Intervention de Martine Berthet

Réunion du 31 janvier 2023 à 14h30
Plui de la communauté de communes du bas-chablais — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Martine BerthetMartine Berthet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun des textes qu’il nous est donné d’examiner dans cet hémicycle est différent des précédents : c’est ce qui fait la beauté et l’intérêt du travail du Parlement. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par nos collègues Cyril Pellevat et Sylviane Noël, se distingue peut-être par son caractère particulièrement atypique.

De prime abord d’aspect assez technique, ce texte nous adresse en réalité à nous, représentants des territoires français, une question très concrète : souhaitons-nous qu’un projet d’infrastructure d’intérêt général, déjà passé par l’ensemble des étapes administratives nécessaires à sa réalisation, soit mis en échec du simple fait de l’enchevêtrement de procédures d’urbanisme parallèles les unes aux autres ?

Parlementaires comme élus locaux savent que le cadre juridique du droit de l’urbanisme a été considérablement modifié et, j’ose le dire, complexifié au cours des deux dernières décennies.

Les documents d’urbanisme locaux se sont multipliés ; les procédures formelles qui président à leur élaboration se sont rigidifiées et allongées ; l’insécurité juridique qui les entoure s’est fortement accrue. Il faut désormais entre quatre et six ans pour élaborer un plan local d’urbanisme et peu de maires et présidents d’EPCI sont à l’heure actuelle en mesure de le faire sans recourir à des prestataires externes.

Le fait intercommunal, s’il a accentué les solidarités et le dialogue territorial, s’est révélé lui aussi source de complexités nouvelles au fur et à mesure des créations d’EPCI, puis des fusions, et des divers transferts de compétences. L’écriture d’un PLU couvrant une commune, comme auparavant, est sans comparaison avec celle d’un PLUi couvrant vingt, cinquante, voire cent communes.

Si je rappelle aujourd’hui ce contexte de complexité et d’instabilité juridique, c’est qu’il est essentiel d’en tenir compte pour appréhender pleinement la démarche de la proposition de loi qui nous est soumise. Dans ce cas concret, l’ensemble des collectivités territoriales du Bas-Chablais travaille depuis plusieurs décennies à la réalisation d’une liaison à 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, qui mènerait à bien le désenclavement du bassin, répondrait aux exigences de son développement rapide et assurerait la sécurité des riverains.

En 2017, ces collectivités, accompagnées de l’État, ont donné une nouvelle impulsion au projet de liaison routière, avec le lancement d’une concertation publique et la conduite d’une évaluation environnementale, puis en 2019 la prise d’une déclaration d’utilité publique (DUP).

Afin de prendre en compte le projet dans sa globalité et de faciliter sa réalisation, cette déclaration d’utilité publique a prévu, comme le permet le droit, la mise en compatibilité simultanée des plans locaux d’urbanisme des dix communes concernées par le tracé. Cette DUP a ainsi ouvert la voie à la réalisation du projet, très attendue par les parties prenantes.

Ici intervient le contexte particulier que j’évoquais voilà un instant : la communauté de commune du Bas-Chablais avait engagé l’élaboration d’un PLU intercommunal en 2015, c’est-à-dire avant la relance du projet de liaison à 2x2 voies. Entre-temps devenue communauté d’agglomération, elle a finalisé ce PLUi début 2020. Si la déclaration d’utilité publique du projet routier avait bien prévu la modification des anciens plans locaux d’urbanisme, elle n’avait pas prévu que l’adoption du nouveau PLUi viendrait peu après « écraser » ces modifications.

Comble de la difficulté, une fois ces problèmes identifiés, il s’est avéré à la fois impossible pour la communauté d’agglomération de modifier son PLUi avant approbation, puisque celui-ci avait déjà été soumis à concertation et enquête publique, et impossible pour l’État de prendre une DUP modificative, puisque la jurisprudence du Conseil d’État ne le permet pas à projet constant. Qui plus est, toute modification du PLUi à peine adopté devrait passer par la procédure la plus contraignante, qui reprendrait une à une toutes les étapes d’évaluation, de concertation et d’enquête publique déjà effectuées.

La démarche de la proposition de loi, bien qu’atypique, est donc très simple : elle vise à étendre les effets de la mise en compatibilité prévue par la déclaration d’utilité publique au nouveau plan local d’urbanisme, afin de permettre au projet de se poursuivre sans délai injustifié.

