Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, je tiens à souligner la qualité du rapport que Mmes les sénatrices Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol ont produit au mois d’octobre dernier.
Ces travaux mettent en lumière des faits de société trop souvent passés sous silence, bien que portant en eux une violence inouïe à l’égard des femmes. Ils contribuent à faire évoluer les mentalités et permettent au Parlement, pour la première fois, de mettre ce sujet à l’ordre du jour.
Je sais aussi que les auteurs du rapport ont fait preuve d’une grande force en recevant les victimes et en écoutant l’effroyable récit des sévices qu’elles ont subis.
Aujourd’hui, parmi les termes les plus recherchés sur les plateformes pornographiques, on trouve « sexe brutal », « ado amateur », « mom and son » ou encore « ado vierge ». Ces expressions ne sont pas des fantasmes : ce sont des appels à la violence, au crime ! Il peut s’agir – osons nommer les choses ! – de viols avec tortures et d’actes de barbarie, punissables de la réclusion criminelle à perpétuité.
Je tiens donc à remercier les sénatrices ayant effectué un tel travail d’avoir fait la lumière sur ce tabou.
Chaque seconde durant laquelle sont tues les violences pornographiques est une seconde de souffrance pour des milliers de victimes, des milliers de femmes abusées à force de pressions financières et psychologiques.
Ces femmes, ce sont par exemple toutes celles qui sont condamnées à vivre avec un cauchemar qui se répète à chaque fois qu’un utilisateur appuie sur Play et qui attendent le jugement de leur agresseur.
C’est aussi pour elles que nous devons agir. C’est en pensant à chacune d’entre elles que je m’exprime devant vous aujourd’hui. Elles sont les victimes de la violence de l’industrie pornographique. J’utilise le terme « industrie » à dessein, car ces violences répondent à la demande de consommateurs.
Pour y mettre fin sur le long terme, la réponse pénale ne suffit pas. Nous devons protéger et sensibiliser les plus jeunes aux dérives de la pornographie.
Vous l’avez rappelé, sur les 19 millions de personnes qui, en France, visitent chaque jour un site pornographique, on comptabilise 1 million d’adolescents ayant entre 15 ans et 18 ans, et 1, 2 million d’enfants âgés de moins de 15 ans.
La violence des sites pornographiques est souvent pour eux le premier aperçu de ce qu’est la sexualité. Cela se traduit, chez nombre de jeunes, par une vision déformée et violente des rapports sexuels, qui peut aussi entraîner des difficultés à construire et entretenir des relations affectives.
En tant que magistrate, je peux l’affirmer : il y a là un terreau très favorable à des comportements violents envers les femmes.
L’une des clés du problème réside dans l’éducation. L’école de la République doit être un lieu de savoir, d’émancipation et d’éducation à la citoyenneté.
Depuis 2001, la loi prévoit que l’éducation à la sexualité doit être dispensée dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison de trois séances par an. Il s’agit de séances d’éducation à la sexualité fondées sur un apprentissage du respect de l’autre, sur nos valeurs cardinales de respect de soi, d’égalité et sur l’apprentissage du consentement.
Dès notre entrée au Gouvernement, mon collègue Pap Ndiaye et moi-même avons fait de l’application de cette loi l’une de nos priorités. Nous devons défendre un message pédagogique fort à destination de notre jeunesse. Et c’est pourquoi nous avons pris le problème à bras-le-corps.
Le ministre de l’éducation nationale a ainsi publié le rapport produit au mois de juillet 2021 par l’inspection générale de l’éducation du sport et de la recherche. Il a également publié sur son site un vade-mecum sur l’éducation à la sexualité, afin d’en exposer le contenu et les enjeux. Depuis quelques semaines, un groupe de travail interministériel a été mis en place pour actualiser les contenus et ressources pédagogiques, et renforcer les formations des personnels.
Notre message doit être assez puissant pour mettre à mal l’idéologie patriarcale et méprisante pour les femmes que diffusent trop souvent les plateformes, quelles qu’elles soient.
Car il serait erroné de penser que l’on ne peut trouver la violence pornographique que sur des sites dédiés. Le rapport l’illustre parfaitement : certaines plateformes comme Twitter, Meta, TikTok ou Snapchat hébergent aussi ces contenus d’une grande violence.
Par cette proposition de résolution, nous devons exprimer une position claire sur un sujet que la société doit enfin regarder en face.
Sur mon initiative, des discussions interministérielles sont en cours pour prendre des mesures fortes à l’encontre des diffuseurs, qui ne pourront alors plus se cacher derrière un prétendu vide juridique.
Votre travail, mesdames les sénatrices, a porté ses fruits : d’abord, au travers de cette proposition de résolution que la Haute Assemblée examine aujourd’hui ; ensuite, par le travail qui est en cours pour imposer aux plateformes qu’un contrôle efficace de l’âge de l’internaute soit enfin mis en place, et ce grâce à l’engagement de mes collègues Éric Dupond-Moretti, Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel.
Le décret prévoyant la mise en œuvre d’un contrôle parental sur tous les terminaux sera promulgué prochainement. Je tiens en outre à rappeler le lancement d’une campagne gouvernementale ambitieuse à l’occasion du Safer Internet Day. Grâce au site jeprotegemonenfant.gouv.fr, nous offrons enfin aux parents les outils dont ils ont besoin pour préserver leurs enfants des contenus violents, et la pornographie en est un.
Nous voulons aller plus loin. Un travail sur les prérogatives de l’Arcom est ainsi en cours. Je suis aussi particulièrement attachée à améliorer les possibilités de retrait des images intimes divulguées à l’insu des personnes.
Parce que ces problématiques dépassent nos frontières, la collaboration internationale est essentielle pour réellement porter un coup d’arrêt à cette violence. Hier, j’étais en Suède pour échanger avec mon homologue sur les bonnes pratiques mises en place dans nos pays respectifs. Nous allons approfondir notre coopération sur le sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant la présente proposition de résolution, vous soutiendrez la politique ambitieuse que mène votre gouvernement face à ce fléau ; vous aiderez les victimes à ne plus se sentir seules face à cette industrie violente.
J’espère que ces femmes nous entendent cet après-midi. Ensemble, nous devons faire face à cette responsabilité qui est la nôtre.