Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, puisque nous sommes conduits aujourd'hui à évoquer les droits de l'homme, toutes mes pensées vont vers Ingrid Betancourt, dont la fille Mélanie, qui réunit cet après-midi des parlementaires, appelle les autorités françaises à mettre tout en oeuvre afin que sa mère puisse, enfin, quitter le lieu où elle se trouve retenue.
Le projet de loi qui est nous soumis aujourd'hui a pour objet de conférer un statut législatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Cette évolution statutaire est le fruit d'un mouvement, tant national qu'international, de promotion et de protection des droits de l'homme qui naquit, comme chacun le sait, après la Seconde Guerre mondiale.
Madame la ministre, vous avez rappelé - je partage votre point de vue -, le rôle joué par la France, et notamment par René Cassin, dans la création de la Commission consultative pour la codification du droit international et la définition des droits et devoirs de l'État et des droits de l'homme, dans l'élaboration de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée en 1948, et dans la constitution de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, dont la commission consultative française deviendra l'un des premiers relais nationaux.
Le décret du 30 janvier 1984 a réactivé et consacré l'existence de la Commission consultative des droits de l'homme.
En 1986, la compétence de cette commission portant sur les questions internationales relatives aux droits de l'homme se voyait étendue au plan national. En 1989, elle était directement rattachée au Premier ministre et se voyait attribuer une faculté d'autosaisine.
Selon nous, l'existence d'une telle commission illustre la tradition française de promotion et de protection des droits de l'homme, tant au coeur même de notre société qu'au-delà de nos frontières.
Comme vous l'avez également souligné, madame la ministre, la lutte pour le respect des droits de l'homme est loin d'être achevée, hélas ! De multiples violations du droit international et des droits de l'homme sont encore commises tous les jours contre des individus et des populations entières.
Il est nécessaire de porter une attention permanente au respect des droits de l'homme dans le monde, et l'évolution statutaire de la Commission nationale consultative s'inscrit dans cette logique.
Le système institutionnel des Nations unies a récemment changé en ce domaine, puisque le Conseil des droits de l'homme s'est substitué à l'ancienne Commission des droits de l'homme.
Cette transformation était urgente. En effet, la Commission des droits de l'homme a déçu par ses compromissions et par ses outrances ; il n'est pas abusif d'affirmer qu'elle avait perdu une grande partie de sa crédibilité.
Dans ce contexte, le Haut Commissariat aux droits de l'homme de Genève souhaite réévaluer les institutions nationales de protection des droits de l'homme, afin de leur délivrer une accréditation qui attestera de leur qualité et leur permettra, notamment, de participer aux travaux que conduira le nouveau Conseil des droits de l'homme.
Or, je le répète, son statut actuel ne permet pas à notre commission nationale de se voir attribuer une telle accréditation. En effet, aux termes de la résolution du 20 décembre 1993, qui établit les « principes de Paris » - vous les avez rappelés, madame la ministre -, l'existence des instances nationales de protection des droits de l'homme ainsi que les principales garanties dont elles jouissent afin d'accomplir leur mission doivent être consacrées par un texte de valeur constitutionnelle ou, à tout le moins, législative.
Mes chers collègues, le Congrès a été réuni lundi dernier, mais nous n'avons pas constitutionnalisé la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Le présent projet de loi répond aux « principes de Paris » relatifs au statut et au fonctionnement des institutions nationales pour la défense et la promotion des droits de l'homme. En ce sens, nous ne pouvons qu'approuver l'évolution - que nous voterons, bien entendu -, du statut de la commission nationale.
Néanmoins, il serait illusoire de croire qu'une telle consécration empêchera toute dérive de la part des pouvoirs exécutif et législatif. La garantie et le respect des droits de l'homme ne sont pas définitivement acquis, et il convient de toujours s'interroger sur les limites qu'une loi ou un gouvernement peut y apporter.
Comme son nom l'indique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme donne des avis consultatifs au gouvernement français. Agissant sur saisine du Premier ministre et des membres du Gouvernement, elle peut également s'autosaisir, ce qui est heureux.
Compte tenu des enjeux liés au respect des droits de l'homme, la responsabilité des gouvernements est de favoriser cette saisine chaque fois que cela se révèle nécessaire.
En 1999, Lionel Jospin indiquait par voie de circulaire qu'il s'assurerait que « la commission serait bien saisie de tous les textes d'envergure dont le contenu entre dans son champ de compétence ». En 2002, Jean-Pierre Raffarin indiquait à son tour que « la commission pourra jouer pleinement son rôle de conseil et qu'elle sera saisie de tous les projets du Gouvernement, dès lors qu'ils auront une incidence directe sur les droits fondamentaux que les citoyens se sont vus reconnaître par les lois et par les traités internationaux ratifiés par la France. »
Or, force est de constater que cette recommandation des deux anciens Premiers ministres n'a pas été suivie à la lettre, bien au contraire. Ainsi, le président actuel de la commission indiquait à notre rapporteur que la CNCDH n'était pas systématiquement saisie des textes européens, des conventions internationales ainsi que des projets de loi dont le contenu entre pourtant dans son champ de compétence. Elle n'est pas saisie non plus des propositions de loi.
En outre, pour s'autosaisir, la CNCDH doit attendre le dépôt d'un texte sur le bureau d'une des deux assemblées, et elle ne peut donc intervenir suffisamment en amont de la procédure.
Mes chers collègues, il est intéressant de pointer les textes sur lesquels la CNCDH n'a pas été saisie alors qu'ils portaient atteinte aux droits fondamentaux de nos concitoyens, nous semble-t-il.
Ainsi, la commission a dû s'autosaisir s'agissant du projet de loi pour la sécurité intérieure, du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, enfin du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.
Est-ce un hasard si le ministre de l'intérieur a systématiquement choisi de ne pas saisir la CNCDH des projets de loi qu'il présentait et si aucune des observations émises par la commission sur ces textes n'a été prise en compte, alors qu'elles étaient entièrement justifiées, selon nous ?
Le renforcement et la consécration du statut de la Commission nationale consultative des droits de l'homme sont évidemment positifs. Toutefois, faut-il rappeler que les droits de l'homme peuvent aussi être remis en cause dans un État démocratique ?
Dans ce contexte, il convient de réaffirmer l'indépendance de la CNCDH - comme vous l'avez fait, monsieur le rapporteur -, dont le rôle doit être de maintenir intacte la vigilance face aux attaques portées contre les droits de l'homme, à l'échelle tant internationale que nationale.
Ce projet de loi ne confère peut-être pas l'autorité nécessaire aux avis de la Commission nationale consultative. Néanmoins, nous espérons que sa consécration législative pèsera de tout son poids dans le travail qui doit être mené en amont avec les instances internationales et nationales.
C'est en ce sens que nous voterons en faveur de ce projet de loi.