Eu égard à son caractère atypique, notre commission a souhaité examiner ce texte avec une exigence toute particulière, en le passant au « filtre » de plusieurs critères concrets.

Premièrement, nous avons vérifié que ce texte ne vise aucunement à faire échec à des décisions déjà prises, à aller à l’encontre des compétences des collectivités ou encore à restreindre des droits acquis, notamment en matière de droit de recours.

Nous avons pu constater qu’il s’agit bien d’un texte aidant, et non d’un texte censeur. Les collectivités territoriales du Bas-Chablais m’ont confirmé que la situation actuelle ne relevait pas d’une volonté locale de freiner le projet, mais bien d’une erreur dans la conception simultanée de la DUP et du PLUi, le tout dans un contexte juridique complexe.

Le projet est anticipé et soutenu de longue date par tout le territoire. L’ensemble des autres documents d’urbanisme, Scot et Sraddet notamment, le prennent déjà en compte et le qualifient de « projet structurant » pour la région.

Surtout, le projet a fait l’objet de la totalité des modalités de concertation, de participation du public, d’accord des collectivités et de droit de recours prévues par la loi ; une concertation publique a notamment eu lieu sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).

La déclaration d’utilité publique est aujourd’hui purgée de tout recours, et les quelques contentieux ont été rejetés par la justice.

L’examen de cette proposition de loi n’est donc pas l’occasion de revenir sur le fond du projet autoroutier, qui a déjà fait l’objet de décisions administratives et de décisions de justice.

Deuxièmement, notre commission a vérifié qu’il n’était pas possible de parvenir au même objectif par le biais d’une autre méthode que la loi.

J’ai notamment exploré trois pistes : une nouvelle DUP, un nouveau PLUi, une révision du PLUi. Comme évoqué tout à l’heure, ces trois options n’offrent pas de solution viable, soit par impossibilité juridique soit par impossibilité pratique. En particulier, elles impliqueraient des délais intenables : d’une part, la DUP existante arrivera à son terme en 2029 ; d’autre part, la situation actuelle d’engorgement du Bas-Chablais est source de nuisances et de risques réels.

Troisièmement, nous avons souhaité mieux comprendre l’objectif d’intérêt général de ce texte, en ce qu’il permet la réalisation d’un projet d’infrastructure essentiel pour la région, dans lequel les collectivités et l’État sont déjà très engagés.

Nous avons pu mesurer l’urgence et l’importance que revêt le désenclavement du Bas-Chablais, qui s’inscrit dans la droite ligne des objectifs de réduction des inégalités territoriales et de développement équilibré des territoires.

L’absence d’infrastructure à la hauteur des enjeux est perçue par la population et par les collectivités territoriales comme une condamnation, comme une relégation. Les accidents, la pollution, les nuisances sonores touchent directement le cœur des villages et des hameaux.

Aussi avons-nous pu observer que, pour toutes ces raisons, l’ensemble des collectivités territoriales et la grande majorité de la population soutiennent ce projet d’intérêt général.

La CNDP a confirmé que seuls 10 % des participants à la concertation s’y étaient déclarés défavorables, ce qui témoigne d’un réel consensus local. Les communes concernées ont toutes rendu un avis favorable sur la déclaration d’utilité publique et nous ont récemment confirmé cet avis. Enfin, aucun des recours en justice déposés contre le projet n’a abouti.

À l’issue de ses travaux, la commission des affaires économiques a donc estimé que, compte tenu de son objectif, cette proposition de loi, en dépit de sa démarche atypique, méritait d’être soutenue.

Elle vise à remédier à des difficultés concrètes d’application du droit de l’urbanisme, lesquelles mettent en danger un projet d’intérêt général soutenu par les parties prenantes, et ce à défaut d’autre solution satisfaisante que cette voie législative.

En commission, nous avons par conséquent adopté sans modification la présente proposition de loi et nous défendons dans l’hémicycle la même position.

Il serait dramatique, dans un pays comme la France, où l’on appelle chaque jour, et surtout dans cette assemblée, à la résorption des inégalités territoriales, à la réindustrialisation ou encore à la simplification du fardeau administratif, que nous sacrifiions sur l’autel de la complexité juridique un projet unanimement reconnu d’intérêt général, alors même qu’une solution existe.

Le projet qui est en question a franchi avec succès toutes les étapes prescrites par la loi : il faut maintenant qu’il puisse être mené à bien, car il est extrêmement attendu.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion