Monsieur l'ambassadeur, je fais partie de ceux qui ont été à plusieurs reprises extrêmement choqués par certains de vos propos. J'exprime tout d'abord mon plus profond respect pour le peuple turc. La Turquie est un grand pays avec lequel nous avons beaucoup à construire pour la sécurité et la paix du monde.
Ma première question concerne le respect des droits humains en Turquie. Depuis la prise de pouvoir d'Erdogan en Turquie, des milliers d'arrestations politiques ont eu lieu. L'argument récurrent employé par le pouvoir turc est de dire qu'elles visent des terroristes ; mais ces arrestations extrêmement nombreuses visent bien des opposants politiques, issus de partis très différents, kurdes ou non.
Vous destituez non des terroristes, mais des maires kurdes élus, que vous emprisonnez systématiquement et remplacez par des administrateurs. Le maire d'Istanbul, ayant battu le candidat de l'AKP, a été condamné à l'issue d'un procès préfabriqué. Vous créez toutes les conditions pour qu'il ne puisse pas être candidat aux prochaines élections. Vous vous apprêtez à interdire le HDP, qui n'est pas le PKK. Vous avez, je crois, déjà bloqué ses comptes bancaires pour rendre impossible son activité. La situation est donc extrêmement préoccupante. L'argumentaire anti-terroriste que vous utilisez systématiquement pour qualifier tous les opposants au régime d'Erdogan est très problématique.
Concernant ce que vous avez pudiquement appelé les accusations sur les visées expansionnistes de la Turquie, vos propos sur l'Arménie sont particulièrement choquants. Je vous rappelle que le Sénat y a envoyé une délégation composée de tous les représentants de ses groupes politiques. Vous nous demandez aujourd'hui, dans votre propos liminaire, de reconnaître des frontières illégalement acquises par une agression militaire, en avançant que le droit des Arméniens du Haut-Karabakh de vivre en Azerbaïdjan sera garanti. Mais aujourd'hui, ce qui est en train de se produire, c'est que les populations arméniennes sont chassées du Haut-Karabakh, et que si on laisse faire, dans quelques années, il n'y aura plus d'Arméniens dans le Haut-Karabakh.
Un sujet de litige majeur avec l'Union européenne n'a toujours pas été évoqué : la situation de Chypre. L'occupation turque du nord de Chypre continue, depuis des dizaines d'années. Vous empêchez toute reprise des négociations politiques concernant Chypre ; j'aimerais vous entendre sur cette question.
Concernant l'OTAN, vous vous appuyez sur le quitus donné par Jens Stoltenberg à l'accord demandé par la Turquie, mais les demandes que vous faites à la Suède et à la Finlande seraient inacceptables pour tous les pays membres de l'OTAN, dont la France : vous remettez en cause le droit à accueillir des opposants au régime politique turc, qui, contrairement à ce que vous dites, ne sont pas des terroristes.
Par ailleurs, la Turquie prépare-t-elle à court ou à moyen terme une offensive terrestre pour occuper le nord-est de la Syrie, contre des populations qui, jusqu'à preuve du contraire, ne menacent pas la Turquie d'agression ?
Une dernière chose : vous m'avez indirectement ou volontairement mis en cause à propos de ma participation aux rassemblements du 24 décembre et de samedi dernier. Oui, je fais partie des gens qui se sont élevés, il y a dix ans, contre l'assassinat de trois militantes kurdes sur le territoire français. La justice française a montré que l'assassin de ces trois dirigeantes kurdes était un membre des services secrets turcs. L'enquête n'a pas pu être menée à son terme, puisque le Gouvernement refuse de répondre à la demande de la justice de lever le secret défense.
L'assassinat de trois Kurdes en plein Paris le 23 décembre dernier soulève à nouveau de nombreuses questions. J'espère que la justice française pourra aller au bout de son travail sur cette affaire. En France, de nombreux élus de la République expriment leur solidarité envers les Kurdes, leurs représentants et leurs organisations, et pointent la contradiction de la France, qui soutient les militants du PKK et les forces du YPG ayant combattu Daech sur le terrain, et maintient dans le même temps le PKK sur la liste des organisations terroristes, à la demande de la Turquie. Cette question fait débat dans notre pays : j'assume totalement ma position.