Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la notion de mondialisation, apparue dans les années quatre-vingt, est aujourd'hui au coeur du débat politique et des préoccupations de nos concitoyens. La mondialisation est souvent perçue par une majorité d'entre eux comme une menace imposée de l'extérieur, devant laquelle les États, comme les organisations internationales, sont impuissants. Elle endosse ainsi un rôle de bouc émissaire au regard des changements parfois brutaux qu'imposent l'ouverture des marchés et la plus grande concurrence entre les économies.
La mondialisation est également stigmatisée comme étant responsable des inégalités entre pays développés et pays en voie de développement. Cependant, elle apparaît en même temps comme un puissant levier de développement et de redistribution des richesses. Le combat des prochaines années devra viser à lutter contre les désordres économiques et financiers, à garantir un ordre international stable et à améliorer le sort des plus démunis, afin que la mondialisation profite au plus grand nombre.
Dans ce contexte, la question orale avec débat qu'a posée notre collègue Jean-Paul Virapoullé est pertinente. Elle nous permet d'aborder des interrogations majeures portant autant sur le développement économique et social des pays développés que sur la pérennité de notre système commercial international, sur les relations économiques Nord-Sud et sur la nécessité de moraliser les pratiques commerciales, afin d'assurer à tous un développement et un partage des richesses équilibrés.
Comment parvenir à cela ? Comment instaurer une pratique loyale du commerce international qui refuse les dumpings sociaux, monétaires ou environnementaux ?
À cet égard, la France dispose, par la voie de l'Union européenne, de la dimension pertinente pour aborder ce sujet et a un rôle de premier plan à jouer. J'insiste sur la place de la France au sein de l'Union européenne, car lorsque la France parle, c'est l'Union européenne qui parle, c'est-à-dire 480 millions d'habitants, et non pas 62 millions.
Il importe tout d'abord de revoir la définition de la notion de pays émergent, surtout lorsqu'elle recouvre des pays tels que la Chine, le Brésil, l'Inde, qui sont devenus de véritables géants économiques. Là réside le déséquilibre apparu dès la naissance de l'OMC, là est la source de tous nos problèmes.
Nous sommes en position de force pour prendre en main notre destin économique si nous consentons à aborder cette problématique de la mondialisation au travers non pas du prisme du patriotisme économique - je sais que je vais me faire quelques ennemis en disant cela ! -, mais de l'excellence économique de nos entreprises, pour peu que l'on puisse les placer dans un environnement socioéconomique adapté.
Cela étant, je reste persuadé que les effets positifs de la mondialisation, en termes de croissance et de dynamisme, l'emportent incontestablement sur ses effets négatifs, comme l'attestent toutes les analyses de la Banque mondiale et du FMI.
Il est néanmoins vrai que ce phénomène s'accompagne de certains effets pervers qui alimentent les inquiétudes et les critiques à son encontre. Il s'agit dès lors d'éviter deux écueils : la tentation du retour au protectionnisme, au cloisonnement des marchés et à l'économie administrée, d'une part ; le dogmatisme de l'autorégulation des marchés, qu'il faudrait laisser totalement libres de fonctionner, d'autre part.
En effet, la première option constituerait une régression, qui priverait les pays en voie de développement, notamment, du bénéfice de l'accès au marché mondial et qui contribuerait à scléroser l'économie des pays développés. Elle est d'ailleurs, de fait, frappée d'irréalisme et d'impossibilité.
La seconde option aboutirait, en revanche, à accroître les risques de crise économique et financière, ainsi que les inégalités à travers le monde.
La voie est donc étroite : il convient de tirer le meilleur parti de l'ouverture économique et de l'insertion dans les échanges mondiaux tout en réduisant les conséquences négatives de ce choix. Cela implique que l'on améliore les mécanismes de régulation à l'échelon international et que l'on s'interroge sur le rôle des ensembles régionaux et des États dans un monde ouvert à toutes les influences, où les frontières n'ont plus guère de sens, où les événements ont des causes et des conséquences globales.
La création récente du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, doté de 500 millions d'euros, va dans ce sens. À cet instant, je ne puis m'empêcher de souligner que l'institution de ce fonds est le fruit de la réflexion et de l'action de l'Union européenne. Certes, 500 millions d'euros, ce n'est pas beaucoup, mais c'est un début et cela montre bien quelle est la position de l'Union européenne sur ce problème.
Avec mes collègues de la commission des affaires économiques et de la Délégation pour l'Union européenne, ainsi qu'au sein du groupe de suivi des négociations commerciales internationales à l'OMC, que j'ai l'honneur de présider, nous avons déjà réfléchi à cette délicate question et proposé un certain nombre de pistes. Je me permets de vous les rappeler, madame la ministre, mes chers collègues, considérant que si l'OMC est une structure certes imparfaite, on conviendra qu'elle est beaucoup plus efficace et pertinente que ne l'était autrefois le GATT, puisque nous sommes passés d'un traité à une organisation et que, à cette époque, le fameux article 305 de la loi sur le commerce extérieur des États-Unis permettait à ce pays d'imposer en quelques minutes sa volonté à l'Union européenne qui, pour sa part, mettait six mois à réagir. N'oublions pas ce passé récent !
