Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un débat sera tombé aussi à point.
Si nous devions nous interroger sur l’intérêt des débats d’actualité, celui d’aujourd’hui nous apporterait sans doute une réponse positive. À quelques heures de la fin des négociations commerciales, la grande distribution, les agriculteurs, les industriels et le Gouvernement se renvoient la balle sur une hausse à venir de 10 % des prix alimentaires.
Des chiffres filtrent : les boîtes de Nesquik augmenteraient de 25 %, tandis que Coca-Cola envisagerait une hausse de 17 %.
Si l’inflation ralentit et si nous avons jusque-là évité la boucle prix-salaires, la hausse des prix alimentaires est, elle, plus alarmante. Même si nous essayons de faire la part des choses, nous ne pouvons qu’être inquiets.
Bien sûr, 6, 2 % d’inflation en France, c’est mieux que 8, 5 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Bien sûr, le Gouvernement a su mettre en place un certain nombre de mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, comme la remise carburant, l’indemnité inflation, le chèque énergie, le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ou encore les aides ciblées aux ménages et aux entreprises.
Toutefois, les chiffres de l’inflation alimentaire de février, sur un an, ont été connus hier : 14, 5 %. Le constat est simple : l’évolution des prix des denrées alimentaires est beaucoup plus forte que celle de l’inflation. En outre, ce qui filtre des discussions en cours laisse entrevoir de nouvelles hausses élevées, sans doute de niveau équivalent. Le président de Système U a évoqué 10 % d’augmentation et celui de Carrefour s’est montré plus alarmant encore.
L’addition des 14, 4 % déjà constatés avec la hausse attendue de 10 %, si elle devait se confirmer, fait froid dans le dos. Il y a, bien entendu, une part de bras de fer dans cette confrontation annuelle entre chacun des acteurs de la distribution, mais cela pose question. Les distributeurs accusent les transformateurs, qui désignent du doigt les hausses des prix des matières premières, voire les agriculteurs. Le Gouvernement demande aux grandes surfaces de réduire leurs marges et évoque un panier, ou un chariot de prix alimentaires à maintenir sous contrôle. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en sont ces discussions et quels dispositifs vous pensez pouvoir mettre en œuvre ?
On peine à expliquer totalement ces augmentations. L’année dernière, la guerre en Ukraine, les prix de l’énergie, des matières premières, des transports et des produits manufacturés pouvaient expliquer l’inflation alimentaire. Mais en 2023, ces chiffres sont bien moindres.
Bien sûr, le niveau des prix de production relaie peu à peu l’inflation déjà constatée et se diffuse. L’inflation des prix de production serait de 17 %. Ce chiffre, au demeurant élevé, est inférieur à celui du reste de l’Union européenne. Faut-il y voir l’une des causes des augmentations attendues ?
Quoi qu’il en soit, si le pouvoir d’achat a pu être préservé en 2020 et en 2021, il a baissé de 0, 2 % en 2022, et nous risquons de perdre l’acquis en 2023. Il est vrai qu’en 2022, les salaires ont augmenté de 4, 2 % en moyenne alors que l’inflation s’élevait à 6 %. L’évolution du niveau des prix sera donc plus marquée que celle du niveau des salaires. Les aides de l’État et les primes ne pouvant pas rester élevées, le moral des ménages se dégrade.
En somme, le problème est que les salaires augmentent moins vite que l’inflation et que la consommation s’en trouve affectée, alors qu’elle constituait jusque-là un moteur de l’économie. Sur ce point, il nous faut nous interroger sur les manières d’aborder l’avenir.
La soutenabilité de notre budget nous appelle évidemment à la plus grande vigilance ; c’est toute la quadrature du cercle. Elle suppose un effort collectif reposant sur la maîtrise de la dépense qui doit être couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci. Il y a là une contradiction dont il nous faut sortir. À cet égard, la croissance et la maîtrise de l’inflation sont des nécessités. Comment voyez-vous les choses sur ce point, madame la ministre ?
En attendant, il nous faut répondre de manière segmentée à plusieurs urgences.
L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié une étude sur les mesures budgétaires importantes qui ont été mises en place et leurs effets sur le pouvoir d’achat des Français en 2022 et 2023. Il estime qu’en 2023, le pouvoir d’achat pourrait revenir à son niveau de la fin de l’année 2019, avant la crise sanitaire, et se réduire de 1, 2 % à 2 % entre la fin de l’année 2021 et la fin de l’année 2023 ; sans les mesures qui ont été prises, la baisse aurait pu atteindre 5 %.
Cela prouve l’efficacité des mesures appliquées : le bouclier tarifaire et la remise carburant ont, semble-t-il, permis de soutenir le pouvoir d’achat à hauteur de 790 euros en moyenne en 2022 et auraient soutenu le niveau de vie des ménages les plus modestes de 5, 1 %, contre 2, 2 % pour les ménages les plus aisés.
L’inflation affecte les ménages de manière inégale en fonction de leurs revenus, de leur situation personnelle et de leur lieu de vie. Toujours selon les travaux de l’OFCE, les ménages ruraux, les plus éloignés des centres urbains et les plus modestes seraient les plus touchés par ce phénomène inflationniste. Madame la ministre, cela nous invite à réfléchir à des mesures différenciées pour prendre en compte l’impact disparate de l’inflation. S’il est évidemment très difficile de prendre des mesures catégorielles, nous voyons bien que l’inflation n’affecte pas chacun de la même manière selon l’âge ou le lieu d’habitation.
Selon une étude des banques alimentaires, le nombre de personnes bénéficiant de l’aide alimentaire a triplé en dix ans, avec une hausse de 10 % en 2022. Quelque 2, 4 millions de nos compatriotes ont été accueillis par ces structures en 2022 pour bénéficier d’une nourriture gratuite ou très peu chère. Je n’oublie pas, madame la ministre, l’effort réalisé en matière d’emploi et de soutien. Mais je ne veux pas non plus nier les difficultés.
Avant de conclure, je tiens à mettre l’accent sur l’envolée des taux d’intérêt, qui affecte la capacité des ménages primo-accédants à devenir propriétaires. Beaucoup d’entre eux sont exclus du marché, ce qui constitue une grande difficulté. C’est un point d’alarme, tant pour le secteur de l’immobilier et de la construction que pour ceux qui veulent accéder à la propriété.
Dans un contexte de hausse des taux, il serait utile aux accédants de proroger le prêt à taux zéro (PTZ), dispositif phare du soutien à la propriété, de même que de développer massivement le bail réel solidaire, notamment pour les jeunes ménages. En tout état de cause, la cherté et la difficulté d’accession constituent un vrai sujet de préoccupation.
En outre, étant donné le poids du logement dans le budget des ménages, il y a sans doute une réflexion à conduire pour mieux adapter les loyers des locataires ou futurs locataires du parc social.
Nous mesurons, madame la ministre, l’ampleur des difficultés et l’effort qui a déjà réalisé. Nous avons dans cet hémicycle une pleine conscience des contraintes budgétaires. Mais les mesures que le Gouvernement doit annoncer sont, pour beaucoup, une question de vie quotidienne, pour ne pas dire une urgence.