Intervention de Monique Lubin

Réunion du 2 mars 2023 à 14h30
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 — Discussion générale suite

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est difficile d’ouvrir ce débat sans évoquer en préambule un élément structurant de cette réforme : la méthode choisie pour la construire et l’imposer. Elle trahit certainement, messieurs les ministres, vos convictions profondes, ainsi que vos objectifs et vos priorités.

Nous n’en avons que trop conscience ; c’est pour cela que votre méthode nous heurte si profondément, au-delà même de la manière dont elle vous a conduit à construire votre projet de réforme des retraites et à en dénaturer l’objet.

Vous n’aurez eu que faire du dialogue social, conviant les syndicats à des réunions, mais ignorant les revendications qu’ils portent au nom des travailleurs.

Vous aurez piétiné le Parlement, choisissant pour cette réforme le véhicule d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Il vous ouvre une porte de sortie bien peu respectueuse du débat démocratique : un énième 49.3…

Avec le choix d’activer l’article 47-1 de la Constitution, vous aurez achevé de faire la démonstration au pays entier de votre volonté d’enfermer les parlementaires dans une nasse et de les rendre inaudibles.

La très mauvaise qualité de l’étude d’impact accompagnant le présent texte, signalée par le président du Haut Conseil des finances publiques, qui s’est reconnu incapable, avec les maigres éléments que vous lui fournissiez, d’évaluer votre réforme, en témoigne également.

La faute serait pour nous de vous laisser faire !

Par ailleurs, vous portez atteinte à la parole publique, avec des chiffres faux et des éléments de langage sophistiqués destinés à perdre votre auditoire. Cela témoigne d’un manque préoccupant de sincérité.

Vous avez illustré cette insincérité avec le psychodrame des 1 200 euros de pension minimale. Il a fallu qu’un économiste, Michaël Zemmour, perce le barrage de vos éléments de langage, en dévoilant sur une radio publique, à une heure de grande écoute, le biais que vous utilisiez pour affirmer que votre réforme porterait la pension minimale à 1 200 euros.

Même ce dévoilement tonitruant ne vous a pas convaincus de cesser les « infox » : il a fallu qu’un député socialiste fasse valoir ses prérogatives de coprésident de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale auprès de la direction de la sécurité sociale pour obtenir les authentiques évaluations chiffrées des effets de cette réforme des retraites.

Nous savons donc maintenant que ce ne sont pas 40 000 personnes qui, chaque année, passeront le cap des 85 % du Smic : au mieux, seuls 20 000 retraités franchiront le seuil des 1 200 euros pourtant annoncé.

Je me permets de vous suggérer de prendre le temps d’un peu de pédagogie auprès du Président de la République, puisqu’il a très explicitement démontré qu’il ne saisissait pas le fonctionnement du minimum contributif…

Si le Président de la République veut cette réforme des retraites, mais qu’il ne la comprend pas, il se trouve que nous, avec les Français, nous la comprenons, mais que nous n’en voulons pas !

En voici quelques raisons, l’exhaustivité étant ici impossible.

Avant toute chose, l’état des lieux de notre système de retraite, sur lequel le Gouvernement appuie sa réforme, n’est pas ce qu’il en dit.

Le rapport du COR de 2022, déjà abondamment cité, montre que notre système de retraite est stabilisé ; il précise même que « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».

Le départ à la retraite des baby-boomers est déjà amorti pour l’essentiel et, si nous devons encore tenir jusqu’à 2035, nous avons déjà fait le plus dur, notamment grâce aux gains de productivité.

Ce qui nous préoccupe avant tout aujourd’hui, c’est que les études prévoient une baisse du niveau de vie relatif des retraités dans les décennies à venir. Si la trajectoire des dépenses ne dérape pas, nous nous trouvons ici face à un problème de recettes qui pourrait se traduire par un déficit compris entre 10 et 13 milliards d’euros d’ici à 2030.

En tout état de cause, le système de retraite versant plus de 300 milliards d’euros de pensions par an, ce déficit ne met pas en péril immédiat ce pan de notre protection sociale. Il n’en reste pas moins que nous devons travailler à consolider le système de retraite par répartition auquel nous tenons absolument.

Le projet de loi repoussant de deux ans l’âge de la retraite pour tout le monde serait injuste pour de nombreuses catégories de salariés.

Cette mesure pèserait moins sur la carrière des cadres : ils ont rarement commencé à travailler avant 22 ans ; les 43 ans de cotisations exigés à partir de la génération 1973 les amènent d’ores et déjà à 65 ans.

Quant à ceux qui auront commencé à travailler entre 18 et 20 ans, comme l’âge où l’on peut bénéficier des départs anticipés pour carrières longues est également repoussé de 60 à 62 ans, ils ne pourront valider leur retraite à 62 ans qu’à condition d’afficher une carrière complète.

Or c’est surtout le cas des employés, des ouvriers, des aidants, toutes catégories dont l’espérance de vie est inférieure de sept ans à celle des cadres.

C’est aussi souvent le cas des travailleurs de la première ligne, à qui le Gouvernement prétendait offrir reconnaissance et juste rétribution pendant les pics de la crise sanitaire.

L’injustice est d’autant plus flagrante que les carrières longues perdent une part importante de leur surcote dans le passage d’un système à l’autre, alors que les carrières courtes des catégories socioprofessionnelles favorisées, les CSP+, qui sont souvent bien plus rémunératrices et moins usantes, ne connaissent que de faibles décotes pour un départ à la retraite à 64 ans.

Pour les seniors qui n’ont pas d’emploi sans être à la retraite, le recul de l’âge de départ équivaudra par ailleurs à un allongement de leur période de précarité. Cela touche actuellement environ un tiers des personnes retraitées nées en 1950 – 37 % des femmes et 28 % des hommes – qui n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite.

Et ce n’est pas un index qui pourrait changer cela, en l’absence, non démentie, de politique volontariste en matière d’emploi des seniors !

Concernant les femmes, nous savons tous que cette réforme fait perdre à la plupart des mères le bénéfice des trimestres liés à la maternité, ampute le montant des pensions, accentue les décotes et limite les surcotes. Votre réforme affaiblit considérablement le dispositif de compensation des inégalités femmes-hommes.

S’agissant des femmes, d’ailleurs, les dernières études démontrent que, sur les 18 milliards d’euros que vous attendez de cette réforme, 11 milliards seront payés par les femmes.

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