Il importe donc, lorsque l'on évoque l'OMC, de prendre la précaution de l'intégrer dans un ensemble beaucoup plus vaste comprenant ces autres instances internationales que sont l'OIT et l'OMS, auxquelles se joindra demain, du moins je l'espère, la future organisation des Nations unies pour l'environnement, puisque l'on sait très bien que le programme des Nations unies pour l'environnement est imparfait. Par conséquent, je souligne le caractère innovant et pertinent de la démarche du Président de la République sur ce sujet.
En tout état de cause, ces organisations internationales doivent faire l'objet de synergies et être interdépendantes. En effet, dois-je le rappeler, l'OMC ne traite que du commerce et nous ne devons la juger qu'à cette aune. Cependant, le commerce dépend aujourd'hui de contingences sociales et environnementales qui, précisément, ne peuvent être abordées selon des modalités différentes. C'est là que réside toute l'ambiguïté du problème.
Le rapport Sutherland, élaboré en 2005 à la demande du directeur général de l'OMC, avait déjà commencé à répondre à ces interrogations. Il convient, à mon sens, de mieux organiser les enceintes de négociation en officialisant les débats au sein des « chambres vertes » - je parle sous le contrôle de ceux de mes collègues qui, depuis quelques années, ont eu comme moi l'occasion de suivre les différents rounds de l'OMC -, de renforcer les moyens du secrétariat de l'OMC et le rôle de son directeur général, de préférer le plurilatéralisme au bilatéralisme là où le multilatéralisme se révèle malheureusement impossible, d'accroître l'assistance technique et de mieux associer aux travaux les acteurs non gouvernementaux, notamment au titre des procédures conduites par l'Organe de règlement des différends.
À cet égard, je dois avouer, alors que je n'étais pas, à l'origine, disposé à décerner un satisfecit aux organisations non gouvernementales pour leur action, que celles-ci ont progressé, depuis la conférence de Seattle, et deviennent tout à fait constructives, seules restant d'ailleurs influentes celles qui veulent construire.
Enfin, en soulignant à nouveau que l'OMC ne traite que du commerce, j'indiquerai qu'il importe d'établir sans tarder des « passerelles » avec l'OMS, l'OIT et la future organisation des Nations unies pour l'environnement.
Je dois rappeler qu'il existe des interférences très fortes entre ces différentes structures, aujourd'hui relativement interdépendantes. La question sanitaire est ainsi apparue dans les débats de l'OMC, l'accord dit « SPS » sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires constituant une réponse, certes imparfaite, mais qui a le mérite d'exister. Le thème de la propriété intellectuelle et, par voie de conséquence, de la contrefaçon a également été abordé au sein de l'OMC, ce qui a débouché sur l'accord dit « ADPIC » sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Ce dernier est peut-être encore insuffisant, mais lui aussi a le mérite d'exister.
Toutefois, l'environnement et la dimension sociale ne sont pas encore, c'est vrai, pris en compte par l'OMC. Cela étant, comme nous l'apprend l'édition du 21 février d'un grand quotidien du soir, l'OMC et l'OIT ont publié un premier rapport conjoint. C'est un début, que nous attendions depuis longtemps : le thème du travail commence à être évoqué dans le cadre des négociations au sein de l'OMC.
En outre, s'agissant de l'Organe de règlement des différends, rappelons que celui-ci ne peut traiter que de questions relevant de l'architecture actuelle de l'OMC. Ne lui en demandons pas davantage, car il lui est aujourd'hui impossible d'aller plus loin.
En tout état de cause, et bien que n'ayant pas les compétences de mon collègue Jean-Paul Virapoullé, je tiens à relever que, l'an passé, 40 000 emplois ont été créés en France grâce à des investissements étrangers. Les entreprises naissent, vivent et meurent, par le jeu, en particulier, de la libéralisation des échanges. Je n'ai surtout pas invoqué l'ultralibéralisme, car il nous importe, précisément, d'encadrer les choses.
Je voudrais profiter de ce débat, madame la ministre, pour aborder quatre autres questions que vous connaissez bien et qui, je le sais, vous préoccupent.
Il s'agit, en premier lieu, de la place de l'agriculture dans l'OMC.
Je le dis d'emblée, l'agriculture doit continuer à relever de l'OMC, mais on doit l'envisager sous un autre angle, c'est-à-dire en considérant son rôle stratégique. La souveraineté alimentaire de l'Europe est fondamentale dans un monde qui, à l'horizon de 2050, c'est-à-dire demain, comptera 2, 5 milliards de consommateurs supplémentaires. Nous ne pouvons laisser délibérément d'autres États assumer à notre place ce rôle stratégique pour l'Union européenne.
