Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant plus de six mois, la délégation aux droits des femmes a mené des travaux sur l’industrie pornographique. Ceux-ci ont abouti à la publication du rapport intitulé Porno : l ’ enfer du décor.
Je tiens à remercier la présidente de la délégation, Annick Billon, d’avoir abordé ce sujet de fond aux côtés des rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, qui ont accompli un travail formidable, dont je souhaite les féliciter, car celui-ci fera avancer non seulement les mentalités, mais aussi, je l’espère, notre droit.
Plus de 250 sénateurs, dont sept présidents de groupe, ont souhaité être associés à l’élaboration de cette proposition de résolution. Le Sénat a pleinement conscience de l’urgence et de l’importance du sujet.
Les mesures proposées iront dans le sens d’une meilleure protection des mineurs face à l’industrie pornographique, qui – je tiens à le souligner – réalise un véritable hold-up sur l’intimité et le développement de nos plus jeunes.
Pour autant, ne passons pas à côté d’un autre enjeu, dont je voudrais vous parler.
En 2018, à l’Assemblée nationale, j’avais auditionné le journaliste Robin d’Angelo, qui venait de publier son livre Judy, Lola, Sofia et moi. Pendant un an, il avait infiltré le milieu du porno soi-disant amateur, incarné en France par la puissante entreprise Jacquie et Michel.
Aussi, alors que nous nous sommes interrogés à juste titre pendant des années sur l’exposition et l’accès des jeunes à la pornographie, nous avions occulté tout un pan de ce sujet si grave. Il m’avait expliqué ce que personne n’osait dire à l’époque : l’absence récurrente de consentement, le non-respect du droit du travail et des pratiques contraires à la dignité humaine ; n’ayons pas peur des mots.
Il avait alors parlé d’une « forme de normalisation de la violence, assez marquante et assez forte » qui conduisait forcément à des abus ; j’y insiste, ce sont des abus et des scènes de violences, et non des films !
Dès 2020, ces actes ont éclaté au grand jour avec l’ouverture d’une information judiciaire pour « traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé » contre la plateforme de vidéos pornographiques French Bukkake.
Les plaignantes ont dénoncé de graves atteintes au consentement lors de scènes dégradantes et très violentes, tandis que le réquisitoire du parquet faisait état de viols répétés, de mensonges et d’intimidations, de l’utilisation de drogues, parfois à l’insu des victimes, de tests VIH falsifiés, et de rackets organisés pour retirer les vidéos pornographiques qui empoisonnent la vie des victimes.
De même, il faut mentionner l’ouverture d’une deuxième information judiciaire, dans le cadre d’une procédure distincte, à l’encontre notamment de la société Jacquie et Michel, l’un des sites pornographiques français les plus consultés, pour « complicité de viol et traite d’êtres humains en bande organisée ».
Ces procédures témoignent de la volonté des enquêteurs et de la justice de porter une plus grande attention aux violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu dit du « porno français ».
Sans compter toutes les victimes qui n’ont jamais osé parler…
Près de 220 000 vidéos sont vues chaque minute sur la principale plateforme, où se cachent parfois des réseaux criminels, proxénètes et de traite d’êtres humains à grande échelle. Il s’agit d’une industrie prospère : je rappelle qu’une recherche sur huit sur internet concerne une vidéo pornographique.
Ayons le courage de dire que les méthodes de l’industrie pornographique sont trop souvent identiques à celles des réseaux de traite des êtres humains. D’ailleurs, c’est bien de cela qu’il s’agit : rabattage, mise en confiance, soumission par le viol, exploitation, intimidation, inversion de la culpabilité et chantage.
Les tournages des actes sexuels sous contrainte économique et morale, des agressions sexuelles et des viols, voire des actes de torture et de barbarie doivent être lourdement condamnés.
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons pas à la fois voter des lois dans cet hémicycle pour protéger les victimes de violences sexuelles et fermer les yeux ou même tolérer ce qui se passe bien trop souvent dans les entreprises du porno.
Le Sénat peut donc être fier aujourd’hui d’émettre un certain nombre de propositions, parmi lesquelles celle de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale, ou celle de favoriser l’émergence des plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.
Notre assemblée propose également de traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie, ou encore de s’attaquer directement aux plateformes de diffusion.
Car ces femmes et, parfois, ces hommes – nous ne devons pas les oublier – doivent non seulement se reconstruire, mais aussi supporter la diffusion non contrôlée de vidéos dont ils sont les victimes.
Mes chers collègues, je sais qu’aujourd’hui il est de notre responsabilité de porter leur message : ces victimes sont aussi bien les personnes qui regardent ces vidéos que celles qui y figurent, les soi-disant acteurs qui subissent ces violences.
Voter cette résolution, c’est aussi leur dire : « Nous sommes avec vous ».
Soyons fiers d’adopter ce texte, car, en le faisant, nous protégeons ces hommes et ces femmes exploités. Nous défendons la liberté et la fraternité, et nous agissons pour la dignité humaine. La solidarité que nous leur devons est essentielle.