les transitions à l'échelle des territoires doivent concerner tout le monde. Il ne faudrait pas imaginer que l'on puisse continuer sans oeuvrer à la transition. Celle-ci peut être anticipée collectivement mais, si rien n'est fait, elle peut aussi malheureusement être subie et s'imposer via des catastrophes.