Cette réflexion, nous la menons au sein du Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture, le MOMA, association présidée par M. Pierre Pagesse. Nous sommes inquiets de constater un début de démantèlement de la PAC, en prévision de 2013, quand, parallèlement, les États-Unis, avec leur nouveau Farm Bill, sont au contraire en train de conforter leur potentiel de production. J'aimerais connaître votre analyse sur ce point, madame la ministre.
En deuxième lieu, j'évoquerai la situation de la Chine au regard de l'économie de marché.
L'émergence économique en cours de ce pays pose, en particulier, la question de son respect des règles du commerce international. Actuellement, tout le monde s'accorde à dire que l'économie chinoise n'est pas une économie de marché. En effet, elle ne respecte pas pleinement les critères de transparence et d'efficacité économiques que ce statut implique.
La Chine a pourtant déposé, en juin 2003, une demande auprès de l'Union européenne pour bénéficier du statut d'économie de marché. Or lui accorder ce statut, comme l'ont fait le Canada et l'Australie, irait aujourd'hui dans le mauvais sens. Les instruments de défense commerciale de l'Union européenne, que la délégation pour l'Union européenne du Sénat est en train d'examiner, perdraient en partie leur pertinence et leur utilité.
On peut donc se demander si l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine est vraiment nécessaire à ce stade, lorsqu'on voit la part qu'elle représente - un tiers ! - dans les procédures antidumping en cours.
En outre, il est d'ores et déjà possible de traiter la Chine comme une économie en transition dans les contentieux commerciaux, et ce pour une période de quinze années au maximum. C'est en effet ce que prévoit le protocole d'adhésion de la Chine à I'OMC, signé en 2001, fixant un cadre juridique clair et décidé d'un commun accord sur cette question.
Madame la ministre, pourriez-vous préciser où en sont les négociations menées dans le cadre de l'Union européenne concernant l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine et nous présenter la position du Gouvernement sur ce sujet ?
De plus, pourriez-vous nous indiquer où en sont les négociations actuelles avec la Chine, officiellement lancées le 17 janvier dernier à Pékin, concernant le nouvel accord de partenariat et de coopération ? Selon vous, existe-t-il un lien entre les deux processus en cours ?
Enfin, s'agissant des instruments de défense commerciale, les IDC, qui font l'objet aujourd'hui d'une réflexion approfondie au sein de la Commission européenne, la délégation pour l'Union européenne du Sénat, sous la présidence de Hubert Haenel, rendra avant le 28 février son analyse sur le livre vert des IDC.
Je ne vous cache pas dès maintenant, et alors que nous n'ayons pas terminé, loin de là, nos auditions, que j'ai une certaine préférence pour l'approche antidumping pratiquée aux Etats-Unis : sa rapidité et son aspect dissuasif sont beaucoup plus pertinents que le modèle européen.
Je ne vous cacherai pas non plus mon souhait que les PME puissent, au travers des structures actuelles, être davantage aidées pour appréhender la mise en oeuvre de ces IDC. Nous avons interpellé sur ce point le MEDEF hier ; il n'avait pas envisagé le problème sous cet angle. J'aimerais également connaître votre position à cet égard, madame la ministre.
Sans être hors sujet, puisque nous parlons de mondialisation, mais loin du souhait de notre collègue Jean-Paul Virapoullé qui appelle à la création d'un observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation, je voudrais souligner un dernier point qui me permettra de me rapprocher des réflexions de nos collègues.
Quelles que soient les structures que nous serons amenés à mettre en place, rien ne remplacera l'impérieuse nécessité pour les différents États de rentrer dans le cercle vertueux de la bonne gouvernance. Aucune organisation internationale, aussi parfaite soit-elle, ne pourra corriger les dérives, les erreurs sociales, environnementales et économiques qui pourraient se produire dans certains pays, principalement les pays en voie de développement et les pays moins avancés, mais aussi, sous d'autres aspects, dans des pays comme les États-Unis. La bonne gouvernance est donc essentielle. Il est facile d'accuser l'OMC de tous les maux alors que les dérives surviennent d'abord au sein même de ces pays.
Au-delà d'un observatoire, j'insiste à nouveau sur la nécessité d'une meilleure cohérence et complémentarité entre l'Organisation mondiale de la santé, l'Organisation internationale du travail, l'Organisation des Nations unies pour l'environnement et l'Organisation mondiale du commerce.
L'Europe ne doit avoir aucun état d'âme sur ce point, car nous montrons l'exemple dans le domaine social et environnemental depuis des décennies. Ces critères doivent désormais être intégrés dans les négociations de l'OMC. La création de l'ONUE le 3 février, à Paris, revêt pour nous tous une importance considérable, et je salue l'action du Président de la République et le rôle moteur joué par la France en la matière.
Peut-on imaginer, madame la ministre, que cette future organisation pourra, dans un avenir proche, élaborer un droit opposable aux États qui, dans le cadre des échanges commerciaux internationaux, contreviendraient au respect de l'environnement sur deux critères précis, la non-diminution des gaz à effet de serre et la non-préservation de la biodiversité ?