Intervention de Victoire Jasmin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 20 octobre 2022 à 15h05
Audition publique sur la chlordécone : conséquences sur la santé humaine et répercussions sociales aux antilles

Photo de Victoire JasminVictoire Jasmin, sénatrice :

Merci Madame la présidente. Je félicite Justine Benin pour son exposé.

Les tests, même si aucun suivi sanitaire n'a été prévu, étaient initialement réalisables ailleurs que sur notre territoire. Même lorsqu'ils ont été disponibles aux Antilles, les personnes devaient prendre en charge l'intégralité des frais, ce qui créait de grandes disparités. Cette situation a motivé ma proposition d'amendement, en fléchant un budget pour permettre la prise en charge.

Au niveau sanitaire, les conséquences de la chlordécone ont été nombreuses. Aujourd'hui encore, elles sont vécues difficilement par les familles. Nos territoires ont en effet une vocation agricole. Or la chlordécone a entraîné une perte de foncier agricole et une perte de valeur du foncier disponible pour certaines familles qui possédaient jusqu'alors un jardin créole à proximité de la maison. Nous avons récemment beaucoup parlé du pouvoir d'achat. La fin de la culture de proximité dans les jardins familiaux a posé des difficultés de ce point de vue. Même si, aujourd'hui, un certain nombre de partenaires ont mis en place les jardins créoles avec JAFA pour le choix des produits, nous voyons qu'il continue d'exister un déficit au niveau de la capacité pour les familles à se nourrir correctement. Les personnes ont changé leurs habitudes alimentaires, tandis que les habitudes précédentes nous permettaient notamment de compter beaucoup de centenaires en Guadeloupe et en Martinique.

La situation a par ailleurs été marquée initialement par un déni, qui a été mal vécu par les populations. Quand les premières personnes touchées ont déclaré des signes de maladie, elles continuaient pourtant, avec leur entourage, à consommer des produits de la terre par méconnaissance. En outre, les travailleurs professionnels n'ont pas reçu d'équipements de protection. Malgré les conséquences humaines, l'écoute s'est ainsi révélée inexistante. Désormais, les enfants d'alors sont devenus des adultes. Nous savons que la douleur est grande dans les familles quand les générations se succèdent avec des maladies, sans qu'aucune réponse ne soit apportée.

L'élevage est également un sujet sur ces territoires. Des analyses des sols ont eu lieu et une cartographie a été établie. Elle ne porte cependant pas sur l'ensemble du territoire. Il existe peut-être encore des lieux non identifiés empoisonnés par la chlordécone et par d'autres pesticides. Il s'agit d'un sujet pour l'élevage, mais également pour les pêcheurs, dont la situation est dramatique. Les pêcheurs ne peuvent plus pêcher sur de nombreuses côtes. Ils doivent aller pêcher de plus en plus loin des côtes, parfois dans des zones territoriales qui ne sont pas les nôtres, avec un risque de confiscation de leur matériel. Si vous y ajoutez l'augmentation du prix du carburant, un nombre croissant de pêcheurs en grande souffrance délaissent l'activité de pêche, n'ayant pas bénéficié d'une écoute particulière de la part des acteurs capables de les aider.

La qualité de l'eau potable pose question. Les normes y tolèrent un taux résiduel de chlordécone. Ce taux devrait être nul dans l'eau qui est consommée pour la boisson. On voit régulièrement des communiqués interdisant l'utilisation de l'eau potable, par exemple récemment à la suite de la tempête Fiona. Les ménages doivent alors acheter de l'eau, ce qui représente un coût, alors que notre territoire connait un taux de chômage élevé, notamment chez les femmes, et un nombre de familles monoparentales important.

L'ensemble des collectivités sont confrontées à ces situations. Les personnes ont de plus en plus recours aux CCAS, aux conseils de département, etc., c'est-à-dire à l'ensemble des solidarités existantes. S'y ajoutent les interventions des associations caritatives et des initiatives individuelles.

Le plan chlordécone IV contient peut-être des initiatives intéressantes. Davantage doit cependant être fait. Les associations doivent être davantage impliquées. Les informations doivent être davantage relayées en proximité. Même quand elles sont pertinentes, elles restent en effet méconnues. Les moyens limités de certaines personnes les poussent alors à poursuivre le mésusage de certains produits.

L'absence de contrôle pose également question, avec de nombreuses ventes informelles. Des moyens de contrôle et de traçabilité des produits livrés à la Martinique et à la Guadeloupe doivent également être mis en place. Les normes européennes et les normes françaises contraignent en effet de plus en plus les agriculteurs à ne pas utiliser certains produits alors que beaucoup de produits, en provenance du Brésil ou des Caraïbes, ne sont pas contraints par les mêmes normes et font concurrence aux produits de nos agriculteurs et de nos pêcheurs. Ces produits, dits de dégagement car ils sont à bas coûts, constituent un moyen de recours pour les ménages à faibles revenus, créant d'autres difficultés sur le moyen et le long terme. Il est beaucoup question actuellement de souveraineté alimentaire ; je crois que l'ensemble de ces problématiques doivent par conséquent être traitées.

Aujourd'hui, il existe une méfiance, une suspicion, une défiance vis-à-vis de tous les élus. Les élus de proximité sont accusés d'avoir cautionné un certain nombre de dispositions. Nous devons désormais humaniser davantage les dispositions prises. Certes, la situation s'améliore, notamment avec le plan chlordécone IV et l'implication grandissante des associations. Les associations ont cependant dû porter plainte pour être enfin entendues. Aujourd'hui, il est temps de prendre en compte la souffrance des familles et, collectivement, de prendre en compte les différentes problématiques qui se posent pour mieux les régler.

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