Durant 6 mois, dans le cadre de la commission d'enquête sur la pollution à la chlordécone, nous avons entendu l'ensemble des acteurs concernés par cette pollution. Nous avons rencontré les agences sanitaires, les administrations centrales, les experts, les scientifiques. Nous sommes allés au contact des populations de Guadeloupe et de Martinique. Nous avons rencontré l'ensemble des instances locales et des associations, mais également les agriculteurs, les marins-pêcheurs et différentes autres populations.
Nous avons auditionné près de 150 personnalités, dans le cadre d'un travail de longue haleine et de précision. Un travail a également été réalisé sur les archives que nous a transmises le ministère de l'agriculture. Ces archives nous ont été extrêmement précieuses, car elles nous ont permis de retracer l'histoire même de la pollution et d'apporter des réponses quant aux responsabilités. L'objectif de la commission d'enquête était en effet d'apporter des réponses sur les responsabilités publiques et privées. Notre travail minutieux a démontré ainsi que la responsabilité de l'État était engagée. Différents ministres ont été successivement auditionnés, affirmant précisément la responsabilité de l'État dans la pollution et dans l'empoisonnement des terres de Guadeloupe et de Martinique.
La Guadeloupe et la Martinique font face à une contamination durable et généralisée par la chlordécone, dans les sols, dans les eaux et, parfois, dans l'alimentation. En matière de santé, il est important de souligner que les risques sanitaires sont aujourd'hui mal quantifiés. 90 % des populations ont de la chlordécone dans le sang. Or il est établi que la chlordécone possède des effets cancérigènes, avec également des impacts possibles sur la prématurité des naissances et le développement cognitif des nouveau-nés.
Ensuite, nous avons abordé la question des risques sanitaires. L'ensemble des experts scientifiques auditionnés ont reconnu le caractère cancérogène de la chlordécone et le risque lié au cancer de la prostate. Surtout, les populations vivent dans un climat anxiogène, car tous les effets de la chlordécone ne sont pas encore appréhendés et les citoyens sont sous-informés. Nombreuses sont les personnes, par exemple, qui testent la présence de chlordécone dans leur sang. Or ces personnes ne font l'objet d'aucun suivi et ne bénéficient d'aucune explication, d'aucune prise en charge et d'aucune information pour les aider à interpréter leurs analyses, les accompagner et les conseiller.
À cette difficulté, s'ajoute, pour la Guadeloupe et la Martinique, la pollution qui impacte fortement les maraîchers, les producteurs de fruits, les éleveurs et les marins-pêcheurs. Sur certaines parcelles contaminées, il n'est plus possible de cultiver des produits dits sensibles. Lors de nos travaux sur le terrain, nous n'avons pu que constater les défaillances dans l'accompagnement des agriculteurs et des marins-pêcheurs, ces derniers souffrant particulièrement des différents arrêtés d'interdiction de la pêche sur les zones côtières contaminées. Le nombre de marins-pêcheurs a ainsi diminué de près de 50 % en 10 ans. Environ 75 % des produits de la mer consommés aujourd'hui dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique sont importés, alors que la Guadeloupe et la Martinique figurent parmi les consommateurs de poissons les plus importants dans le monde. Il s'agit par conséquent aujourd'hui de restaurer la confiance des consommateurs envers les produits locaux et vis-à-vis des agriculteurs et des marins-pêcheurs. Il est également nécessaire d'amplifier nos efforts d'accompagnement à l'égard de ces professions. Les marins-pêcheurs se sont sentis abandonnés face aux difficultés rencontrées. Aussi, la défiance vis-à-vis des politiques publiques et de l'État est vécue naturellement dans ces territoires après cet empoisonnement.
Nos travaux ont également montré les défaillances profondes en matière de recherche scientifique sur la chlordécone, d'une part concernant la recherche médicale sur les impacts de la chlordécone sur la santé et sa part attribuable dans les pathologies qu'elle peut occasionner (le cancer de la prostate notamment), d'autre part s'agissant de la recherche dans les techniques de dépollution. Je tiens à souligner que des chercheurs de haut niveau sont intéressés par la problématique de la chlordécone. Les ressources humaines existent, non seulement dans les grands instituts de région parisienne, mais également aux Antilles. Quand nous avions mené la commission, pourtant, des difficultés perduraient. On constatait un manque de coordination entre l'ensemble des acteurs de la recherche, et entre recherche fondamentale et recherche expérimentale.
Les populations, constatant l'ensemble de ces difficultés, s'interrogeaient et considéraient la commission d'enquête comme une première réponse à différentes questions sur leur vécu et l'empoisonnement de leurs terres pour plusieurs siècles. Pour notre part, nous avons émis des recommandations dans le rapport de la commission d'enquête. Elles ont été pour la plupart reprises dans le cadre du plan chlordécone IV.
Pour terminer, je souhaite ajouter que, dans le cadre de la commission d'enquête, nous avions dressé le constat de lourdes défaillances en matière de communication et d'information, au niveau des différents plans chlordécone, I, II et III. Les archives montrent les défaillances de l'État, prouvant sa responsabilité dans la pollution à la chlordécone. Sur l'ensemble des aspects que j'ai précédemment soulignés, la défiance vis-à-vis de l'État et des politiques publiques mises en place sur nos territoires de Guadeloupe et de Martinique est donc normale. Vous avez pu le constater par rapport à la crise sociale et par rapport à la crise sanitaire. Vous avez également pu le constater lors des résultats des différentes élections qui se sont tenues dernièrement.