Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y sommes, nous y sommes de nouveau, si je puis dire, et nous y sommes enfin : je suis particulièrement heureux de vous présenter cette réforme et de soumettre ce texte à votre discussion.
Cette réforme des retraites, j’y crois profondément.
J’y crois, tout d’abord, parce qu’elle sort notre système par répartition de son état structurellement déficitaire. Elle permet de ne pas faire peser cette responsabilité sur les générations futures alors que nous savons tous, à la lecture des rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR), que dès 2027 le déficit annuel du système sera de 12, 5 milliards d’euros par an et qu’il atteindra 20 milliards d’euros par an en 2035 et 25 milliards d’euros par an en 2040.
Dans un peu plus de dix ans, si nous ne faisons rien, le déficit cumulé sera de 150 milliards d’euros, alourdissant d’autant la dette. Cela nous oblige, tout au long des débats qui s’ouvrent, à rester extrêmement attentifs à cet objectif d’équilibre et de retour à l’équilibre du système de retraite.
Cette réforme, j’y crois, ensuite, parce qu’elle rend plus juste notre système de retraite, en répondant à des attentes exprimées de très longue date par les Françaises et les Français.
J’y crois, enfin, parce qu’il s’agit tout simplement d’une promesse tenue, celle de réformer les retraites et, ce faisant, de continuer à transformer le pays et notre modèle social. Je le dis tout en soulignant que croire à cette réforme n’empêche évidemment pas d’entendre les contestations : je n’oublie pas que ceux qui ont élu le Président de la République ne l’ont pas tous fait pour soutenir en premier lieu cette promesse-là. Certains ont voté pour lui pour cette réforme, d’autres ont voté pour lui malgré cette réforme, d’autres encore ont voté contre lui à cause d’elle.
Cependant, et tout au long de la campagne présidentielle, cette réforme n’a jamais été un projet caché. Elle a été assumée, portée et annoncée par le Président de la République et par toute la majorité lors des élections législatives.
Elle s’inscrit dans la droite ligne des engagements pris depuis 2017, cette ligne qui fait du travail la meilleure et la plus forte des réponses apportées aux difficultés de notre pays. Cette ligne vaut également, en effet, là où il s’agit de rétablir l’équilibre du système de retraite, considérant, de surcroît, que le travail est la meilleure des politiques en faveur de l’autonomie, de la dignité et de la lutte contre la pauvreté.
C’est ce que le Président de la République a construit, réforme après réforme, depuis 2017, qu’ainsi nous voulons poursuivre.
Dans la série des réformes déjà nombreuses de notre système de retraite, celle-ci ne fait pas exception, bien au contraire, sur plusieurs points.
Elle est difficile, car vous savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité de ce sujet. Notre système de retraite, rendu plus opaque à chaque fois qu’on le modifiait, cache aujourd’hui d’innombrables imperfections sous chacun de ses détails. Ces imperfections, on les découvre en avançant, et personne ne peut véritablement se vanter d’en avoir fait le tour.
C’est pourquoi réformer notre système de retraite est une gageure – cela l’a toujours été, cela le reste –, car nous devons conjuguer nos priorités avec toujours plus de complexités et, souvent, d’inégalités. Même un funambule n’y verrait pas un chemin aisé…
En vérité, puisque je parle de chemin, le seul chemin que je connaisse pour aborder cette réforme, c’est celui du débat et du dialogue républicain.
La concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques du pays qui ont répondu à notre appel a précisément permis d’emprunter ce chemin.
Cela n’a évidemment pas suffi à surmonter tous les désaccords, notamment sur l’âge ou sur la durée de cotisation, mais, sur d’autres points, nous avons su acter des avancées, que certains jugent insuffisantes, d’autres excessives – je pense à l’emploi des seniors ou aux carrières longues –, mais qui toutes sont le fruit de cette concertation.
Ces avancées sont autant de preuves – il en faut – que le débat est toujours fécond et que le consensus est toujours possible, quand on veut bien leur laisser une chance.
Parler des retraites, et présenter cette réforme devant vous, c’est aussi regarder les choses en face et éviter toute forme de déni : demander aux Français de travailler deux ans de plus, même progressivement, même en tenant compte de la pénibilité et des carrières longues, c’est leur demander un effort – cet effort, certes, vise à sauver notre système de retraite par répartition et à financer de nouveaux droits, mais il reste un effort.
Demander un effort de plus, c’est parfois aussi bousculer des projets de vie, il faut le dire.
Parler des retraites, c’est en vérité parler du rapport des Français à leur travail, à leur carrière. C’est parler de leur vie, de leur famille, de leurs aspirations.
