Intervention de Christine Lavarde

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 février 2023 à 10h30
Contrôle budgétaire — Financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti - communication

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde, rapporteur spécial :

Mon rapport porte sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles (RGA) et de ses conséquences sur le bâti. Nous connaissons bien cette thématique au Sénat : elle faisait partie du champ d'études de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, dont le président était Michel Vaspart, et la rapporteure Nicole Bonnefoy, et dont les travaux ont abouti à la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, que nous avons adoptée en janvier 2020. On peut aussi citer la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, déposée par le député Stéphane Baudu, et promulguée le 28 décembre 2021. Le Sénat avait demandé à cette occasion des améliorations au regard du risque RGA. Le Gouvernement devait ainsi rendre un rapport sur la localisation des risques en juin, mais on l'attend toujours... Cette question a aussi donné lieu à deux autres rapports. L'un de la Cour des comptes en février 2022 et l'autre de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale de l'administration (IGA), et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 2021.

En application de l'article 161 de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 8 février 2023.

Le risque de « retrait-gonflement des argiles » désigne les dommages causés aux constructions par le phénomène naturel de rétractation des sols argileux - qui sont structurés en feuillets - en période de sécheresse, suivi par le gonflement de ces sols lorsque la pluie revient. La succession de petits épisodes de sécheresse accroît le phénomène, qui se traduit par l'apparition de fissures dans les maisons. Le phénomène touche essentiellement les maisons individuelles, car les fondations des immeubles sont plus profondes et plus solides. Le risque RGA est très répandu en France : si les régions aux sols granitiques sont épargnées, on estime que 48 % du territoire national connaît une exposition moyenne ou forte au risque RGA. Dans le Gers et le Tarn, 80 % des maisons sont en zone RGA à aléa fort. À l'échelle nationale, 10,4 millions de maisons individuelles connaissent un risque RGA fort ou moyen, ce qui représente 54,2 % de l'habitat individuel.

Le risque RGA est intégré au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) depuis 1989. Pour bénéficier d'une indemnisation, il faut que la commune obtienne une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Mais seule la moitié des communes ayant déposé une demande de reconnaissance CatNat au titre des sécheresses de 2019 et 2020 l'ont obtenue, et au sein de ces communes, la moitié des dossiers d'indemnisation déposés par les personnes victimes d'un sinistre ont été classés sans suite par les experts mandatés par les sociétés d'assurance.

À la différence des autres risques intégrés dans le régime des catastrophes naturelles, comme les séismes ou les ouragans par exemple, qui sont à sinistralité immédiate, avec un lien immédiatement constatable entre l'événement et ses conséquences, le risque RGA est un phénomène progressif. Une succession de plusieurs sécheresses de taille moyenne peut occasionner des sinistres majeurs. Ce n'est pas parce qu'il a plu beaucoup que les maisons vont se fissurer immédiatement. Il est donc impossible d'attribuer une cause unique au RGA et c'est l'une des raisons qui expliquent les difficultés à assurer ce risque.

La France est le seul pays de l'Union européenne à avoir intégré ce risque dans un dispositif assurantiel public, le régime CatNat. Celui-ci est financé par une surprime prélevée sur l'ensemble des contrats d'assurance contre les dommages aux biens ; elle s'élève à 12 % sur l'assurance multirisque habitation. Les sociétés d'assurance proposent et gèrent les contrats d'assurance, et elles se réassurent auprès de la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui elle-même bénéficie d'une garantie intégrale de l'État. En contrepartie de cette garantie, la CCR verse à l'État environ 100 millions d'euros par an. La garantie de l'État n'a été activée qu'une fois, en 2000, en raison de la tempête de 1999. L'État est donc gagnant avec ce régime.

La charge annuelle liée au risque RGA a atteint plus de 1 milliard d'euros entre 2017 et 2020, contre 445 millions d'euros en moyenne depuis 1982. La Caisse centrale de réassurance (CCR) estime, dans son scénario « optimiste », que le régime CatNat ne dégagera plus assez de réserves pour couvrir les sinistres à l'horizon 2040, en raison notamment du coût du RGA.

Le coût de la sécheresse de 2022 est ainsi estimé entre 2,4 et 2,9 milliards d'euros ce qui la placerait nettement au-dessus du coût de la sécheresse de 2003 (1,6 milliard d'euros), qui est la sécheresse la plus coûteuse sur la période 1989-2021. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080, et deux années sur trois entre 2080 et 2100.

France Assureurs évalue à 43 milliards d'euros le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050, ce qui représente un triplement du coût par rapport aux trois décennies précédentes (13,8 milliards d'euros entre 1989 et 2019). L'enjeu est donc la soutenabilité du régime CatNat en raison du risque de sécheresse.

Les sinistres supérieurs à 50 000 euros représentent 75 % du coût total des indemnisations, mais seulement 21 % des sinistrés. Parmi les vingt sinistres qui ont coûté le plus cher en termes de dommages assurés, quinze sont liés à des sécheresses.

Plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées.

