Intervention de Robert del Picchia

Réunion du 21 février 2007 à 15h00
Traité relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière contre le terrorisme — Adoption d'un projet de loi

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après Maastricht et Schengen, c'est Prüm, petite ville du Land de Rhénanie-Palatinat qui on sortir de l'anonymat géographique grâce à l'adoption d'un traité, qui sera, en quelque sorte, un « Schengen + », un « Schengen III ».

Ce texte s'inspire des dispositions de l'article 39 de la convention d'application de l'accord de Schengen pour renforcer la coopération intergouvernementale en matière policière transfrontalière. Il instaure également des procédures d'échanges de données, nominatives ou non, entre les États partenaires pour renforcer les capacités de répression des nouvelles formes de criminalité, qui se jouent des frontières nationales.

Ce traité constitue un texte-cadre qui respecte les législations nationales des États signataires. Ce point doit en effet être précisé : la loi du pays en cause s'appliquera.

Ce traité retient comme axes de travail et de coopération les principaux défis actuels à la sécurité que constituent, chacun dans leur domaine, le terrorisme, la criminalité organisée et les migrations illégales, qui se développent de plus en plus.

Il comporte donc deux volets principaux.

D'une part, il instaure une coopération policière renforcée contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme et l'immigration clandestine par le biais d'échanges d'informations en matière d'empreintes ADN, d'empreintes digitales, ainsi que de numéros de plaques d'immatriculation des véhicules. Ces échanges s'effectuent soit dans un cadre répressif - ils s'appuient alors sur une enquête judiciaire -, soit dans un cadre préventif.

D'autre part, ce traité organise également la coopération policière transfrontalière, en autorisant, dans des cas précis, les forces de police d'un État à agir dans un autre État.

Il s'agit là de deux domaines sensibles, en matière tant de protection de la personne que de souveraineté nationale. Les rédacteurs du traité se sont donc employés à concilier le renforcement de la coopération policière avec la nécessaire préservation de ces domaines.

Ils ont établi le constat qu'une répression efficace d'une criminalité en expansion nécessite le recours aux atouts nouveaux offerts à la police scientifique.

C'est le cas des empreintes ADN - leur efficacité lors de la recherche de criminels est incontestable -, qui s'ajoutent aux empreintes digitales pour permettre d'identifier un suspect. Ces deux sortes de données, considérées par la CNIL comme des données personnelles, ne peuvent être échangées entre les États qu'en fonction d'un protocole précis, qui diffère selon que l'on se trouve dans un cadre répressif ou dans un cadre préventif. L'interconnexion entre bases de données - c'est un sujet toujours très sensible - est donc ainsi strictement encadrée. Chaque pays désigne un unique point de contact, seul habilité à procéder à l'interrogation des bases des pays partenaires. Pour la France, il s'agit du service chargé de la gestion du fichier national automatisé des empreintes génétiques, qui relève de la Direction générale de la police nationale.

Cette consultation, réalisée pour résoudre une affaire précise et portant, par exemple, sur des traces ADN inconnues des services de police de l'État où l'enquête se déroule, s'opère en deux temps et au moyen de deux fichiers. Le premier d'entre eux contient des données ADN provenant de traces biologiques trouvées sur un lieu de crime, mais déconnectées des éléments d'identification ; les données identifiantes sont contenues dans un fichier annexé et ne sont communiquées à l'État requérant que si la trace ADN fournie correspond à une donnée déjà enregistrée Ces consultations au cas par cas sont soumises au droit du pays requérant.

Autrement dit, lorsqu'un État recherchant un criminel et disposant d'une trace ADN n'obtient pas lui-même de résultat fructueux, il transmet à un pays tiers les données en sa possession. Si la recherche effectuée par cet État n'aboutit pas davantage, l'État requérant gérera seul le dossier. Dans le cas inverse, c'est dans le cadre d'une enquête judiciaire qu'il est demandé au pays tiers, par l'intermédiaire du point de contact, de transmettre les données en sa possession.

Des dispositions identiques s'appliquent aux fichiers d'empreintes digitales, qui doivent être scindées entre un fichier d'empreintes rendues anonymes et un fichier annexé permettant leur identification nominative.

En revanche, les consultations automatisées des données récapitulées dans les registres d'immatriculation de véhicules s'opèrent par consultation directe d'un fichier unique.

Au total, le traité ne prévoit pas la création de bases de données spécifiques en matière d'empreintes digitales, génétiques ou d'immatriculation des véhicules, mais s'appuie sur celles qui existent déjà dans chaque État. Des liens informatiques, destinés à permettre à chaque État signataire de consulter les bases de données identiques de ses homologues étrangers, seront mis en place.