J’ai eu à maintes reprises l’occasion de rappeler combien est difficile l’exercice qui accompagne un départ à la retraite. Liquider sa pension peut avoir l’air d’un solde de tout compte. L’administration vous demande de faire le point en retraçant et en reconstituant votre carrière ; or se retourner sur sa vie n’est pas toujours chose facile.
Pour certains, ce sont de bons souvenirs, pour d’autres, des moments plus contrastés, et la retraite peut aussi bien arriver comme une délivrance que sonner le rappel de cette mémoire vive.
C’est aussi de ce point de vue que la présente réforme met en question notre rapport au travail et le sens que nous donnons au travail – ces questions, de plus en plus de Français se les posent, parfois non sans angoisse.
C’est donc bien comme ministre du travail, bien conscient de ce rapport personnel à l’existence que le sujet convoque, que je veux vous présenter cette réforme et en débattre avec vous ces prochains jours.
Cette réforme s’inscrit dans la suite de mon action au ministère du travail ; elle pose quelques fondations pour des chantiers qui nous attendent encore.
Elle continue en effet de construire les bases d’une nouvelle société du travail, d’abord impulsée, pour nous en tenir au quinquennat débuté en 2022, par la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et par la réforme du marché du travail, chantier qui sera prolongé d’ici peu par un nouveau projet de loi, que nous souhaitons ambitieux, pour l’emploi, le travail et la formation, assorti d’un objectif : le plein emploi.
Toutes ces réformes ont en commun un même objectif, que je viens d’énoncer : le plein emploi pour tous, mais aussi le bon emploi pour le plus grand nombre.
C’est la réalisation de cet objectif qui requiert toute notre responsabilité et tout notre courage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis, à cette tribune, pour souligner la complexité de l’exercice : toute réforme des retraites est difficile. Je le dis en ayant bien en tête qu’ici même vous avez régulièrement éprouvé que décider de pareilles réformes c’est s’exposer à la critique et à la contestation – mais c’est aussi faire preuve de courage. Faire cette réforme, en effet, c’est en avoir le courage, le courage d’affronter les difficultés inhérentes à cette entreprise, que d’autres gouvernements et d’autres majorités n’ont pas nécessairement eu avant nous, ce qui précisément nous invite aujourd’hui à agir, et à agir vite.
Nous le faisons. Nous avançons et nous assumons cette difficulté ainsi que la nécessité de dire quelles contraintes, budgétaires notamment, pèsent sur notre État et sur notre système de protection sociale.
J’ai eu la grande chance d’être maire, député, ministre de la fonction publique, puis du budget ; s’il y a bien une chose qui m’a été rappelée par l’exercice de chacune de ces fonctions, sans équivoque et sans nuance, c’est bien que les équilibres budgétaires fondent notre système et déterminent notre capacité à agir et, plus encore, à permettre à ceux qui nous succèdent de continuer à décider souverainement pour eux-mêmes.
Cette certitude, et cet attachement à l’équilibre budgétaire, je sais que vous êtes très nombreux à les partager. Comme vous, j’en serai le garant, avec mon collègue Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics.
Bien entendu, nous le savons, les moyens ne sont pas les fins, et vouloir sortir un système du déficit pour le réformer ne signifie pas que l’objet unique de la réforme serait cet équilibre.
Mais, je le répète, toutes les interprétations du monde ne suffiront pas à contourner ce constat simple : le déficit de notre système de retraite est structurel. « Sur les vingt-cinq prochaines années, le système de retraite sera en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus » – j’emprunte leurs mots aux auteurs du dernier rapport annuel du COR.
Se soucier exclusivement de l’évolution des dépenses sans se préoccuper des ressources qui les permettent, ce n’est pas choisir une vision parmi d’autres au sein d’une alternative : c’est assumer une forme d’incurie financière.
Certains, par ailleurs, quand ils reconnaissent l’existence d’un déficit, parviennent encore à s’en satisfaire ou à le relativiser. Pour le coup, cela signifie renvoyer nos responsabilités aux prochaines générations. Le prix du déni, en la matière, c’est la trahison des générations qui, n’ayant pas encore voix au chapitre, ne peuvent décider pour elles-mêmes. Pareille trahison revient aussi à ouvrir la voie à une dénaturation, tôt ou tard, d’un des systèmes de retraite les plus protecteurs qui soient, qui protège les plus fragiles, réduit les inégalités et garantit la solidarité entre générations. Nier ce déficit et nier la nécessité de l’équilibre, en définitive, c’est être myope, et c’est penser que le présent mérite de dévorer l’avenir.
Ce que nous préférons, pour nos retraites – je l’ai dit –, c’est demander un effort à ceux qui le peuvent, comme la majorité sénatoriale le propose d’ailleurs depuis de nombreuses années.