Un des premiers défis pour la direction de l'eau et de la biodiversité est de rendre le sujet audible. Nous avons encore du mal à sensibiliser nos concitoyens sur l'importance et les défis qui pèsent sur la gestion de l'eau.
L'été 2022, en raison de la sévérité de la sécheresse, a fait l'effet d'un électrochoc pour un certain nombre de nos concitoyens. Cette crise, que nous n'avons presque jamais connue, ne fait cependant que préfigurer ce que nous connaîtrons dans le domaine hydrologique d'ici quelques années. Ce que nous avons vécu cet été est ce que nous vivrons de manière récurrente en termes de disponibilité en eau d'ici 15 à 20 ans. L'été 2022 doit donc constituer une alerte qu'il faut prendre au sérieux et le signal que nous devons commencer à nous adapter. Notez que je parle d'adaptation et non plus d'atténuation. Nous n'avons en effet pas réussi collectivement, au niveau mondial, à prendre les mesures et les décisions qu'il fallait pour empêcher le changement climatique. Le changement climatique, qui a des incidences immédiates sur l'eau, est à l'oeuvre ici et maintenant et non pas à l'autre bout du monde dans 50 ans.
Les réseaux d'eau de 700 communes, sur les 35 000 que compte la France, n'ont pas été en mesure de distribuer de façon permanente de l'eau à leurs abonnés cet été. Cela nous a rappelé que l'eau n'est pas infinie et que la gestion estivale de l'eau n'est pas uniquement un sujet agricole, mais bien un enjeu pour l'ensemble des usages. Il faut reprendre conscience de la finitude de cette ressource et de la nécessité de la partager. L'objectif ne saurait être de partager l'eau qui n'existe pas mais de partager celle qui existe. Le fait que 700 communes aient été en rupture d'eau cet été ne signifie cependant pas qu'il y ait eu 700 communes sans eau au robinet. Grâce à l'organisation des opérateurs et à l'implication des communes, il a été possible de remplir par camions les châteaux d'eau et de permettre la distribution d'eau. Je note, au passage, que l'on constate une corrélation très forte entre la carte de ces 700 communes et celle des communes n'ayant pas délégué la compétence à une intercommunalité. Quand les travaux d'interconnexion, de sécurisation ou de fiabilisation n'ont pas été réalisés, les communes sont en effet plus dépourvues pour réagir. Le transfert de la compétence eau et assainissement à l'EPCI à fiscalité propre est un moyen d'accroître la résilience territoriale.
Je tiens également à souligner que notre système a tenu bon cet été. Si cette crise s'était déroulée il y a dix ans, je ne suis pas certain que nous aurions rencontré le même succès. Nous avons en effet anticipé la gestion de crise, via le partage dès le mois de mai-juin des cartes d'anticipation. Des arrêtés préfectoraux cadre pour anticiper la sécheresse ont été préparés en amont. Le système n'était pas parfait mais il a tenu bon. En revanche, nous devons être vigilants face à un possible « syndrome nucléaire », qui reviendrait à être excessivement confiants. Des investissements énormes ont été réalisés en faveur de l'eau potable après-guerre et jusque dans les années 1980 ainsi que sur l'assainissement jusque dans les années 2000. Nous disposons d'un patrimoine exceptionnel mais nous ne l'entretenons pas assez. Une sorte de tyrannie du prix de l'eau s'exerce : un élu est mieux considéré s'il délivre un service minimaliste avec un prix de l'eau faible plutôt qu'un vrai service avec un prix de l'eau un peu plus élevé. Cette logique nous conduit à sous-investir et à sous-entretenir le patrimoine. Comme pour le parc nucléaire, ces sous-investissements ne sont pas visibles immédiatement, ce qui conduit à retarder la prise de décisions. Le risque d'un effondrement du système à terme est réel. Pour éviter ce risque, il faut investir davantage dans l'entretien de notre patrimoine.
Pour prendre les bonnes décisions et pouvoir investir à bon escient, il faut avant tout accroître nos connaissances sur le partage de l'eau, mieux connaître les réseaux et mieux détecter les fuites. D'importants efforts de connaissances ont été mis en oeuvre notamment grâce à Explore 2070, Explore2, ou encore grâce aux rapports du GIEC. Il nous faut également mener un travail de planification dans le domaine de l'eau. Nous avons dans ce domaine une longue histoire. Tous les bassins ont conçu des plans d'adaptation au changement climatique. Pour chaque grand bassin versant existe un SDAGE (schéma directeur d'aménagement et de gestion de l'eau), porté par les agences de l'eau. Tous les six ans nous évaluons la quantité tout comme la qualité de l'eau et nous nous fixons des objectifs pour les six années suivantes. Les SDAGE sont des outils incontournables pour fixer les objectifs par bassin et déterminer les moyens pour les atteindre. Par ailleurs, la Première ministre a lancé récemment les chantiers de la planification écologique, dont le premier volet concerne l'eau. Une très large concertation s'est organisée durant les quatre derniers mois au sein du comité national de l'eau et dans les comités de bassin. Des réunions de restitution se sont tenues, au cours desquelles de nombreuses propositions ont été formulées, dans un grand nombre de domaines. Nous avons du travail pour mettre en oeuvre toutes ces dispositions.