La première consisterait à modifier la nature du régime et à sortir le risque RGA du régime des catastrophes naturelles. Mais cela reviendrait à remettre en cause les principes mêmes du régime : le principe de solidarité, d'abord, qui prévoit que les surprimes acquittées par les assurés qui résident dans des zones non exposées ou dans des immeubles contribuent à financer les indemnisations versées aux sinistrés ; le principe de mutualisation financière entre les risques, ensuite, qui existe au sein du régime CatNat au bénéfice du risque RGA et qui permet de réduire le niveau de la surprime pour tous les assurés.

Une hypothèse serait de créer un régime 100 % public, mais cela serait coûteux pour les comptes publics et il faudrait toujours s'appuyer sur les moyens d'expertise des assureurs.

Faut-il alors créer un régime 100 % privé ? Le risque serait alors d'exclure les profils risqués ou de voir les primes d'assurance exploser, écartant les plus pauvres.

Toutefois, cette piste n'est pas exclue à moyen terme. Les nouvelles constructions doivent satisfaire de nouvelles conditions depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan : celle-ci impose d'informer l'acheteur d'un terrain du risque RGA et l'oblige à prévoir des fondations adaptées. La connaissance du risque RGA progresse et on peut mettre en place des mesures de mitigation du risque.

Une dernière possibilité serait de créer un fonds public pour couvrir les dommages dans les communes qui ne sont pas classées en état de catastrophe naturelle. Ce fonds coûterait entre 60 et 300 millions d'euros par an. Il y a un précédent avec le fonds comportant une aide exceptionnelle de 10 millions d'euros voté dans la LFI 2020, à la suite de l'épisode de sécheresse de 2018, pour venir en aide aux sinistrés non indemnisés par le biais du régime CatNat. Mais dans les faits, ce fonds s'est avéré inopérant : soit les sinistrés bénéficiaient de revenus qui ne les rendaient pas éligibles au fonds d'aide ; soit ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour assumer le reste à charge des travaux. Les crédits ont été très peu consommés.

Ma conclusion est que le cadre actuel est le moins mauvais possible, même si on pourrait envisager un régime privé dans une dizaine d'années.

La seconde piste de réforme consiste à revoir les critères d'indemnisation.

On pourrait prendre en considération l'exceptionnalité des dommages plutôt que l'exceptionnalité des causes. Il n'y aurait alors plus besoin d'obtenir un arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. L'apparition d'une fissure dans une maison permettrait automatiquement de demander une indemnisation. Tout reposerait sur les experts d'assurance. Il n'est pas sûr toutefois qu'ils soient assez nombreux pour faire face aux demandes. Ce mécanisme serait très onéreux, avec un coût annuel de 491 millions d'euros par an selon le CCR. Ce chiffre est d'ailleurs sous-estimé dans la mesure où, compte tenu de la période considérée, il ne prend que partiellement en compte l'accélération du phénomène de RGA due aux conséquences des dérèglements climatiques. Un contrôle a posteriori de l'État serait toujours nécessaire. Les sinistrés s'interrogent aussi parfois sur la fiabilité des expertises. Dans certains cas, les experts ne reconnaissent pas les faits, alors qu'ils semblent manifestes.

Pourquoi ne pas réserver alors l'indemnisation aux sinistres les plus graves ? Mais ce serait une remise en cause du caractère assurantiel du régime : une partie potentiellement significative des sinistrés qui sont aujourd'hui éligibles à une indemnisation ne le seraient plus dans le nouveau système. Une partie des cotisants ne bénéficieraient jamais du système.

De plus, selon la CCR, pour que cette mesure soit neutre financièrement pour le régime, il faudrait fixer un plancher d'indemnisation à 50 000 euros, avec un plafond fixé à 90 000 euros, et une franchise de 7 000 euros ! En abaissant le plancher à 10 000 euros, le coût pour le régime serait de 850 millions d'euros, sous réserve d'augmenter la surprime à 12 %. Ce n'est pas satisfaisant.

Il faudrait aussi voir comment traiter les sinistres non indemnisés dans le régime antérieur à cause de l'absence de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, mais qui devraient l'être désormais.

L'ordonnance examinée le 8 février en conseil des ministres prévoit de réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves, c'est-à-dire, « aux dommages susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ». Mais que signifie le mot « susceptibles » ? Les dommages qui ne seraient pas de nature à remettre en cause la solidité et l'utilisation normale du bâtiment, qualifiés « d'esthétiques », ne feraient plus l'objet d'indemnisations. Une fissure apparue sur une façade est-elle un dommage « esthétique » ou « susceptible » d'endommager la structure du bâtiment ? Cette rédaction exclue certains assurés, car elle ne prend pas en compte la perte de valeur du bien : en effet, une maison fissurée n'a plus aucune valeur de marché, alors qu'elle constitue souvent le patrimoine de toute une vie, notamment pour les plus modestes. La rédaction n'est pas satisfaisante. Le terme « susceptible » doit être précisé par voie réglementaire à l'avenir, et il est dommage que ce texte ne donne pas lieu à un examen parlementaire, nous n'aurions jamais maintenu une telle rédaction.

