Intervention de Olivier Cunin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 20 octobre 2022 à 15h05
Audition publique sur la chlordécone : conséquences sur la santé humaine et répercussions sociales aux antilles

Olivier Cunin, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

Au sein du ministère de l'agriculture, nous menons des actions de prévention et de protection des populations pour limiter l'exposition à la chlordécone. Aujourd'hui, cependant, je me focaliserai sur la création du tableau des maladies professionnelles.

Auparavant, il existait déjà des tableaux de maladies professionnelles liées à l'exposition aux pesticides. Je pense notamment aux tableaux 58 et 59 sur la maladie de Parkinson et les lymphomes. Il n'en existait pas, en revanche, pour le cancer de la prostate.

Les tableaux des maladies professionnelles sont proposés par une commission paritaire, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture ou COSMAP pour l'agriculture. Cette commission regroupe des organisations patronales et des organisations salariales, ainsi que des associations de victimes, des organismes scientifiques et des personnalités qualifiées. Elle est chargée de proposer au gouvernement la création de tableaux de maladies professionnelles.

Depuis 2018, une nouvelle doctrine d'élaboration a été mise en place, tant pour le régime général que pour le régime agricole. Il est demandé que les tableaux s'appuient préalablement sur une expertise scientifique collective et indépendante. C'est pourquoi, systématiquement désormais, nous sollicitons l'avis de l'ANSES avant de débattre de la création d'un tableau. Concernant le cas qui nous intéresse aujourd'hui, la COSMAP s'est en outre appuyée sur l'étude de l'INSERM « Pesticides : effets sur la santé ». Sur ces bases, les membres de la COSMAP ont demandé le 12 octobre 2021 la création d'un tableau de maladie professionnelle pour le cancer de la prostate lié à l'exposition aux pesticides. Si la COSMAP a été unanimement d'accord quant à la création du tableau, les différents paramètres proposés n'ont pas fait l'objet d'un consensus.

Le gouvernement a créé ce tableau par décret le 20 décembre 2021. Un tableau est constitué de trois colonnes. La première correspond à la désignation de la maladie, ici le cancer de la prostate lié à l'exposition aux pesticides, et non pas seulement à la chlordécone. La deuxième colonne correspond au délai de prise en charge et au délai d'exposition. C'est cette colonne qui est susceptible de soulever des débats car les avis scientifiques ne sont pas nécessairement clairs quant à ce type de critère. Le délai de prise en charge est le délai entre la fin de l'exposition et l'apparition de la maladie. Le choix s'est porté sur un délai de 40 ans. L'ANSES nous a indiqué qu'il fallait un délai d'au moins 10 ans et nous a recommandé de nous appuyer sur les données utilisées pour les autres cancers solides, soit 30 ou 40 ans. La durée d'exposition retenue, quant à elle, est une durée de 10 ans. Enfin, la troisième colonne du tableau recense les principaux travaux concernés soit, très concrètement, tous les travaux agricoles en lien avec des pesticides : manipulation, utilisation, nettoyage, contact avec les cultures exposées.

Le tableau a été adopté. Les personnes qui souffrent d'un cancer de la prostate peuvent demander une reconnaissance en maladie professionnelle. Si elles remplissent la totalité des conditions du tableau, elles sont automatiquement reconnues. Dans le cas contraire, une commission régionale de reconnaissance des maladies professionnelles doit statuer. Dans le cas des pesticides, cependant, le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides a décidé la création d'une commission unique de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce nouveau tableau s'inscrit pleinement dans ce fonds qui permet une procédure plus simple, plus rapide et plus juste, ainsi qu'un niveau d'indemnisation plus important que pour une autre maladie professionnelle. Ce fonds permet également d'indemniser les retraités agricoles avant 2002 - soit avant l'instauration du régime obligatoire d'accidents du travail et de maladies professionnelles pour les travailleurs agricoles - et les enfants exposés in utero du fait de l'exposition professionnelle de leurs parents. Les indemnisations diffèrent en fonction de l'incapacité, selon qu'elle est temporaire ou permanente, mais sont plus importantes que pour un régime classique. Pour l'indemnisation des enfants, nous avons dû créer un barème forfaitaire spécifique, via l'arrêté du 7 janvier 2022. C'est le conseil de gestion du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides qui a proposé ce barème qui mentionne cinq pathologies : la leucémie, la tumeur cérébrale, la fente labio-palatine, l'hypospadias et les troubles du neuro-développement. Cependant, si un enfant souffre d'une autre maladie et qu'il est considéré que cela est lié à l'exposition de ses parents, il peut déposer un dossier qui sera examiné.

Je termine par quelques chiffres sur le nombre de victimes professionnelles. Depuis la création du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides le 1er janvier 2020, nous avons constaté une augmentation du nombre de dossiers déposés. En 2020, 226 dossiers avaient été déposés. En 2022, au 30 septembre, 468 dossiers avaient été déposés. Au total, depuis le 1er janvier 2020, 1 020 dossiers ont été déposés et 642 accords ont déjà été donnés. Des dossiers restent en cours de traitement.

Les données du régime agricole montrent que les maladies professionnelles liées aux pesticides représentent, en 2021, 4 % de l'ensemble des maladies professionnelles reconnues. Sur la décennie 2010-2019, le taux était de 0,4 %. Nous constatons par conséquent une forte augmentation. Les principales maladies professionnelles reconnues restent cependant les troubles musculo-squelettiques, qui représentent plus de 90 %.

Enfin, avant la création du Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, nous avions enregistré dix demandes de reconnaissance de maladie professionnelle au titre du cancer de la prostate. Entre le 1er janvier 2020 et la création du tableau, c'est-à-dire en environ deux années, nous avons enregistré 18 demandes. Depuis le 22 décembre 2021, nous avons reçu 207 demandes. La création du tableau constitue par conséquent un outil permettant d'améliorer la reconnaissance en maladie professionnelle. Pour les enfants, pour lesquels la procédure est nouvelle, neuf demandes ont été déposées à ce jour. J'ajoute également que sur les 207 demandes reçues depuis la création du tableau, 150 ont donné lieu à un accord, dont 14 pour les Antilles. Cela s'explique par le fait que ce tableau ne concerne pas que la chlordécone et qu'outre les dossiers des Antilles, probablement liés à la chlordécone, nous avons également des demandes venant de métropole et des autres territoires ultramarins.

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