Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 2 mars 2023 à 14h30
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 — Discussion générale suite

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que le sens de l’histoire avait conduit à la retraite à 60 ans, les contre-réformes pesant essentiellement sur le monde du travail se succèdent. En effet, si la richesse progresse, il en est de même de son partage inégal et de la superconcentration des richesses.

Pourtant, rien dans la situation financière du système de retraite ne justifie cette réforme brutale, car le léger déficit prévisionnel, opportunément dramatisé, provient d’une insuffisance de recettes et non des dépenses, dont la trajectoire est maîtrisée selon le COR.

Ces recettes proviennent de moins en moins des employeurs, le Gouvernement amplifiant la politique d’exonération des cotisations sociales, largement contestée pour ses effets sur l’emploi. Cette politique coûte au budget de l’État l’équivalent de sept fois le déficit du système des retraites. Or ces exonérations sont de moins en moins compensées par l’État.

En manquement aux obligations de la loi Veil du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, plus de deux milliards d’euros sont ainsi non compensés, sans compter la non-compensation des exonérations des primes pour le partage de la valeur, alors que notre amendement pour la rétablir avait été adopté par notre chambre et retoqué en commission mixte paritaire.

Parallèlement, le Gouvernement poursuit sa course folle aux baisses d’impôts, qui alarme jusqu’au gouverneur de la Banque de France.

Les recettes manquent, parce que le Gouvernement étend les dispositifs d’exemption d’assiettes de cotisations sociales et refuse toujours d’aligner les prélèvements sur les revenus financiers à hauteur des revenus du travail.

Quant à la multiplication d’éléments de rémunération désocialisée pour les travailleurs, leur a-t-on dit que cela se payerait par le recul de leurs droits et de l’âge de la retraite ? Pour les employeurs, en revanche, c’est tout bénéfice.

Le déficit se creuse aussi par la politique d’austérité dans la fonction publique, où la baisse des effectifs et le gel du point d’indice, passé et programmé, signifient une réforme des retraites à bas bruit. En effet, si aucun décrochage de la masse salariale des fonctionnaires n’était organisé, le déficit serait diminué de 3 milliards d’euros à l’horizon 2030.

Non nécessaire à la survie du système de retraite, pour laquelle d’autres solutions existent, cette réforme est indispensable, en revanche, pour respecter la trajectoire des dépenses publiques à 0, 6 % en volume à l’horizon de 2027, que vous avez inscrite, messieurs les ministres, dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles, alors que les retraites progressent de 1, 8 %.

Pour poursuivre la baisse des impôts de production, comme la suppression de la CVAE, qui prive les comptes publics de l’équivalent du déficit des retraites, les dépenses publiques – dont les dépenses de retraites, qui pèsent un quart de celles-ci –, jouent les variables d’ajustement.

Voilà la vraie nécessité de la réforme, une réforme qui ne demande aucune contribution aux employeurs, pourtant premiers responsables du faible taux d’emploi des seniors, mais qui sert la poursuite des aides massives qui leur sont versées, ainsi que les baisses d’impôts et de cotisations dont ils bénéficient.

C’est pour poursuivre cette politique que, en même temps que le passage à 62 ans en 2010, le Fonds de réserve pour les retraites, qui devait permettre de passer la bosse démographique, a été asséché et détourné.

Injuste, cette réforme aura un coût social inédit : comme la précédente, elle allongera le sas de précarité et de pauvreté des femmes, des ouvriers et employés, massivement exclus de l’emploi après 60 ans, comme des 30 % de Français les plus pauvres. Ces derniers devront attendre deux ans de plus le passage à la retraite, qui, pour eux, marque une amélioration de leur niveau de vie.

À 61 ans, moins d’un senior sur deux et 28 % des ouvriers sont en emploi. À la suite de la précédente réforme, le chômage s’est aggravé pour les seniors et près d’un million d’entre eux y sont depuis plus d’un an, avec très peu de chances d’en sortir.

Pour toutes ces personnes, pour les catégories populaires qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, comme pour plus du tiers des femmes, la réforme se traduira par une plus longue période aux minima sociaux, en longue maladie, au chômage, voire sans aucune ressource.