L'architecture des échanges retenue par le traité vise à restreindre les coûts de réalisation et devrait se limiter à l'interconnexion au réseau de communication choisi pour Prüm, réseau déjà existant au sein de l'Union européenne, dénommé TESTA II. L'Allemagne, qui a déjà mis en place cet accord avec l'Autriche, a fait savoir que le coût s'élève à 900 000 euros, ce qui n'est pas énorme eu égard aux besoins en la matière et aux résultats attendus.

Les échanges de données peuvent également se faire dans un cadre préventif, pour éviter les risques inhérents à des manifestations de grande envergure à dimension transfrontalière. Il peut s'agir de manifestations politiques organisées à l'occasion de sommets européens ou internationaux, ou de manifestations sportives.

Dans ces cas, les États partenaires doivent transmettre, sur leur propre initiative ou à la requête de l'État organisateur, toutes les données pertinentes de nature à aider les autorités compétentes. Ces données peuvent être ou non de caractère personnel. La communication de données ne peut concerner que des personnes ayant été déjà condamnées. Il est impossible, bien évidemment, de transmettre, par exemple, la liste comportant le nom des personnes ayant acheté un billet pour assister à un match de football !

Quant à la coopération policière, elle est régie par les dispositions de la législation nationale de l'État dans lequel elle s'exerce, notamment en matière d'usage des armes de service.

Tout d'abord, le traité prévoit que les policiers étrangers ne peuvent exercer de compétences de puissance publique dans l'État d'accueil que « sous le commandement et, en règle générale, en présence de fonctionnaires de l'État d'accueil ». Ainsi, des policiers allemands qui viendraient en France devraient prévenir leurs homologues français, et devraient être accompagnés de l'un de ces derniers. C'est uniquement en cas de « situation d'urgence » que les fonctionnaires de police peuvent intervenir au-delà de leur territoire national, sans autorisation préalable, pour « prendre les mesures provisoires nécessaires afin d'écarter tout danger pour la vie ou l'intégrité physique de personnes ». Cette situation se présenterait, par exemple, en cas de chute d'un avion dans une zone frontalière : ce sont les forces de police les mieux à même d'intervenir au plus vite qui se porteraient les premières au secours des victimes, tout en prévenant leurs collègues de l'État où s'est produit l'accident.

Dans le cas de poursuite de malfaiteurs, l'usage de leurs armes par les forces de police d'un État frontalier est soumis aux dispositions de l'État dans lequel elles interviennent. En France, cet éventuel usage est ainsi soumis au strict cas de la légitime défense, telle que définie par le code pénal et la jurisprudence.

Ce traité a déjà été ratifié en premier par l'Allemagne et l'Autriche, puis par le Luxembourg. Il constitue l'une des priorités de l'actuelle présidence allemande. Il est déjà entré en vigueur entre l'Allemagne et l'Autriche qui l'appliquent depuis le mois de décembre 2006. Ces pays peuvent donc croiser leurs données ADN respectives. Au cours des six premières semaines, le croisement des données allemandes et autrichiennes a révélé environ 3 000 concordances. Dans de nombreuses enquêtes, ces résultats ont permis de mettre en relations les traces génétiques relevées sur le lieu d'un crime avec des personnes désormais identifiées.

Lorsque ce traité sera applicable dans notre pays, il devrait donc permettre de faciliter l'identification d'auteurs d'infractions jusqu'ici impunies. Je rappelle en effet que, actuellement, 150 000 empreintes digitales sur deux millions et 5 000 empreintes génétiques sur 68 000 n'ont pas encore pu être identifiées en France.

C'est l'Allemagne qui a pris l'initiative des négociations qui ont conduit à la conclusion du traité au mois de juin 2005, deux jours avant le référendum français sur la Constitution européenne. Le fait qu'aux sept États signataires se soient ajoutés six nouveaux pays, depuis le mois de décembre dernier, constitue un signe encourageant pour cette démarche intergouvernementale, qui a été jugée plus rapide et plus efficace qu'une négociation européenne.

Cependant, l'Allemagne espère que, sur le modèle du traité de Schengen, le traité de Prüm pourra être intégré ultérieurement dans l'acquis communautaire. C'est le côté positif des coopérations concertées.

Quel que soit son avenir, ce traité constitue une avancée au regard de la situation antérieure, et manifeste la volonté de plusieurs États européens de répondre plus efficacement aux défis constitués par l'expansion des réseaux criminels sur le continent.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'adopter ce texte, comme l'a fait la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

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