Intervention de Ali Onaner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 janvier 2023 à 9h30
Audition de M. Ali Onaner ambassadeur de turquie en france

Ali Onaner, Ambassadeur de Turquie en France :

Oui, elles ne portent pas sur une trêve ou un cessez-le-feu, mais sur les possibilités d'un prochain échange de détenus et de prisonniers de guerre. Il faut savoir aussi que les Russes et les Ukrainiens sont en contact continu, à Istanbul, dans le cadre établi par l'accord sur la gestion des céréales ; ce mécanisme continu est utile quand on cherche à élargir le dialogue à l'échange de prisonniers, mais ce sont bien les parties qui décident si elles veulent élargir leur dialogue.

Nous avons entendu des propos, en Europe, qui n'ont de cesse de nous étonner, en particulier relatifs à la question de savoir si la Turquie devait rester dans l'OTAN. Je suis soulagé que tout le monde, désormais, ait bien compris le caractère indispensable de la présence de la Turquie dans l'OTAN : la Turquie dispose de la première armée européenne de l'OTAN, c'est le membre européen le plus indispensable de l'Alliance atlantique. On a reproché à la Turquie de ne pas appliquer les sanctions européennes ; mais l'Union européenne aurait pu, en élaborant ces sanctions, au moins inviter la Turquie à participer à la négociation, notre statut de candidat à l'adhésion le permettant ; l'UE n'a pas eu ce réflexe et elle a décidé unilatéralement de sanctions, il est donc déplacé d'espérer que la Turquie les applique. Je suis fier de ce que la majorité de l'opinion publique turque reste favorable à l'adhésion à l'UE, elle est convaincue que l'adhésion serait aussi dans l'intérêt de l'UE, mais je dois constater que les opinions publiques européennes n'y sont pas prêtes. On nous dit que la Turquie ne remplirait pas les critères pour adhérer à l'UE, alors même que certains membres de l'UE ne les remplissent pas non plus : cet argument est donc un raccourci intellectuel peu satisfaisant. Et si la Turquie remplissait demain tous ces critères, l'adhésion se ferait-elle pour autant ? Vous savez bien que non - et qu'il y a donc une part de responsabilité européenne dans la situation actuelle.

Vous m'interrogez sur l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN : la Turquie soutient pleinement cette adhésion, nous avons toujours promu une politique de « porte ouverte » pour l'OTAN, dès lors que les pays remplissent les conditions pour y entrer - chacun a pu le voir dans l'intégration des pays d'Europe de l'Est, alors qu'on nous accusait alors de vouloir conditionner cette intégration à notre adhésion à l'UE : la réalité, c'est que la position de la Turquie est sans ambiguïté. La seule attente que nous avons vis-à-vis de nos futurs alliés, c'est qu'ils remplissent les conditions liées à la priorité commune de la lutte contre le terrorisme, et qu'ils lèvent certaines incohérences dans leurs politiques d'exportations militaires. À titre personnel, je suis optimiste, car nous avons résolu les choses avant le sommet de Madrid. Comment l'avons-nous fait ? En nous mettant autour de la table et en discutant longuement à trois, entre Turcs, Suédois et Finlandais, nous avons discuté de nos attentes et de ce que les Suédois et Finlandais sont disposés à faire - et ce qui me rend optimiste, c'est que nous avons discuté devant le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, qui a été témoin de nos discussions et de notre accord. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir sur le fait que la Turquie ferait des demandes supplémentaires, il n'y aura pas de nouvelle condition turque à l'adhésion de la Suède et de la Finlande puisque nous nous sommes engagés devant le secrétaire général de l'OTAN. De la même façon, il ne faudrait pas que la Suède et la Finlande s'abritent derrière une décision de justice intérieure pour ne pas tenir l'engagement qu'elles ont pris avec nous devant le secrétaire général de l'OTAN, parce qu'il leur suffit, alors, d'adopter une nouvelle loi qui prenne mieux en compte la lutte contre le terrorisme. Est-ce que la Suède et la Finlande pourraient refuser de le faire, c'est-à-dire refuser de remplir les conditions qui sont nécessaires à ce qu'elles tiennent leur engagement - alors qu'on demande à la Turquie de remplir des conditions pour adhérer à l'UE ? Cela ne serait pas équitable. La Turquie ne va donc pas demander davantage que ce qui a été convenu devant le secrétaire général de l'OTAN, mais il ne faut pas faire moins non plus, chacun peut le comprendre. Vous espérez que les choses se débloquent dans les semaines à venir : nous pouvons ratifier même tout de suite, si chacun tient ses engagements, et si donc on ne nous demande pas d'accepter moins que ce à quoi les Suédois et les Finlandais se sont engagés.