Alors que les femmes partaient déjà à la retraite sept mois plus tard que les hommes, en courant derrière le taux plein, le recul de l’âge légal, en substituant une partie de la mobilisation des trimestres enfants en trimestres travaillés, allongera davantage leur durée de travail que celle des hommes.

Après avoir perdu un an et neuf mois avec la réforme de 2010, les femmes de la génération 1980 devront travailler huit mois de plus.

Pour tous ceux qui sont aux portes de la retraite et sur lesquels le Gouvernement réalise les économies à court terme nécessaires à son objectif de respect du déficit public à 3 % du PIB en 2027, cette réforme n’est que brutalité.

Les travailleurs verront une nouvelle diminution de leur durée de vie à la retraite. En effet, l’espérance de vie n’est plus tirée que par la baisse de la mortalité des plus de 70 ans, de sorte que les réformes successives, dont celle de 2010, ont consommé plus que les gains d’espérance de vie.

Oui, l’espérance de vie en bonne santé augmente, mais l’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre reste de dix ans.

Avec votre réforme, le risque d’une durée de retraite de moins de dix ans concernera plus de 40 % des hommes les plus modestes.

Les rares mesures d’atténuation de la brutalité de cette réforme n’y changeront rien, tant pour ceux qui sont coincés dans le sas de précarité que pour ceux qui sont confrontés aux inégalités de santé au travail et à un travail qui s’intensifie.

Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), tous les indicateurs de pénibilité et de contrainte sur les rythmes de travail ont été, depuis 1984, plusieurs fois multipliés.

La question première et centrale reste donc celle du travail, du travail concret, de l’urgence de changer le travail et d’en réduire la durée.

Face à l’intensification de ce dernier, autre face du « travailler plus » d’ailleurs, qui porte le productivisme au cœur même du travail, votre réforme parle la langue de la finance, quand il faudrait parler du travail, de ses conditions, de son sens et de la vie hors travail.

À la place, vous multipliez les mensonges, comme au sujet de la revalorisation du minimum contributif (Mico), dont seule une infime minorité des nouveaux comme des anciens retraités touchera les fameux 100 euros. Vous tentez de faire oublier que cette revalorisation a pour contrepartie deux ans de travail supplémentaires et que les femmes qui ne répondent pas aux conditions requises et qui en seront donc exclues sont surreprésentées.

Vous créez les « supercarrières longues » pour mieux masquer le recul de deux ans de la quasi-majorité des départs anticipés, qui s’effectuent désormais à 62 ans, alors que le départ anticipé à 60 ans était la contrepartie de la réforme de 2010, quand l’âge légal de départ est passé à 62 ans.

Que dire encore de l’occultation des externalités négatives, alors que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) montre que, à l’horizon de dix ans, ce report de l’âge provoquera chômage et baisse des salaires ?

En définitive, il s’agit d’une loi contre le monde du travail, d’une loi de classe, qui touchera le pouvoir de vivre des actifs, mais surtout des catégories populaires.

Les Français l’ont bien compris, et c’est la raison pour laquelle cette réforme est si impopulaire. Ils ont bien compris que ce qui se jouait était leur pouvoir sur leur temps. Et comme le disait André Gorz, « à travers le pouvoir sur le temps, c’est le pouvoir tout court qui est en jeu. »

Le temps que cette réforme leur vole, c’est le temps libéré de la subordination et de la nécessité, un temps sans incapacité, que votre réforme veut livrer à une croissance sans fin, qui ignore les limites de la planète, le dérèglement climatique et l’effondrement du vivant.

Avec cette réforme, le Gouvernement poursuit son obsession du « travailler plus », alors qu’il ne faut pas tant augmenter le PIB que mieux le partager et le subvertir par d’autres indicateurs de prospérité, comme l’espérance de vie en bonne santé.

Si, comme le disait Ambroise Croizat, « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie », elle doit être aussi une nouvelle étape de notre rapport au monde, dans un siècle convoqué par la question écologique.

Cette loi du passé est une loi d’une violence sociale inouïe, qui vole les deux meilleures années de retraite pour en faire les plus dures au travail.

C’est aussi une loi qui barre la bifurcation écologiste et une loi qui casse le modèle social en prétendant cyniquement le défendre.

Pour toutes ces raisons, les écologistes s’opposent radicalement à cette réforme et se mobiliseront jusqu’à son retrait.

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