Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue Christian Redon-Sarrazy, chef de file du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur ce texte.
Une fois n’est pas coutume, je vais formuler au nom de mon groupe des explications de « non-vote » sur cette proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais. C’est là un choix rare, mais qui s’impose.
Il va sans dire que l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée par la droite sénatoriale nous a grandement étonnés.
Comportant un seul article, cette proposition de loi prévoit que les dispositions du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique le projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme prévalent sur les dispositions contraires du PLUi du Bas-Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon Agglomération le 25 février 2020.
L’objectif de cette manœuvre législative est de permettre la construction du dernier tronçon de 16, 5 kilomètres de l’autoroute A400, qui désenclaverait les communes de ce territoire du Chablais.
Le PLUi du Bas-Chablais, en cours d’élaboration au moment de l’adoption du décret, n’a in fine pas pris en compte la réalisation de cette autoroute, son approbation annulant toutes les mises en conformité, ainsi que la réservation des espaces concernés par les travaux.
Thonon Agglomération a donc ouvert une demande de modification simplifiée du PLUi et saisi la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) d’Auvergne-Rhône-Alpes d’une demande d’examen au cas par cas.
La MRAe a décidé, sans doute contre les attentes de Thonon Agglomération, de soumettre cette procédure à une évaluation environnementale. Pour engager ce projet d’autoroute, il faudrait donc réviser le PLUi dans le respect des procédures prévues, notamment en fournissant au public une information éclairée, quitte à engendrer un nouveau retard.
Parce que Thonon Agglomération souhaite éviter une telle éventualité et de nouveaux blocages, les deux sénateurs de Haute-Savoie membres du groupe Les Républicains ont sollicité le Sénat pour « régulariser » ce projet et forcer la révision de ce PLUi en invoquant un motif d’intérêt général.
Mes chers collègues, prenons un peu de recul sur une telle proposition de loi : nous avons tous, dans nos territoires respectifs, des cas particuliers ou difficiles à régler en matière d’urbanisme. Imaginons que chacun d’entre nous s’inspire de nos deux collègues et songeons à l’allure qu’aurait alors notre ordre du jour !
Plus sérieusement, cette proposition de loi porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels et à la crédibilité de notre institution.
L’objectif allégué par les auteurs de cette proposition de loi, qui invoquent l’intérêt général, ne satisfait aucunement à la norme constitutionnelle, mais répond seulement à la volonté, d’ailleurs clairement affichée, d’accélérer la réalisation d’un projet en contournant les règles en vigueur relatives à l’évaluation environnementale.
Le texte qui nous est soumis ne respecte ni l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, ni la procédure d’évaluation environnementale qui suppose la participation du public, ni le droit au recours.
Par ailleurs, requérir la procédure législative pour régler une situation strictement locale est invraisemblable. Le Sénat ne dispose d’aucun droit d’ingérence dans des projets territoriaux de cet ordre.
J’y insiste, comment peut-on valider un tel contournement des procédures habituelles, notamment en matière d’évaluation de l’impact environnemental et de consultation des citoyens ?
Comment peut-on demander au Sénat, chambre des territoires, de passer outre les prérogatives des collectivités quant à leurs documents d’urbanisme ?
Comment croyez-vous, mes chers collègues, que cette manœuvre sera perçue par les élus locaux, quel que soit leur département ? N’y a-t-il pas là une grave atteinte à la crédibilité de notre institution ?
Ce texte est naturellement soutenu par les deux sénateurs Les Républicains du département de la Haute-Savoie, par la majorité sénatoriale, mais aussi – on doit le souligner – par le Gouvernement. En dépit de ses irrégularités, il a donc de fortes chances d’être adopté à l’Assemblée nationale. Voilà un exemple supplémentaire du mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement : des projets de loi essentiels y sont, sans vote, considérés comme adoptés, on y régularise des dossiers locaux… Bientôt, le Gouvernement ne s’embarrassera même plus de nous consulter sur quoi que ce soit !
Voter ce texte créera un dangereux précédent dans la régularisation des projets territoriaux, confirmant la négation des prérogatives des communes et le peu de cas qui est fait de l’opinion de nos concitoyens ou des procédures en matière de défense de l’environnement, quand nous ne pouvons plus nous permettre de les ignorer.
Enfin, cette manœuvre nie toute idée de participation collective à l’élaboration de projets qui concernent pourtant en premier lieu les usagers.
Voter contre ou s’abstenir sur ce texte reviendrait à cautionner la sollicitation du Sénat en la matière. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, vous aurez compris qu’il nous était impossible, par respect pour notre institution, de le faire.
Dans un refus de décrédibiliser notre assemblée, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne prendra donc pas part au vote sur cette proposition de loi.