L'Arménie est un sujet important, je sais que les élus français y sont très sensibles - tout à fait légitimement, puisque, élus dans une démocratie, vous êtes à l'écoute de l'opinion publique française, elle-même très sensibilisée sur le sujet par les Franco-arméniens. De quoi parle-t-on ? A la dissolution de l'URSS, des frontières ont été reconnues internationalement à l'Azerbaïdjan et l'Arménie, comme cela s'est passé avec l'Ukraine, mais l'Arménie a occupé ensuite, pendant trente ans, une partie du territoire de l'Azerbaïdjan. Le groupe de Minsk, qui avait l'ambition de mettre fin à cette occupation illégale, a échoué dans son projet, vous le savez. En 2020, l'Azerbaïdjan a réussi à reprendre ses territoires : la Turquie a soutenu politiquement cette action, mais il n'y a eu aucune intervention turque sur le terrain. On associe facilement les Turcs quand on parle de l'Azerbaïdjan, on parle par exemple de « blocage turco-azéri », c'est peut-être une façon pour nos amis arméniens de ne pas accepter d'avoir été battus il y a deux ans par les seules forces azéries... L'Azerbaïdjan nous avaient acheté, comme à Israël du reste, les meilleurs équipements militaires, mais comme l'ont fait une trentaine d'autres pays, qui nous achètent ces équipements parce qu'ils sont les meilleurs au monde. Nous ne sommes donc pas intervenus militairement dans ce conflit et je tiens à dénoncer ce mensonge, selon lequel la Turquie aurait envoyé des mercenaires syriens se battre du côté des Azéris : des responsables occidentaux ont relayé ces fausses informations, nous avons tous les éléments pour établir le caractère mensonger de ces propos - je suis à votre disposition pour vous le démontrer, si vous en doutez.

Ce qui s'est passé, donc, c'est qu'alors que depuis trente ans, nous n'avions pas été capables de mettre fin à l'occupation illégale du Haut-Karabagh par l'Arménie, l'Azerbaïdjan, il y a deux ans, a repris ses territoires internationalement reconnus, mettant fin à cette occupation illégale. Dès lors, la question du Haut-Karabakh est réglée. Reste à reconnaître les frontières, qui sont celles de 1991, et personne ne devrait revendiquer plus que cela. Une fois ces frontières confirmées, il restera à l'Azerbaïdjan de garantir tous les droits de la population arménienne vivant sur son territoire, en particulier dans le Haut-Karabakh, nous serons exigeants pour que cette minorité bénéficie de tous ses droits. Vos électeurs franco-arméniens ne l'entendent peut-être pas comme cela et vous demandent autre chose, mais il faut leur expliquer qu'on ne peut refuser les frontières de 1991 pour l'Azerbaïdjan, et les exiger pour l'Ukraine. C'est la seule solution défendable.

Avec l'Arménie, la Turquie a levé tous les obstacles au blocage qui prévalait dans nos relations du fait que l'Arménie occupait illégalement le Haut-Karabakh, nous avons relancé nos efforts de normalisation dès la fin de la guerre de 2020. Nous avançons progressivement, on a annoncé il y a deux jours la reprise des vols cargos entre nos deux pays, c'est très important pour le commerce arménien, étant donné la taille du hub aérien d'Istanbul. Cependant, nos amis arméniens voudraient aller plus vite, tout régler d'un coup, de façon à peser davantage dans leurs négociations avec l'Azerbaïdjan. Nous leur disons que ce n'est pas de bonne méthode, et que le rétablissement de relations diplomatiques avec la Turquie n'est guère compatible avec le blocage des négociations avec l'Azerbaïdjan. Nous sommes donc disposés à rétablir les relations diplomatiques avec l'Arménie, mais il serait naïf d'espérer que cela intervienne tant que les négociations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan seront bloquées. Nous encourageons nos amis arméniens à avancer avec nos amis azéris aussi vite qu'ils veulent avancer avec nous.

Vous m'interrogez aussi sur nos relations avec le régime syrien. Je vous ai rappelé combien le printemps arabe avait déséquilibré la Syrie, à nos frontières. Depuis un an, nous disons à nos alliés, principalement américains, que s'ils continuent leur coopération avec les terroristes du PKK, ils nous obligeront à choisir entre le PKK et Bachar El-Assad - et qu'alors, nous n'hésiterons pas une seconde à travailler avec le gouvernement de Bachar El-Assad contre les terroristes, nous le disons en toute transparence depuis un an. Les Américains savent que leur soutien au PKK ne peut pas durer, c'est à eux de voir s'ils se donnent les moyens de corriger l'erreur qu'ils ont faite - ou bien, nous allons les y aider.

Vous m'interrogez, enfin, sur la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Je suis d'autant mieux placé pour vous répondre que j'étais, au ministère des affaires étrangères turc, chargé de négocier cette convention au nom de la Turquie - et que je suis à ce titre responsable des erreurs faites alors dans cette négociation qui ont conduit, plus tard, la Turquie à devoir quitter cette convention. Je n'entrerai pas ici dans le détail, mais j'indique que la Turquie a quitté cette convention pour la même raison qui a poussé sept pays membres de l'UE et 11 membres du Conseil de l'Europe à ne pas ratifier ou à annuler cette convention. La Turquie avait été le premier pays à ratifier le texte, qui de ce fait porte le nom de convention d'Istanbul, nous avons été l'un des premiers pays à prendre les lois d'application, qui apportent en Turquie toutes les garanties dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Le nombre de cas de violences faites aux femmes reste cependant tristement élevé, comme dans d'autres pays européens, y compris en France, cela nous oblige à améliorer encore notre lutte contre ces violences. Le fait de quitter la convention donne probablement un mauvais message, mais notre droit intérieur, en Turquie, apporte toutes les garanties prévues par cet accord, à nous de bien appliquer nos règles.

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