La dernière piste serait d'améliorer la précision du critère météorologique.

La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle repose sur la combinaison d'un critère géologique - il faut prouver que le sol est argileux - et d'un critère hydro-météorologique - il faut prouver qu'il y a eu une hydratation intense du sol suivie par un épisode de sécheresse intense, qui doit être parmi les deux plus importants des 50 dernières années. Lorsque l'on sait par ailleurs que la maille météo est de 64 kilomètres carrés, en raison de la localisation des stations de Météo-France, on comprend que tant de communes ne soient pas reconnues en état de catastrophe naturelle ! Une possibilité serait de reconnaître automatiquement en état de catastrophe naturelle les communes dont le territoire est limitrophe d'une commune faisant l'objet d'un classement. L'incidence financière serait limitée sur le régime et cette mesure permettrait de résoudre, selon les années, entre 40 % et 65 % des recours intentés par des communes non reconnues.

L'ordonnance prévoit de réduire la période de temps considérée pour apprécier le caractère exceptionnel des événements climatiques : au lieu de 50 ans, on pourrait prendre en compte une période plus courte, par exemple décennale. Le curseur sera défini par voie réglementaire.

Elle prévoit aussi que l'état de catastrophe naturelle serait reconnu en cas de succession d'épisodes de sécheresse d'une ampleur inférieure au seuil du critère hydro-météorologique. Cette évolution serait susceptible de mieux prendre en compte la cinétique longue du risque RGA.

Le coût de ces mesures est difficile à évaluer, car le calibrage du dispositif n'est pas encore précisé. On attend les mesures règlementaires d'application. Au regard du scénario central envisagé par le Gouvernement, qui conduirait à accroître d'environ 15 % le nombre de communes reconnues en état de catastrophe naturelle, la CCR aurait chiffré le coût annuel des dispositions de l'ordonnance pour le régime CatNat à 200 millions d'euros. L'ordonnance n'apporte donc pas de réponse au défi de la soutenabilité financière du régime à moyen-long terme.

L'ordonnance pose un autre problème : elle rend obligatoire d'affecter les indemnités aux réparations. Mais si la maison est en plus une passoire thermique, est-il pertinent de réparer une fissure, alors qu'il conviendra de procéder à des travaux de rénovation énergétique par la suite ? De même, réparer une fissure peut coûter très cher, parfois plus que le coût de construction d'une maison neuve, soit 183 000 euros en moyenne. Ne faut-il pas laisser aux sinistrés la possibilité de déménager ou de reconstruire in extenso une maison plus performante sur le plan énergétique ?

Une piste de réforme est négligée par tous les rapports : c'est la prévention.

Pour les maisons nouvelles, qui répondent aux normes de la loi Élan, la sinistralité devrait être quasiment nulle. Mais le problème demeure à moyen terme pour le stock de maisons individuelles construites avant l'imposition de ces nouvelles règles.

Il existe deux types de mesures de prévention. Les mesures verticales consistent à agir directement sur la structure du bâtiment. Elles peuvent par exemple consister en une rigidification de la structure par l'injection de résine, ou en l'installation de micropieux au niveau des fondations. Cela suppose des travaux d'ampleur et cela coûte cher, entre 21 000 et 76 000 euros par maison, mais ces mesures sont efficaces.

Les mesures de prévention horizontales, moins coûteuses, visent, quant à elles, à agir sur l'environnement du bâtiment, afin de limiter la variation de la teneur en eau du sol. Il s'agit de mettre en place un système de drainage des eaux pluviales ; ou à installer des écrans anti-racinaires, car les racines de arbres aggravent le problème de sécheresse en pompant l'eau, ou à couper les arbres situés trop près des maisons. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a développé un nouveau système, dit MACH (Maison confortée par humidification), qui permet d'évaluer l'hydratation du dol par des capteurs et de le réhydrater en cas de besoin. Ces mesures de prévention coûtent nettement moins cher, de 5 000 à 35 000 euros par maison, avec une moyenne à 10 000 euros par maison. N'est-ce pas la voie à privilégier ?

La puissance publique doit jouer son rôle. Il est regrettable que le risque RGA soit exclu du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, alors que la vocation de ce dernier est justement de financer la prévention. Le ministère objecte qu'il convient d'être sûr que chaque euro dépensé procure des économies, mais si on ne fait rien, on ne fera aucune économie ! Il importe de soutenir les start-ups qui font de la recherche dans ce domaine, le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA 4) pourrait être mobilisé à cette fin. Nous préconisons enfin de financer en priorité des expérimentations de techniques de prévention du risque RGA dans les communes qui ont fait une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse, mais qui ne l'ont pas obtenue.

En conclusion, je dois reconnaître ma frustration, car je n'ai pas trouvé de solution optimale pour garantir la soutenabilité dans la durée du régime CatNat. L'ordonnance n'apporte aucune réponse ni quant à la soutenabilité ni quant aux attentes des sinistrés.

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