Je souhaite rappeler que l'eau est un sujet territorial et non national. Il faut donc se garder des fausses bonnes solutions, comme celles du recours systématique au stockage. Des parties du territoire auront moins d'eau en été et en hiver quand d'autres en auront trop en hiver et à peu près ce qu'il faut en été. L'eau du nord de la France ne peut être utilisée pour alimenter le sud de la France, et inversement. Il faut s'organiser au niveau territorial. Au ministère de la transition écologique, nous répétons qu'à un territoire donné correspond une gouvernance qui lui est propre. Cette gouvernance est par ailleurs transversale : il n'y a pas une eau agricole, une eau pour l'eau potable, une eau pour l'industrie, une eau pour l'énergie. Il y a une seule ressource en eau. Certaines parties de l'année, la somme des besoins exprimés est supérieure à l'eau réellement disponible. Chaque territoire doit s'organiser pour déterminer les choix à réaliser pour mener à bien les chantiers qu'il souhaite engager. Les élus ont un rôle essentiel à jouer pour organiser ce partage de l'eau.
Le sujet de l'eau est donc un sujet territorial, transversal et qui nécessite une gouvernance par territoire. J'insiste sur le fait qu'il faut répartir l'eau qui existe. Un de nos problèmes aujourd'hui dans la gestion de l'eau est qu'on fantasme encore sur les autorisations théoriques données il y a 20 ans. Nous sommes conduits à gérer l'eau sous l'effet des crises. Des autorisations théoriques d'eau sont délivrées et on les adapte ensuite en fonction de l'ampleur des crises. Or, pour s'organiser et s'adapter, les acteurs ont besoin de lisibilité et de visibilité sur la quantité d'eau utilisable. Avec le système de gestion structurelle de l'eau, l'objectif est de garantir de l'eau 8 années sur 10, avec une gestion en période de crise 2 années sur 10. Ce n'est néanmoins plus le cas aujourd'hui : pour la moitié des départements français, les arrêtés sécheresse sont pris 10 années sur 10. Par facilité et absence d'anticipation, plus d'autorisations sont autorisées que les ressources effectivement mobilisables.
S'agissant du modèle économique, se reposer sur les investissements d'autrui pour bénéficier de l'eau gratuitement n'est pas une solution durable. Si l'eau est gratuite, le service pour la potabiliser, la distribuer et la rendre disponible à tout moment est payant. Il faut assumer collectivement que des coûts sont inhérents à certains usages de l'eau en certains endroits, et que des décisions politiques doivent être prises pour répartir ces coûts entre l'État, les collectivités et les activités économiques du territoire.
Il ne faut pas opposer création de la ressource en eau et économies de cette même ressource. Des économies seront nécessaires, dans la mesure où il n'y a pas assez d'eau par rapport à l'ensemble des usages. Il faut donc que l'eau soit exploitée de la façon la plus efficiente possible. Nous ne pouvons pas la gaspiller, quel que soit l'usage. Dans tous nos modèles et pour toutes nos utilisations de l'eau, nous devons tendre vers la plus grande efficacité possible.
Enfin, nous devons utiliser les solutions fondées sur la nature, alors que nous avons longtemps pensé que nous pouvions nous en exonérer. En cas de manque d'eau, les retenues étaient la solution. Pour éviter les inondations, il fallait construire des barrages ou des digues. Pour les sols trop pauvres, recourir aux engrais. En réalité, la nature se rappelle régulièrement à notre bon souvenir. Vivre contre ou aux dépends de la nature ne saurait fonder un système durable. Nous devons réapprendre à vivre avec elle. Nous devons mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes afin de les utiliser de manière optimale pour nos productions. Dans le domaine de l'eau, rectifier les rivières, drainer, accélérer les flux pour hâter le retour à la mer ne sont pas des solutions pérennes. Il faut plutôt retenir l'eau et faciliter les infiltrations dans les sols via des infrastructures agro écologiques comme les haies, les bandes enherbées, les méandres des rivières, les zones humides...L'objectif consiste à stocker l'eau en hiver afin de la restituer quand il y en a moins. Si nous voulons des plantes et des végétaux qui poussent en été, nous avons intérêt à stocker l'eau en hiver. La meilleure bassine est celle qui est sous nos pieds, là où l'eau ne s'évapore pas et se restitue progressivement. Nous devons réapprendre que les écosystèmes fonctionnels sont résilients et permettent de nous adapter. Vivre avec la nature est une partie de la solution si l'on veut s'adapter à l'évolution de nos climats.